Un DC-10 au Chili

Deux ans après les incendies de la Cordillère des Andes qui avaient mené le Chili à appeler à l’aide les moyens de plusieurs entreprises américaines spécialisés et le Ministère des Catastrophes Naturelles russe, le gouvernement de Santiago du Chili semble avoir compris que les avions lourds de lutte anti-incendie ont un rôle essentiel à jouer pour amener l’eau ou le retardant là où les pompiers terrestres ne peuvent intervenir qu’avec difficulté.

Le Tanker 910 à Santiago du Chili, il y a quelques jours. (Photo : Jacdec)

Après avoir utilisé le Boeing 747-400 Supertanker et, quelque part, lui avoir mis le pied à l’étrier au point de convaincre ensuite la Californie de lui attribuer un contrat saisonnier et de lui faire connaître deux saisons-feu intenses, le Chili a fait, cette année, appel à la société Tanker 10 et a vu un des quatre DC-10 de l’entreprise arriver à Santiago il y a quelques jours. C’est le Tanker 910 qui a été envoyé sur place, un DC-10-30 entré en service en 2015 en remplacement du premier des avions modifiés par la société américaine, un DC-10-10 qui a été alors retiré du service et démantelé.

Capables d’emporter 35 tonnes de retardant, les DC-10 qui ont plus d’une décennie d’opérations à leur actif désormais, on largement fait leurs preuves aux USA et en Australie. Cet exemplaire aborde désormais un nouveau territoire d’action, très difficile puisque extrêmement montagneux. Mais l’attente des Chiliens est forte.

Comme pour le 747 il y a deux ans, c’est un C295 ACH de l’escadrille VP-1 de l’aviation navale qui lui sert de Lead Plane lors de ses opérations qui ont déjà débuté.

Il y a deux ans, l’intervention du Supertanker avait rendu l’avion emblématique et pratiquement légendaire. Est-ce que le DC-10 arrivera aussi à se rendre aussi populaire ? C’est sans doute le moins important des objectifs des équipes de Tanker 10 à l’heure actuelle.

Le 9 janvier, au retour d’une mission, un des pneus du Tanker 910 a éclaté, projetant quelques débris. Un des volets du triréacteur a été touché, immobilisant l’avion en attendant la réparation. Pour ne pas laisser le Chili démunis de moyens d’intervention, bien que le DC-10 ne soit pas le seul aéronef en action sur place, Tanker 10 a dépêché aujourd’hui le Tanker 914, l’avantage de pouvoir disposer de plusieurs avions…

La mauvaise réputation 2 : Le McDonnell Douglas DC-10

Si on évoque les avions lourdement marqués par leurs soucis de jeunesse, porteurs ensuite d’une triste réputation, le McDonnell Douglas DC-10 arrive en tête de liste. A la fin des années 70 sa seule évocation pouvait dissuader un passager d’embarquer. L’opinion publique, dans le monde entier, avait été frappée par une série de catastrophes aériennes spectaculaires et dramatiques dont les conséquences, pour le constructeur et son produit ont été, également, violentes. Cette triste litanie porte des noms comme  Ermenonville, Chicago O’Hare, Mont Erebus, mais auxquels on peut attacher aussi Windsor ou Sioux City ! Mais la conception de l’avion était-elle réellement fautive ou bien est-ce le caractère spectaculaire de ces catastrophes qui ont empêché le DC-10 de devenir un étincelant succès commercial ?

Courte finale d’un cargo DC-10-10 Fedex en novembre 2000 à Los Angeles. (Photo : René J. Francillon)

Doit-on y voir un signe, mais le DC-10 est né d’un échec !

Au milieu des des années 60, l’US Air Force désigna Lockheed vainqueur du programme CX-HLS destiné à l’équiper d’un avion cargo de fort tonnage et qui vola à partir de juin 1968 sous la désignation C-5 Galaxy. Douglas et Boeing, avaient, sur ce concours, essuyé un cuisant échec. Mais pour que ces couteuses études préliminaires n’aient pas été faites pour rien il était peut-être possible d’en extrapoler un appareil permettant à l’entreprise de se relancer sur le marché civil.

A Seattle, on fit le choix de construire un quadriréacteur qui fait son premier vol le 9 février 1969, le Boeing 747.

