La disparition de Saint-Ex

Avec une régularité métronomique, Antoine de Saint-Exupéry refait parler de lui. De nombreux articles fleurissent encore et encore autour du pilote et de sa mystérieuse disparition à bord du F-5B 42-68223 près des îles du Frioul au large de Marseille.

Oui, mystérieuse disparition, j’insiste.

En dépit des révélations fracassantes d’un ancien pilote de la Luftwaffe, Horst Rippert, en 2008, s’accusant alors d’être l’homme qui a descendu l’avion de reconnaissance ce 31 juillet 1944, la disparition de St-Ex demeure un mystère.

Le Commandant De Saint-Exupéry aux commandes d’un Lightning en mai 1944. (Photo : John Philipps)

Il faut dire que les éléments de preuve apportés par ce pilote étaient bien ténus. Et lui même avait livré plusieurs versions : « Vous pouvez arrêter de chercher c’est moi qui ai abattu Saint-Exupéry » déclarait-il à l’historien à leur premier contact.

Pourtant, la presse Suisse relatait cette autre version : « Je n’ai jamais dit que je l’avais fait, car je n’en ai jamais eu la confirmation. On m’a dit bien plus tard que Saint-Exupéry avait disparu, et que ce pourrait être l’avion que j’avais abattu. «  (Le Temps, 17 mars 2008)    

Un livre fut donc publié à grand fracas de communication en mars 2008, avec un titre cinglant « Saint-Exupéry, l’ultime secret » qui s’est révélé être une simple biographie de plus sur l’aviateur – pas forcément la plus mauvaise non plus d’ailleurs – mais où « l’ultime secret », celui, bien sûr, de sa disparition, prenait bien… 6 ou 7 lignes !

Suis-je le seul à être resté sur ma faim ?

Carnets de vols égarés, revendication de la victoire introuvable (or on retrouve bien la revendication d’Horst Rippert contre un B-24 en juin et celle contre un Spitfire en août, mais rien entre les deux), aucune archive ne vient étayer ce témoignage tardif lequel est farci de contradictions en fonction des reprises. En voici un exemple : « Horst Rippert avait aperçu de son Messerschmitt ce qu’il pense être aujourd’hui l’appareil de « Saint-Ex », le 31 juillet 1944, vers 14h30, peu après Toulon et près de Marseille ». (L’Express, 17 mars 2008)

Horst Rippert s’est accusé d’avoir descendu Saint-Ex sans en apporter la moindre preuve.

Le F-5B avait décollé entre 8h30 et 9h00 pour une mission « Soda » de reconnaissance sur les Alpes (mission 33S176). Les jours précédents, les missions menées dans cette région par le GR 2/33 ont duré entre trois heures et quatre heures. (3h50 pour celle du Capitaine Gavoille le 20 juillet sur les Alpes à bord du 292, 3h25 pour le Lt Core le 25 juillet à bord du bientôt célèbre 223 au-dessus du Creusot).

« Il n’était pas rentré à 13 heures » puis « A 14h30 il n’y avait plus d’espoir qu’il fut encore en vol » relate le journal de marche de l’unité, peut-être par la plume de René Gavoille, son chef au 2/33 mais aussi son ami de longue date. Un combat aérien à cette heure-ci était donc impossible. (A noter qu’après sa libération, la Corse était restée à l’heure allemande, les heures utilisés dans les rapports alliés et allemands correspondent donc.)

L’itinéraire probable de la mission du 31 juillet. La distance en ligne droite entre Borgo et Chambery est d’environ 430 km soit une heure de vol pour un Lightning.

Sans toutefois balayer définitivement l’hypothèse de l’interception, tout ça ressemblait bien à une opération de communication destinée à vendre du papier. D’ailleurs, lors de la conférence de presse des auteurs organisée au Musée de l’Air à l’époque, l’historien et co-auteur du livre nous avait bien expliqué qu’il était au début du fil de laine et qu’il comptait bien tirer la pelote du mystère jusqu’au bout. Horst Ripper est décédé en 2013.

Fin de l’histoire ?

