En seulement quelques mois et par une utilisation parfaite des réseaux sociaux, Thomas Pesquet est devenu plus qu’un voyageur de l’espace mais bien un phénomène médiatique.
Portrait officiel de Thomas Pesquet, dixième français à voler dans l’espace. (Photo : ESA)
Ingénieur aéronautique diplômé de SupAéro, il travaille pour le CNES avant de devenir pilote de ligne et voler sur les Airbus monocouloirs d’Air France. En 2009, il est sélectionné parmi de très nombreux candidats par l’Agence Spatiale Européenne pour devenir astronaute. Après plusieurs années de formation et d’entraînement, il a décollé le 17 novembre 2016 de Baïkonour à bord d’un vaisseau Soyouz pour gagner la station spatiale internationale pour la mission Proxima d’une durée prévue de six mois. Il est le dixième français à partir dans l’espace. Il effectue sa première sortie extravéhiculaire le 13 janvier 2017 et une deuxième le 24 mars 2017. Une troisième est prévue pour le 24 avril avant son retour prévu sur terre au mois de mai.
En dehors de ses nombreuses expériences scientifiques en apesanteur, le travail indispensable à la maintenance de leur vaisseau spatial, le sport et les périodes de repos, Thomas s’est aussi mué en photographe de l’extrême, photographiant avec un talent certain la terre et ses particularités géographiques.
L’entrée du Golfe du Morbihan, Port-Navalo et l’île aux Moines photographiés depuis l’ISS, à environ 400 km d’altitude. (Photo : T. Pesquet/ESA)
On imagine les éditeurs n’attendre que son retour pour lui proposer de publier un « La terre vue de l’espace » !
Le patch réalisé pour l’occasion et porté par les élèves pour cette occasion unique.
Il y a plus d’un an, avant même le départ de Thomas dans l’espace, à l’initiative de Mme Halley, professeur de sciences physiques, le collège Roger-Martin-du-Gard de Bellême dans l’Orne, s’est porté candidat au projet ARISS (Amateur Radio on the International Space Station, les radio-amateurs sur la station spatiale internationale). Grâce à deux stations radios, d’une puissance de 25 W chacune, et de quatre antennes permettant des communications vers la terre, l’ISS offre à des élèves de disposer de créneaux pour dialoguer quelques minutes avec le voyageur de l’espace.
Des dizaines de dossiers d’établissements français ont donc été proposés et seulement 12 retenus dont celui de Bellême. La sélection s’est faite sur l’ambition du projet pédagogique de l’établissement mais aussi sur des critères techniques lié à la situation du collège, en particulier l’absence d’obstacle et d’interférences pour assurer une liaison radio optimale avec la station spatiale. Une fois le projet retenu, les élèves de 3e et de 4e ont été largement impliqués dans un ensemble de projets et d’activités interdisciplinaires sous la houlette de l’équipe pédagogique de l’établissement, et de sa direction, mais aussi d’intervenants extérieurs. L’ensemble de l’évolution du projet peut se retrouver ici : http://projet-ariss.belleme.merack.org/wp/
La date retenue pour le contact a été fixée au vendredi 14 avril et le passage de l’ISS dans le secteur permettant la liaison annoncé pour 17h20. En plein cœur des vacances scolaires élèves et enseignants ont donc mis les bouchées doubles pour préparer l’évènement.
Les élèves du collège impliqués dans l’évènement avaient revêtu un T-Shirt confectionné spécialement.
Une douzaine d’établissements scolaires français ont eu la possibilité de parler avec l’ISS, mais à Bellême, les élèves ont eu le droit à un bonus de taille. La Marine Nationale a tenu à s’associer à l’évènement de façon très marquante. Puisque l’objectif était d’offrir la possibilité aux élèves de poser leurs questions à un astronaute, pourquoi ne pas leur offrir aussi l’opportunité de le faire avec un pilote de Rafale… en vol !
Si l’idée semble simple, sur le plan administratif ou opérationnel, elle n’a pas été si évidente à monter, pourtant, à l’heure dite, le Rafale s’est fait entendre, orbitant à 5 nautiques de la ville. Grâce aux moyens techniques des radio-amateurs de l’association F6KCO, la liaison radio a été effectuée sur une fréquence VHF aviation autorisée spécialement pour l’occasion.
A bord de l’avion de combat de la 17F normalement basé à Landivisiau se trouvait le Capitaine de frégate Vincent (1). En cette période de vacances, c’est donc le Pacha de la Flottille en personne qui a assuré la mission de piloter son avion tout en répondant aux questions des jeunes élèves du collège.
Quinze élèves, dont les questions avaient été sélectionnées au préalable, se sont installés dans la cour de l’école, près du poste radio et du haut-parleur installé pour diffuser l’évènement aux spectateurs.
L’attente avant l’arrivée du Rafale. Par chance, la météo était idéale pour l’évènement, ce n’était pas du tout le cas la veille…
Lorsque la liaison radio a été établie, chaque élève est venu à son tour au micro poser sa question en respectant la même phraséologie qui sera utilisée un peu plus tard pour le contact avec l’ISS.