Si Douglas avait récemment connu de grands succès commerciaux, autant dans le domaine civil, avec les DC-8 et DC-9, que militaire avec en particulier le A-4 Skyhawk, pour pouvoir disposer des capacités d’investissements indispensable pour étendre ses capacités de production, l’entreprise avait fusionné en 1967 avec McDonnell, constructeur du F-4 Phantom. Au sein du nouveau groupe, Douglas continuait de fonctionner comme une filiale avec une spécialisation marquée vers le marché civil et proposait un tri-réacteur qui fit son vol inaugural le 29 août 1970.

Le premier des prototypes du DC-10 au cours d’un vol d’essais. (Photo : MDC via René J. Francillon)

Le DC-10 entra en service avec American Airlines mais ses débuts furent marqués par un incident grave, le 12 juin 1972. Au-dessus de Windsor, au Canada, le vol 96 était victime d’une dépressurisation violente et dût se poser en urgence. Une porte cargo, mal verrouillée, s’était ouverte en vol.

Le système de verrouillage de cette porte cargo ne fit pas l’objet d’une directive officielle mais le constructeur recommanda qu’il soit modifiée par les compagnies et que les personnels au sol soient très attentifs lorsqu’ils s’assuraient de son verrouillage correct.

Le DC-10-10 N60NA de la compagnie National Airlines, assurant une liaison entre Miami et San Francisco le 3 novembre 1973, connût un incident grave avec son réacteur droit qui se désintégra et dont les pales perforèrent le fuselage, causant une dépressurisation soudaine. L’équipage parvint à garder le contrôle de l’avion et se dérouta à Albuquerque 20 minutes plus tard, mais malheureusement, un passager avait été arraché à son siège et éjecté de l’avion. Son corps n’a jamais été retrouvé. L’enquête démontra plus tard que le réacteur était entré en survitesse après une manœuvre inappropriée de l’équipage sur les fusibles de l’auto-manettes.

Le 3 mars 1974, alors qu’il venait de décoller d’Orly avec plus de passagers que prévu, en raison d’un mouvement de grève en Grande Bretagne, le DC-10 TC-JAV s’écrasa dans la forêt d’Ermenonville. Victime du même problème que l’avion de Windsor, la petite porte cargo s’était ouverte dès que la différence de pression entre l’intérieur du fuselage et l’extérieur avait été assez grande.

Le DC-10 de la THY, quelques mois avant le drame. (Photo : Clipperarctic)

Le plancher de l’avion s’est effondré, plusieurs personnes ont été éjectées par le trou béant et, les commandes de vol endommagées, l’avion a terminé sa trajectoire en éventrant la forêt à grande vitesse, une trace toujours visible 45 ans plus tard.

Une clairière au milieu de la forêt d’Ermenonville au nord de Paris, ici vue depuis l’ouest. Un repère assez facile pour le VFR. Mais peu d’aviateurs savent que c’est là que le TC-JAV a terminé sa courte carrière en mars 1974.

346 personnes ont payé de leur vie ce très léger défaut de conception de l’avion et qui n’avait pas été corrigé sur l’avion de la Turkish Airlines, le plus lourd bilan pour une catastrophe aérienne à l’époque. Le constructeur fut ensuite condamné à payer 80  millions de dollars aux familles des victimes après un long procès qui fut largement médiatisé.

La réputation de l’avion était touchée mais le problème ayant été parfaitement identifié et corrigé sur tous les DC-10, on pouvait imaginer que la carrière du triréacteur allait se poursuivre enfin loin des projecteurs.

Le 25 mai 1979, 5 ans après la tragédie parisienne et alors que l’avion n’avait plus vraiment fait parler de lui auprès du grand public, le DC-10 revint dramatiquement sur le devant de la scène.

A la veille du Memorial Day, le DC-10-10 N110AA devait assurer le vol 191 à destination de Los Angeles depuis Chicago avec 271 personnes à bord dont 13 pour l’équipage. Alors que l’avion effectuait sa rotation et commençait à s’envoler, le réacteur situé sous l’aile gauche s’arracha et tomba, endommageant au passage des conduites hydrauliques et les becs de bord d’attaque. L’avion bascula vers la gauche et tomba sur un terrain où se trouvaient des Mobile-homes tuant deux autres personnes.