Pas tellement puisque désormais, régulièrement, on nous assène comme une vérité, que l’auteur du Petit Prince a été « abattu par un pilote allemand. »

En 2017, l’équipe qui fut à l’origine de la « révélation Rippert » publia un nouveau livre aux éditions Vtopo « Saint-Exupéry, révélations sur sa disparition ». A propos de l’éventuel combat aérien du 31 juillet 1944, il est écrit ceci page 209 :

« Ni nos recherches, ni celles plus anciennes d’autres historiens n’ont permis de retrouver des documents allemands qui pourraient confirmer sans équivoque un tir destructeur non reconnu officiellement du P-38 par Horst Rippert »

Le nœud du problème est donc bien clairement posé, celui de l’absence d’archives, les seules permettant à l’histoire d’avancer sur des bases solides. Mais les auteurs ont alors cru bon d’ajouter :

« Mais on ne trouva pas non plus de points de repères qui, d’une quelconque manière, pourraient formellement réfuter ou au moins décrédibiliser le déroulement des évènements décrits par Horst Rippert ».

Ceci s’appelle un syllogisme. Et ne constitue pas non plus une preuve historique :

« On ne peut pas prouver que le témoignage de Rippert est authentique mais on ne peut pas prouver l’inverse, donc le témoignage de Ripper est authentique. » s’oppose donc à : « On ne peut pas prouver que le témoignage de Rippert est authentique mais on ne peut pas non plus prouver l’inverse, donc le témoignage de Rippert est non démontré. »

Chacun peut donc choisir la démonstration qui lui conviendra le mieux, ce qui, là aussi, ne constitue pas une démarche historique convenable.

Le combat aérien reste donc une hypothèse possible, bien qu’encore non prouvée, mais bien d’autres explications le sont tout autant.

L’accident ou la panne ne peuvent être exclus, de même que l’hypoxie fatale. Saint-Ex était un gros fumeur, ses besoins en oxygène étaient donc largement supérieurs à la moyenne ce qui lui avait déjà joué des tours lors d’une mission précédente.

« Le destin ne dispose pas ainsi d’un homme armé d’une expérience de 7000 heures de vol, et qui a résisté à tant de coups durs »  poursuit l’auteur du journal de marche du 2/33 (1) et pourtant, chasse ennemie ou non, les raisons de mourir à bord d’un avion de combat dans les années 40 étaient de toute façon très nombreuses.

Horst Rippert relatant son combat du 31 juillet 1944 dans une vidéo diffusée au musée de l’Air le 22 mars 2008 à l’occasion de la parution du livre « l’ultime secret. »

L’épave identifiée comme étant celle du F-5B 223 semble n’avoir révélé aucun impact de balle. Mais, là aussi, cette absence ne constitue pas pour autant une infirmation de la thèse « Rippert » puisque l’épave remontée était largement incomplète.

D’autant plus que le principal mystère n’est pas tant la raison de la chute de son avion que la localisation de l’épave. Si celle-ci semble désormais avoir été correctement identifiée – ce qui n’avait rien d’évident au départ si on se souvient des circonstances de sa découverte et des débats qui ont suivi et ce point reste néanmoins encore contesté – le fait de la retrouver près de Marseille reste un sujet d’étonnement. Il suffit de regarder une carte et se souvenir que la mission du jour était une reconnaissance dans la région de Chambéry. Que faisait-il du côté des Calanques ? Du tourisme ?

Départ de mission d’Antoine de Saint-Exupéry à bord du F-5A 80 le 26 mai 1944 à Alghéro en Sardaigne. Au premier plan, son chef et ami, René Gavoille. Au second plan à droite, le Lightning dont on ne voit que la queue est le 223 sur lequel l’écrivain a disparu quelques semaines plus tard. (Photo : John Philipps)

D’autres auteurs ont également évoqué le suicide. Peut-on imaginer Saint-Exupéry, survivant de l’aviation postale française, trahir volontairement ses compagnons d’escadrille et ses compatriotes en se sacrifiant à bord d’un avion qu’il savait également très précieux, à quelques semaines du Débarquement de Provence, alors que les troupes alliées marchaient sur le sol de son pays – même si le sort de la bataille de Normandie n’était pas encore scellé ? Si son moral n’était pas forcément au beau fixe, comme le montrent ses dernières lettres, quel combattant n’a pas aussi des moments difficiles ?

Le mystère de la disparition demeure donc… Non, Saint-Ex n’a pas été « vraisemblablement abattu par un pilote Allemand », il est toujours « disparu en mission » (2) comme des milliers d’autres pilotes et de combattants à cette époque-là, ce qui ne le rend pas moins estimable pour autant.

La seule certitude depuis le 31 juillet 1944 est indiquée sur le journal de marche du II/33 : mission non rentrée.

Article publié initialement le 31 juillet 2015, adapté et modifié le 29 juin, le 15 et le 31 juillet 2021 puis le 31 juillet 2023.

