L’intérêt des Tanker est de pouvoir utiliser du retardant, liquide onéreux, certes, mais polyvalent et très efficace. Le retardant a surtout le désavantage de ne pas se trouver à l’état naturel, il n’est donc pas envisageable de l’écoper quelque part (ou alors, la Méditerranée est bien plus polluée que ce qu’on veut bien nous raconter !). Il doit donc être pompé jusque dans les soutes des avions.
En France, ces différentes stations sont baptisées « Pélicandrome ». Elles tirent bien évidemment ce nom de l’indicatif radio historique des avions de la Sécurité Civile, porté successivement par les Catalina, les CL-215 et les CL-415, mais aussi par les DC-6 dans les années 80. Elles auraient pu aussi s’appeler « Trackerodrome » et désormais « Milandrome » mais il s’avère que les CL-415 les utilisent aussi de temps en temps même si le retardant n’est pas leur armement primaire
Les pélicandromes en France
Les pélicandromes fixes sont des installations permanentes avec des réserves de retardant installées sur différents aérodromes, positionnés stratégiquement essentiellement sur le pourtour méditerranéen (12 stations) et la Corse (rien moins que 5 plateformes.)
A celles-ci viennent s’ajouter les installations de Cahors, Valence, Aubenas, Bordeaux – décisif pour les opérations dans les Landes – et Limoges, la station retardant fixe la plus au nord. Pour la plupart, ces stations sont conçues et entretenues par la société qui assure aussi la fabrication du retardant, la Biogema.
Quelques cas particuliers
Le pélicandrome de Nîmes est le seul à être maintenu opérationnel tout au long de l’année, notamment pour les entraînements et la formation des personnels au sol. Il est doté de deux points de ravitaillement en eau et de quatre au retardant.
Il est équipé de grilles permettant aussi la reprise (le déchargement) du retardant et son recyclage en cas de besoin. Il était armé par les équipes du SDIS 30 jusqu’en 2020 où il est passé à des équipes de la Sécurité Civile.
Le pélicandrome de Marignane, qui fut longtemps le plus actif de France quand la BASC y était basée jusqu’en 2017, reste régulièrement mis à contribution au milieu de l’ancienne base désormais déserte. Il est armé par des équipiers issus du SDIS 13 bien que l’aéroport est couvert, autant pour la sécurité incendies des installations, des aéronefs ou le secours aux personnes, par des équipes spécialisées du Bataillon des Marins-Pompiers de Marseille.
De nouvelles installations pourraient être créées prochainement dans la partie sud de l’emprise aéroportuaire, un appel d’offres vient d’être passé en ce sens et ces nouvelles installations pourraient être opérationnelles dès 2022.
La station de remplissage de Béziers est un autre cas particulier car elle est aussi la base principale des ABEL sous contrat avec le Conseil Général de l’Hérault mais elle est aussi régulièrement fréquentée par les moyens nationaux.
Les pélicandromes mobiles
C’est sans doute un concept promis à un bel avenir. La Sécurité Civile, en particulier l’UIISC 1 de Nogent le Rotrou, en collaboration avec le SDIS du Morbihan, dispose d’un pélicandrome mobile constitué principalement d’un camion citerne chargé de prémélange de FireTroll 931 et des accessoires, pompes et tuyaux, permettant d’établir rapidement un pélicandrome mobile pouvant remplir les Dash là où le besoin pourrait s’en faire sentir. Les UIISC disposent de détachement DIR (Détachement d’Intervention Retardant) et sont familiers de l’usage de cette substance même si les produits ne sont pas exactement les mêmes que ceux largués depuis les avions. Une première expérience de déploiement fut organisée sur la Base Aérienne de Tours en 2018.
Ce dispositif a été déployé à Angers pour l’été 2020 et a été activé le 14 septembre pour que le Milan 76, prépositionné là en raison des risques sur la région, puisse effectuer plusieurs largages à Salbris dans le Loir et Cher. Quelques jours plus tard, l’avion intervenait à nouveau à quelques km au sud du Mans, prouvant tout l’intérêt de cette installation.
L’aéroport d’Angers permet de disposer d’une base opérationnelle pour la défense du secteur nord-ouest. En cas de besoin, on peut très bien imaginer le pélicandrome être déployé ailleurs, les aérodromes compatibles, civils comme militaires, ne manquant pas (Deauville, le Havre, Évreux, Orléans, Lille voire Poitiers pour n’en citer que quelques uns).
C’est dans cette même logique qu’un Dash est aussi venu tester les capacités de la plateforme d’Epinal-Mirecourt en avril 2021 puisque cet aérodrome a été choisi pour qu’y soit déployé un pélicandrome, mobile dans un premier temps, en cas de risques sur les forêts des Vosges.
Pour le déploiement à Angers, les équipiers étaient issus des pompiers du département du Morbihan. Pour leur formation, ils disposent, sur l’aérodrome de Vannes-Meucon, d’une zone pouvant temporairement être gréée en pélicandrome temporaire. Pour des raisons d’entraînement, les remplissages ne s’y font qu’à l’eau.
L’installation a été inaugurée en 2016 avec des Tracker. Désormais, chaque printemps, la Sécurité Civile déploie un de ses avions en Bretagne pour une séance de formation indispensable. En 2021, les équipiers ont ainsi travaillé autour du Milan 77 tout juste entré en service.