DC-10 chicago (Michael Laughlin)

Deux photos entrées dans l’histoire. Prises par un jeune élève pilote de 24 ans, elles montrent le DC-10 sans son réacteur gauche basculer et la dramatique explosion au moment de l’impact. Elles firent le tour du monde. McDonnell-Douglas ne pouvait craindre pire publicité pour son avion. (Photo : Michael Laughlin)

Les images sont terribles et la confiance des passagers envers l’avion largement ébranlée, confirmée par la suspension du certificat de navigabilité de l’avion par la FAA, le 6 juin suivant, clouant au sol l’ensemble des DC-10 aux USA et à destination du pays. Cette décision fut levée le 13 juillet suivant mais le mal était fait pour la réputation de l’avion, soupçonné de semer ses moteurs un peu trop facilement.

Le résultat de l’enquête démontra que la maintenance des réacteurs au sein d’American Airlines n’était pas faite selon les normes. Les mécaniciens de la compagnie avaient pris l’habitude de déposer les moteurs toujours solidaires de leur pylônes alors que le constructeur recommandait de séparer ces éléments. Et c’est effectivement au niveau des attaches du pylône sous l’aile du DC-10 que la rupture est survenue. La compagnie a été condamnée à 500 000 USD d’amende pour mauvaise maintenance.

On raconte que, lorsque les vols des DC-10 ont repris, quand les passagers, inquiets, demandaient au personnel navigant commercial : « C’est pas un DC-10 au moins ? », ces derniers répondaient, « mais non voyons, c’est un McDonnell-Douglas… » et que parfois, lorsque le type de l’avion figurait sur le fuselage, il pouvait être effacé.

Las, l’avion n’était pas au bout de son martyrologe. Le 28 novembre 1979, alors même que l’accident de Chicago était encore dans toutes les mémoires, un DC-10-30 d’Air New Zealand, qui effectuait une boucle touristique autour de l’Antarctique, disparut. Il fut retrouvé quelques jours plus tard, pulvérisé sur une pente au pied du Mont Erebus. Là encore, aucun survivant parmi les 257 personnes se trouvant à bord.

La dérive du NZ-NZP gisant sur les pentes du Mont-Erebus. (DR)

Il fallut quelques mois pour comprendre que cette fois, ni l’avion, ni sa conception, ni sa maintenance n’étaient en cause, juste un équipage évoluant à basse altitude qui est entré dans une couche de nuages qui lui masquait le relief.

Ces accidents n’étaient pas sans répercussion sur le carnet de commande qui s’asséchait progressivement. Si 41 avions furent livrés en 1980, il n’étaient plus que 10 quatre ans plus tard. Il fallut attendre le lancement du MD-11 pour retrouver, temporairement, des rythmes de production dignes du grand constructeur qu’était MDC.

Et pourtant, la poisse continuait de poursuivre le DC-10. Le 19 juillet 1989, le réacteur central du DC-10-10 N1819U assurant le vol UA 232 entre Denver et Chicago explosa et dispersa ses ailettes qui sectionnèrent une partie des commandes de vol, dont la profondeur. Néanmoins, en jouant avec les gaz des deux autres réacteurs, l’équipage parvint à s’approcher de la piste de Sioux-City. La suite a été filmée depuis l’extérieur de l’aéroport.

La terrible vidéo de l’accident de Sioux City.

L’avion décrocha en courte finale et percuta le sol. Sur les 296 occupants de l’avion, 111 personnes perdirent la vie mais 185, principalement assises au milieu du fuselage, survécurent. Aussi surprenant que cela puisse paraître, les quatre membres d’équipage furent retrouvés vivants. Ils furent salués pour leur courage et leur ténacité qui a permis de sauver un grand nombre de passagers ce jour-là.

Dans le désert du Niger, à 300 km au nord-ouest du Lac Tchad, l’immense mémorial des victimes du vol UTA 772 se recouvre progressivement de sable. (Google Earth)

Le parcours du DC-10 reste émaillé d’autres accidents mais principalement liés à des problèmes d’exploitation. La compagnie française UTA fut aussi cruellement frappée en septembre 1989 par un attentat à la bombe qui fit  170 victimes au-dessus du Niger.

Alors que le Lockheed Electra a été clairement sauvé par les militaires et la version P-3 Orion, la version de ravitaillement en vol proposée à l’USAF à la fin des années 70 n’est commandée qu’à 60 exemplaires, ce qui représente une part non négligeable de la production du DC-10 mais à l’échelle de ce que l’Orion a représenté pour Lockheed, on est loin d’un triomphe. Ces modifications apportée pour permettre le ravitaillement en vol d’autres aéronefs ont ouvert la voie à quatre conversions de DC-10 à cette mission.