Discuter en direct avec un pilote de chasse à bord de son avion… Ils sont peu nombreux les collégiens a avoir eu ce privilège !
Interrogé sur ses motivations, sa formation, sa carrière et ses grands souvenirs, le pilote de l’Aéronautique Navale a répondu clairement à tous alors qu’il orbitait à 5 nautiques autour de la ville à basse altitude. Comme prévu et grâce à une météorologie printanière parfaite, il a annoncé ensuite procéder à deux passages sur le collège en guise de salut.
Le Rafale 5 (donc un avion standard F1 passé au niveau F3) survole le collège, crosse d’appontage sortie, aviation embarquée oblige !
Les yeux plantés dans le ciel, les enfants et leurs enseignants ont donc vu débouler un chasseur, crosse d’appontage sortie pour bien démontrer la spécification marine de l’appareil, à tout juste 1000 pieds au-dessus de la ville.
Nombreux étaient ceux qui n’avaient jamais vu un Rafale d’aussi près. Les spécialistes, eux, ont eu le temps de noter que l’appareil était équipé d’un pod Damocles, de deux bidons et d’un seul missile Mica d’exercice en bout d’aile, une configuration assez légère pour ce type d’avion.
Le second passage a été notablement plus musclé. Arrivant selon de même axe, le pilote a battu des ailes pour dire au-revoir et s’est engagé ensuite dans un virage à gauche en montant avec un peu plus de facteur de charge comme en témoignait la longue traînée de condensation qui avait pris naissance sur le rail de missile de l’aile droite. Ces deux passages ne sont pas passés inaperçus dans la ville… forcément ! Ils ont même poussé les élèves suivant un cours de judo dans le gymnase tout proche à interrompre leur activité et sortir voir ça !!
Deuxième et dernier passage du Rafale M… un peu plus musclé !
L’ensemble des personnes présentes, membres de l’académie, de la collectivité locale, élèves, quelques parents et invités se sont ensuite rendus dans l’amphithéâtre du collège, d’une bonne centaine de places mais néanmoins insuffisant pour accueillir tout le monde si bien que l’ensemble de l’évènement était retransmis par vidéo dans plusieurs salles de classe du collège.
En attendant l’heure fatidique, les radio-amateurs se préparent dans l’amphithéâtre du collège.
Un astrophysicien affecté à l’observatoire astronomique d’Hesloup, situé près d’Alençon, est venu pendant une bonne heure expliquer les enjeux de la mission Proxima et détailler les différents modules de l’ISS et leurs fonctions. Dans les salles, la tension montait. Un des radio-amateurs a ensuite expliqué la très grande complexité de l’opération.
A l’heure où faire une séance skype avec l’autre bout du monde est simple comme un clic sur l’icône d’une application téléphonique, passer un appel radio à 400 km peut sembler une opération routinière facile à entreprendre.
Il faut juste prendre un détail important en compte. L’ISS, en orbite basse à 400 km d’altitude, survole la terre à une vitesse d’environ… 28 000 km/h ! Il lui faut donc une douzaine de minutes pour aller d’un horizon à l’autre. Pour établir une liaison radio stable, il faut donc que le signal soit dirigé efficacement pendant cette très courte période.
L’antenne provisoire dressée dans la cour.
Or, en raison de cette très grande vitesse, la liaison radio est soumise à un effet Doppler et à un glissement de fréquence. C’est là qu’entre en jeu la technicité des radio-amateurs qui, par leur pratique régulière et le matériel acquis à titre personnel ou pour le club, savent maîtriser la difficulté de cette connexion complexe.
Une antenne mobile sur deux axes, pour pouvoir suivre la course de l’ISS, a été installée dans la cour. Elle représente un investissement non négligeable pour l’association mais elle pourra servir à d’autres occasions, même si un nouveau contact avec une station spatiale n’est pas encore au programme.
Si le glissement de fréquence peut être suivi et compensé manuellement par les opérateurs, en raison de l’enjeu de l’évènement, les opérateurs ont opté pour un suivi automatique histoire de se libérer d’un peu de stress. Car il s’agissait, bien évidemment, d’une opération sans filet !
Cette liaison était un « one-shot », sans possibilité d’une répétition générale préalable et sans aucune chance de report. Autant dire que la pression était maximale sur l’ensemble des personnes présentes. Pour ceux qui s’étaient lourdement impliqué dans la réussite de cette journée, tout pouvait encore basculer, ce qui aurait été une déception abominable.
L’installation technique des radio-amateurs et l’ordinateur portable pour suivre la trajectoire de l’ISS.
L’échec était possible, d’autant plus qu’une mauvaise nouvelle était arrivée en provenance de l’ISS quelques heures avant l’opération. A l’origine, Thomas Pesquet devait pouvoir dialoguer avec Bellême par le son et l’image. En effet, un flux vidéo descendant était prévu, malheureusement une panne survenue dans un des modules de la station n’a pas eu le temps d’être réparé à temps. Les élèves n’avaient plus que la radio pour parler à leur lointain interlocuteur.