(1) dans sa Lettre au Général X de mai 1943, il écrit : « après quelques 6500 heures de vol sous tous les ciels du monde ».
(2) reconnu « Mort pour la France » en 1948. Par conséquent, les œuvres d’Antoine de Saint-Exupéry entreront dans le domaine public en 2033.

8 réflexions sur « La disparition de Saint-Ex »

  1. Excellente analyse.
    Factuelle donc fondée sur
    les seuls éléments historiques disponibles.
    Elle seule rend hommage à ce grand homme pilote écrivain.
    Et puis il me plaît qu’Antoine de St Exupery ait pu échapper à toute tombe humaine !

  2. Bravo pour votre article que je viens de découvrir car je parlais à mes filles hier après-midi de Saint Exupery. il se trouve qu’on en a toujours parlé car je suis native de Bastia, maman m’a toujours dit que Saint Exupery avait décollé de notre aéroport Bastia Poretta pour son dernier voyage. Ensuite, j’ai habité Marseille et j’y étais quand sa gourmette a été retrouvée. J’ai connu mon mari et nous habitons maintenant dans l’Ain, où, à une demi-heure de chez nous, se trouve le château d’enfance de Saint Exupery à Saint-Maurice-de-Rémens. Je fais d’ailleurs partie de l’association des amis du Petit Prince et je suis de près le projet initié par l’association, de fonder un musée suivi bien-sûr par les descendants de Saint Exupery, qui va d’ailleurs voir le jour car le projet a été pris en main depuis un peu plus d’un an par la Région Auvergne-Rhône-Alpes. Je disais à mes filles hier que, sans l’avoir voulu, Saint Exupery m’a toujours accompagnée dans mes déplacements, et sans le vouloir, j’ai toujours marché dans ses pas… c’est drôle la vie ! J’ai bien-sûr hâte que l’on sache ce qu’il s’est réellement passé ce 31 juillet 1944, toujours un grand mystère pour l’instant !

  3. Bonjour à vous,
    Concernant la disparition d’Antoine de St Exupéry, nous avons quand même le témoignage des amis de Raymond Canter, des résistants se trouvant ce jour là vers Marseilleveyre, et qui ont vu dans le ciel le combat entre un Messerschmidt allemand et un P 38 non loin de la côte :

    « Je faisais partie d’une petite structure de la Résistance, Jeune République, que dirigeait un gars qui s’appelait René Monory. […] Ce jour-là, avec des copains, nous étions coincés près de Marseilleveyre, à cause des soldats allemands d’une casemate. On se planquait quand j’ai vu un avion allié pris en chasse par un Allemand. […] J’ai dit à un de mes amis : ’Il ne va pas s’en sortir’. […] Les deux avions se suivaient d’assez près. L’Allemand a tiré, l’avion est tombé en mer… R. Cantier. »
    En l’absence d’autres confirmations que l’avion de St Ex est bien tombé là, et que sa gourmette a été trouvée aussi dans le secteur, nous en déduisons que la vérité est là, même en l’absence d’autres preuves plus précises.
    Je pense que la situation physique d’Antoine à ce moment là et la difficulté d’opérer le P 38 comme un pilote de chasse classique du fait de sa grande taille dans le petit cockpit, et l’absence d’armement dans l’avion sont suffisantes pour justifier une manoeuvre de chandelle pour échapper au Messerschmidt suivie d’une chute verticale dans l’eau.
    Naturellement, nous pourrions rechercher les films pris par les caméras de l’avion et trouver les lieux où il été repéré ?
    Comme pour beaucoup d’autres pilotes, les derniers instants ne leurs appartiennent qu’ à eux.
    Etienne

    • Témoignage intéressant. Il y avait aussi plein de témoignages pour situer le combat dans le Golfe de Saint-Tropez à l’époque de la thèse Eichele. Mais c’est un élément qui pourrait aller dans le sens de Rippert, néanmoins, toujours aucune preuve formelle.

      En ce qui concerne St-Ex. Oui il était assez usé par les accidents des années 30 mais les cockpits des avions US sont difficilement qualifiables d’étroits. Ils pouvaient supporter de bon texans bien nourris déjà à l’époque.

      Pour les évasives d’un F-5 non armé et intercepté, la chandelle me semble suicidaire puisqu’elle expose directement au tir adverse.

      La vraie question, si tout ceci est confirmé un jour, c’est : qu’est-ce qu’il foutait dans ce coin-là, à basse hauteur, loin de son itinéraire de retour vers sa base ?

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