L’USAF a reçu 60 KC-10 de ravitaillement en vol.

Ces KDC-10 sont en service à raison de deux exemplaires pour l’aviation militaire néerlandaise et deux autres, exploités par la compagnie Omega Aerial Refueling Services pour le compte du Department of Defense US.

L’aviation Néerlandaise exploite deux KDC-10 ravitailleurs en vol. Des avions sont régulièrement vus à Nîmes où ils sont entretenus par Sabena Technics. (Koninklijke Luchtmacht)

Le 446e et dernier DC-10 sortit de chaîne en 1989 et laissa la place au MD-11, une version allongée et modernisée. Jusqu’alors, bien qu’étant à la traîne, le DC-10, avec ses 446 exemplaires, n’était pas ridicule même si son concurrent direct, le 747 avait alors largement dépassé les 750 exemplaires. Mais un coup fatal aux tri-réacteurs Douglas allait leur être porté avec l’arrivée de la version 747-400 promise à un grand succès commercial. Et dans le même temps, Boeing commençait à engranger les premières commandes pour un biréacteur long courrier à fuselage large, à grande contenance, le Boeing 777.

Un MD-11 de Delta porteur d’une livrée faisant la promotion des Jeux Olympiques de 1996 à Atlanta, ville où se situe son siège et son principal hub.

Cette situation difficile allait devenir inextricable lorsqu’en août 1997, Boeing prit le contrôle de son concurrent historique. Les anciens produits Douglas furent rapidement arrêtés pour ne pas risquer qu’ils fassent de l’ombre aux appareils conçus à Seattle. Le 200e exemplaire du MD-11 sortit de chaîne en 2001, il n’y en aura pas d’autres.

Au sein des compagnies aériennes, les tri-réacteurs commençaient singulièrement à perdre leur intérêt face aux biréacteurs performants et modernes qui entraient alors en service. Les certifications ETOPS (Extended-range Twin-engine Operation Performance Standards – Standards de performances pour les opérations des biréacteurs à autonomie accrue), qui permettent à ces appareils d’évoluer à des distances de plus en plus grandes des aéroports de déroutement anéantirent même l’intérêt de disposer d’un réacteur de plus. Les attentats du 11 septembre, et la crise temporaire que connût alors le transport aérien, entraîna le retrait de service rapide de ces avions devenus des non-sens opérationnels et économiques. En janvier 2007, Northwest Airlines retira ses derniers DC-10 signant la fin de la carrière de ces avions au sein d’une compagnie de premier plan.

Les derniers vols passagers de la famille ont eu lieu en 2014, le 24 février pour le DC-10 avec Biman Bangladesh Airlines et KLM, le 26 octobre pour le MD-11, respectivement 40 et 24 années après les premiers vols des deux types.

Désormais, les avions restants opérationnels, DC-10 modifiés en MD-10 et MD-11 sont configurés en cargo, Fedex en est un des principaux utilisateurs. Leur charge utile, la largeur de leur fuselage et la puissance des trois réacteurs en ont longtemps fait les principaux outils de développement de la compagnie. Mais aujourd’hui, cette flotte est en cours de déflation, remplacée par des Boeing 767 et 777.

Belle lignée de DC-10 sur le hub de Fedex à Indianiapolis en 2007. (Fedex)

Parmi les DC-10 notables, il n’est pas inutile de rappeler le DC-10 transformé en hôpital ophtalmologique mobile, pour le compte de la fondation Orbis, remplacé en 2016 par un MD-10 justement offert par Fedex.

Évidement, on ne peut passer sous silence les 5 DC-10 devenus avions de lutte anti-incendies pour le compte de la compagnie Tanker 10. Si le premier, un DC-10-10, a été retiré du service à la fin de la saison 2014, les quatre DC-10-30 toujours en service ont été largement employés par le Cal Fire, l’US Forest Service et même les services Australiens. Précurseurs de la catégorie VLAT, ils ont réussi à imposer clairement l’intérêt de disposer d’avion très gros porteurs pour combattre les immenses feux de l’ouest des USA, même si ça ne s’est pas fait en un claquement de doigts.