A l’issue de la conférence sur l’ISS, à l’approche de l’heure fatidique, les élèves choisis pour poser les questions se sont levés et se sont mis en file indienne, comme lors de leurs répétitions, et ils ont attendu que la liaison soit établie.
Le suspens était à son comble. Bien sûr, il s’agit d’une phrase bateau, d’un poncif, mais dans les travées de l’amphithéâtre et dans les salles de classe attenantes, la tension était palpable. Un an d’investissement de la part de tous pour 10 minutes inoubliables. Voilà quel était l’enjeu !
Après six ou sept appels de l’opérateur radio vers l’ISS resté sans réponse, soudain, la voix forte et néanmoins très claire de Thomas Pesquet a résonné dans les haut-parleurs !
Un véritable frisson a circulé dans l’assistance !
Comme par miracle, la pression s’est envolé, notamment pour le professeur de science physique instigatrice et animatrice du projet dont le soulagement évident ne faisait plus aucun doute.
A quelques secondes d’envoyer un message dans l’espace.
C’était aux élèves de jouer désormais !
Pendant quelques minutes, comme certains l’avaient fait avec le pilote du Rafale quelques minutes plus tôt, ils sont venus un à un, sans précipitation mais avec célérité, au micro pour poser leur question et attendre la réponse de Thomas Pesquet, en orbite à 400 km au-dessus d’eux.
Parler à un astronaute dans l’espace ou le faire devant les caméra et les micros des journalistes… il fallait rester concentré !
Ce dernier avait reçu la liste des questions et avait préparé ses réponses. Bien sûr, ce qu’on perd en spontanéité est autant de temps gagné car le but était bien que tous les élèves puissent poser leur question et avoir leur réponse car le temps imparti était bien limité.
Les questions ont bien évidemment porté sur sa formation, sa sélection, sa vie et sa mission à bord de l’ISS, mais aussi sur son avenir. Mais la question la plus touchante est arrivée vers la fin lorsqu’un élève lui a demandé : « Thomas, tu es normand, et nous sommes en Normandie (2), est-ce que tu te souviendras de nous ? Et est-ce que tu viendras nous voir ? »
L’évènement a été filmé et diffusé en direct.
Il est évident qu’à l’issue de sa très longue mission, le planning de Thomas Pesquet va être encore plus chargé que celui du nouveau Président de la République et il lui sera difficilement possible de venir visiter l’ensemble des collèges avec lesquels il a eu une liaison radio mais qui sait… Du côté de Bellême, on en rêve déjà ! Tout comme on espère aussi rencontrer un certain pilote de chasse, commandant de flottille de Rafale !
Désormais, les équipes du collège vont pouvoir profiter de leur deuxième semaine de vacances avec la profonde satisfaction d’avoir mené à bien une double opération ambitieuse, complexe mais véritablement motivante. Les élèves vont sans aucun doute avoir du mal à réaliser la portée de cet exercice mais il faut bien reconnaitre qu’en matière d’enseignement mais aussi d’ouverture d’esprit, de culture générale, le défi a été largement relevé.
Les participants à cette journée mémorable posent dans la cour en fin d’après-midi. Tout le monde est soulagé, tout s’est passé comme prévu !
D’autres projets sont désormais en cours au sein du collège, qui, sans avoir aucune spécificité aéronautique, on est plutôt dans un environnement agricole et sportif (le collège dispose d’une section golf), va prolonger dans cette voie en lançant à la rentrée prochaine un cursus pour le Brevet d’Initiation à l’Aéronautique… On peut imaginer que dans ce cadre, de nouvelles (et excellentes) surprises attendent les élèves !
A l’issue de l’après-midi, un rafraîchissement a été proposé à l’ensemble des participants et des invités. Oui, il y avait quelques produits locaux !
Bien sûr, le mois prochain, lorsque l’astronaute française quittera sa station orbitale pour revenir sur le plancher des vaches devant toutes les télévisions du monde, qu’il passera ensuite des semaines à écumer les plateaux télé pour raconter son extraordinaire aventure, du côté de Bellême, il y aura quelques sourires en coin devant l’écran, quelques garçons et filles qui peuvent désormais se dire : « ben moi, Thomas Pesquet, j’ai déjà parlé avec lui… et il était dans l’espace ! »
Le privilège d’avoir conversé avec un voyageur de l’espace ! (Photo : ESA)
Et ce n’est pas donné à tout le monde !
(1) Désormais, pour des raisons de sécurité, les patronymes des militaires ne sont plus dévoilés, ils sont donc uniquement identifiés par leur seul prénom.
(2) oui, bon, c’est aussi le Perche !! Hein !?
Un grand merci à toute l’équipe du Collège Roger-Martin-du-Gard pour l’invitation exceptionnelle à vivre à leurs côtés ce moment incroyable ! Bravo à vous aussi pour cette superbe double réussite !