Dans le courant de l’été 2020, la presse s’est faite l’écho de la future installation d’un pélicandrome ambitieux à Chateauroux. L’implantation très centrale de cet aéroport, avec son trafic assez peu dense, permet d’envisager de nouveaux scénarios en défense de la zone région parisienne notamment. Une zone devrait être réhabilitée pour accueillir des réserves importantes de retardant ce qui va nécessiter d’importants travaux. En attendant, Chateauroux est également éligible à l’accueil d’une station mobile.
Les pélicandromes désaffectés
Le maillage du réseau de pélicandromes français a cependant évolué au cours des ans.
Des remplissages à l’eau étaient envisageables depuis l’aéroport de Saint-Étienne. Les personnels du SDIS 42 disposaient d’une remorque contenant tout le matériel nécessaire pour remplir un avion depuis un poteau d’incendie. Ce système, qui ne peut charger les avions qu’en eau, ce qui limite son intérêt, a été, au cours de son histoire, utilisé depuis Bron, Le Puy ou Vichy. Il semble avoir peu été sollicité ces dernières années et son statut réel mériterait d’être confirmé.
Le retrait de service des Tracker en 2020 a entrainé de facto l’arrêt des installations dédiées du Cannet/Le Luc dans le Var et celui d’Alès dans le Gard situés sur des aérodromes où les pistes sont trop courtes pour les Dash. Ces plateformes étant situées près de Hyères et de Nîmes, respectivement, ceci modifie peu les opérations.
Deux autres pélicandromes ont été aussi précédemment fermés, celui de l’aéroport de Nice créé en 1977 et qui a été délaissé après la saison 1997 et l’ouverture de celui de Cannes l’été suivant puis, plus récemment, celui d’Aix en Provence (créé en 1985).
Les capacités
Les capacités des PEL sont différentes d’une installation à l’autre, nombre d’avions pouvant être accueillis, quantité de retardant immédiatement disponible. Par exemple, le PEL de Bordeaux, qui n’accueille qu’un avion à la fois, dispose d’un réservoir de 60m3 de prémélange ce qui permet d’assurer plusieurs journées d’activité. Celui de Cannes, de son côté, qui pouvait accueillir deux Tracker simultanément, dispose d’une capacité de 100 m3.
Pour ne pas endommager les soutes des avions en ayant un débit supérieur à la résistance des réservoirs, les pompes utilisés pour les remplir ne peuvent pas débiter plus de 1800 litres par minute. Le débit moyen est néanmoins réglé à plus de 1000 litres minutes puisque, en général, le remplissage complet d’un Dash 8 (10 000 litres/10 tonnes de capacité) se fait entre 6 et 8 minutes.
Les personnels des Pélicandromes
Les équipiers sont des pompiers, volontaires comme professionnels confirmés, ainsi qualifiés au cours d’un stage de deux jours effectué directement sur la BSC de Nîmes. Une fois la qualification dite « PEL » acquise, elle est entretenue par un entraînement spécifique en début de saison effectué cette fois sur le Pélicandrome du SDIS concerné en présence d’un avion de la Sécurité Civile dont l’équipage joue un rôle essentiel dans la transmission des méthodes et des spécificités des appareils.
Une équipe type est composée de trois personnes qualifiées, un équipier est en charge des vannes (il est donc appelé le « vannier »), qu’il ouvre et ferme aux ordres pour charger la quantité demandée en fonction des opérations, un deuxième a pour rôle d’amener le tuyau jusqu’à l’avion, de le brancher et débrancher en fin de ravitaillement.
Ces deux équipiers PEL1 sont sous la supervision d’un chef d’équipe, qui a suivi un stage complémentaire PEL2, chargé de guider les avions pour les positionner sur la plateforme et de diriger l’ensemble de la manœuvre de ses équipiers notamment par gestes. Lui seul dispose d’une radio VHF FM pour prendre directement les consignes de l’équipage.
En dehors du pélicandrome de Nîmes, les autres installations sont activées lorsqu’un feu survient et qu’il faut pouvoir ravitailler les appareils en action dans la région. Les équipiers affectés à ce poste pour la journée sont alors prévenus et se rendent sur l’aérodrome où il se préparent à recevoir les avions.
Certains jours de gros feux où les rotations s’enchaînent, le travail peut être réellement éprouvant car effectué dans un environnement difficile et stressant, avec le bruit des turbines, les avions restant moteurs tournants pour ne pas perdre de temps, et la chaleur mais aussi le danger permanent que représentent les pales des hélices en rotation.
Côté pilote
Lors des opérations sur pélicandrome, les équipages sont donc aux ordres du chef d’équipe qui guide l’avion. Une fois en place, les hélices sont mises en drapeau pour ne pas souffler les équipiers qui doivent circuler à hauteur de la soute pour brancher et débrancher le tuyau d’alimentation.
L’équipage a préalablement déterminé la quantité de retardant à charger en fonction du carburant restant pour ne pas dépasser la masse maximale autorisée au décollage de leur appareil. Ces indications sont communiquées par radio et/ou par les lampes du panneau de la soute en fonction de l’équipement de l’avion.
On le voit, l’usage du retardant nécessite bien plus que des avions, mais s’inscrit dans un système complexe faisant intervenir un grand nombre d’entités. Il faut des infrastructures fonctionnelles et des personnels formés et ceci ne s’improvise pas. Ce mode de fonctionnement, cette doctrine générale de lutte contre les feux, faisant appel à des moyens complémentaires a largement fait ses preuves depuis de nombreuses décennies.
Même si le ballet fascinant des Canadair à l’écopage peut paraître une arme absolue, elle n’est pas la seule ; le travail au retardant n’en possède pas moins de sérieux atouts opérationnels d’autant plus que, désormais, c’est un système parfaitement rodé dans notre pays.