Tanker 912 en action sur le Erskin Fire au début de l’été 2016. (Photo : AP)

Si on questionne aujourd’hui les équipages qui ont eu la chance de voler sur DC-10, MD-10 ou MD-11, les réponses sont claires, ce sont d’excellents avions. Pour les passagers, et notamment les français qui ont goûté les destinations exotiques d’UTA, d’Air Liberté ou de l’éphémère Aero Lyon, le souvenir est également plein de nostalgie délicieuse.

L’avenir des DC-10 et MD-10 est désormais limité. En dépit de leurs qualités, les aspects économiques en exploitation en ligne ne peuvent masquer le manque de performance de ces appareils face à celles des biréacteurs modernes dont l’hégémonie se fait, à chaque nouveau modèle, de plus en plus évidente. Pour les missions où ces facteurs comptent moins, il est possible que la qualité des appareils Douglas leur permettent de durer très longtemps encore. Ce sera le cas sans doute pour les appareils de Tanker 10 mais aussi pour les KC-10 de l’USAF.

Couleurs, formes, provenance, ce MD-11 de China Eatern photographié à Los Angeles en 2000 aurait clairement encore de quoi exciter les spotters, bien plus que les insipides biréacteurs modernes ! (Photo René J. Francillon)

Il serait tentant de penser que sans les accidents des années 70, la formule tri-réacteur aurait pu tailler des croupières aux autres appareils et que le DC-10 aurait dû connaître un tout autre destin. Une simple directive de la FAA après Windsor aurait clairement évité Ermenonville, une maintenance plus rigoureuse aurait empêché la catastrophe de Chicago… Mais le sens de l’histoire, l’économie du transport aérien, aurait, de toute façon, donné la victoire finale aux biréacteurs. Il est cependant clairement injuste de penser aujourd’hui que cet avion était dangereux et mal conçu…

Orbis, du DC-10 au MD-10

Le DC-10 est devenu un avion bien rare. Plus de 45 ans après son entrée en service, il a été supplanté par d’autres machines plus performantes. Sa production s’est limitée à très exactement 446 exemplaires dont 60 KC-10 Extender de ravitaillement en vol commandés par l’USAF. Barré par le 747, il a été aussi été durement touché par une série d’accidents spectaculaires entre 1974 et 1979 qui ont entraîné un assèchement fatal des commandes.

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Le N10DC « Ship One » au cours des essais de vitesse minimale de décollage à Edwards AFB en 1971. (Photo : MDC via René J. Francillon)

Échec commercial pour son constructeur, le DC-10 fut néanmoins adulé plus tard par ses passagers et ses équipages. En France, il fut, bien sûr, l’avion emblématique de la compagnie UTA, chargé des voyages exotiques en  Afrique ou aux Antilles. Il vola aussi pour AOM et Aerolyon, des compagnies également synonymes de vacances et de soleil. Il n’est donc pas étonnant que les passagers ont gardé un bon souvenir de leurs vols. Mais n’oublions pas qu’un DC-10 d’UTA a malheureusement été pulvérisé en plein ciel, au dessus du Niger, par une bombe libyenne en 1989.

Parallèlement à son intense carrière de transporteur de passagers, le DC-10 a été un avion extrêmement apprécié pour le transport de fret, son fuselage large étant parfaitement adapté à cette mission. Évidement, il n’est pas possible non plus de ne pas évoquer les trois DC-10 de la compagnie 10 Tanker qui sont utilisés comme avions de lutte contre les feux de forêts aux USA et en Australie. En fait, la majeure partie de la carrière commerciale du DC-10 s’est déroulée sans histoire et aujourd’hui, le DC-10 ne fait donc plus vraiment les gros titres.

Pourtant, le DC-10 été à nouveau mis en lumière en Californie, il y a tout juste quelques jours, et son histoire est de celle que la grande histoire de l’aéronautique ne retiendra pas forcément, mais qui a pourtant changé la vie de milliers de personnes.

Le DC-10-10 aujourd’hui immatriculé N220AU est le deuxième DC-10 produit et porte le numéro constructeur 46501. Il fut initialement immatriculé N101AA car destiné à American Airlines. Il fait son premier vol en janvier 1971, quelques mois après le vol inaugural du premier appareil de la lignée, le MSN 46500 immatriculé N10DC et surnommé « Ship One ». Ce dernier n’était pas un prototype. C’était un avion destiné à être mis au standard commercial une fois les essais en vol achevés. Le deuxième avion produit, « Ship Two » était aussi destiné à rejoindre une compagnie, American Airlines comme son immatriculation l’indiquait. Il a donc été équipé d’entrée de tous les systèmes prévus dont celui permettant les atterrissages automatiques, stratégique pour l’exploitation commerciale du triréacteur. Ces essais débutent en mars 1971 et très vite, il s’avère que la mise au point du système « Autoland » risque de prendre plus de temps que prévu. Pour éviter aux livraisons de prendre du retard, Mc Donnell Douglas et American Airlines se mettent d’accord. La compagnie prendra livraison du « Ship One » et le « Ship Two » servira d’appareil d’essais.

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« Ship One » au cours d’un de ses premier vols d’essais au-dessus de la Californie. (Photo : MDC via René J. Francillon)

En décembre 1972, les deux appareils échangent donc leurs immatriculations. Le MSN 46500 « Ship One » devient donc le N101AA tandis que le MSN46501 « Ship Two » devient le nouveau N10DC et permet à McDonnell Douglas de poursuivre les essais en vol.

En juin 1977, cette tâche effectuée et remis au standard commercial, il est livré à la compagnie britannique Laker et immatriculé G-BELO. On le retrouve ensuite immatriculé N183AT pour ATA et en 1986, il retourne en Grande Bretagne comme G-GCAL pour Cal Air puis Novair. Lorsque cette compagnie cesse son activité en 1990, l’avion est stocké un temps avant d’être vendu pour $14 millions à Orbis International. Pour 15 millions de plus, l’avion est converti, dans l’Alabama, en hôpital ophtalmologique volant, une opération qui prend 18 mois. Dans cette nouvelle configuration, il effectue sa première mission en Chine en 1994.

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le N220AU d’Orbis, ancien « Ship Two ». (Photo : Orbis)

Orbis est une Organisation non gouvernementale à but non lucratif créée en 1982. Elle nait d’un constat simple ; dans de nombreux endroits, les personnels soignants n’ont souvent pas les moyens de s’offrir un billet d’avion pour venir se former aux techniques les plus avancées dans les universités du monde occidental. Parmi les problèmes recensés, les maladies ophtalmologiques qui peuvent parfois entraîner la cécité sont ceux qui nécessitent une grande technicité des personnels médicaux et souvent un matériel de pointe.

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Le DC-8 N220RB, premier hôpital ophtalmologique d’Orbis. (photo : Aeroprints.com)

Grâce à un financement initial venu des industriels du monde médical et aéronautique, Orbis équipe le Douglas DC-8-21 N220RB offert par United Airlines en hôpital ophtalmologique volant totalement opérationnel.

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Le DC-8 Orbis (en haut à gauche, derrière un Harbin SH-5) désormais exposé au musée national de l’aviation à Pékin. La Chine est un des pays régulièrement visités par Orbis.

En 1992, le DC-8 est donc remplacé par le DC-10 46501, ancien « Ship Two » et désormais immatriculé N220AU, beaucoup plus volumineux et offrant aussi de plus grandes capacités d’accueil et un confort accru. Ce changement d’appareil entraîne aussi une modernisation complète de l’ensemble du matériel médical disponible à bord.

Depuis 1982, Orbis a ainsi participé à la formation de 325 000 personnels soignants, notamment grâce au bloc opératoire qui fonctionne selon les principes d’un hôpital universitaire et qui dispose de tout le matériel nécessaire pour que les opérations les plus pointues puissent être suivies en direct depuis la salle de classe, d’où l’importance de la régie audiovisuelle existante à bord. 11 millions d’examens oculaires ont été ainsi effectués dans 92 pays afin de prévenir les bénéficiaires d’une  possible cécité en diagnostiquant à temps le glaucome, la cataracte, le trachome, la rétinopathie chez les enfants prématurés et le strabisme.

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En raison de son histoire, le N220UA était déjà un appareil assez peu fatigué. En 1999, il n’accusait que 36 000 heures de vol, à une époque où d’autres DC-10, construits bien après lui, avaient déjà dépassé les 100 000 heures de vol. En raison de son rôle si particulier, l’avion est loin de voler aussi intensément qu’en compagnie régulière. Orbis a annoncé qu’entre 1994 et 2016, au cours de ses 22 ans de service pour l’ONG, l’appareil a parcouru environ 1 500 000 km ce qui ne représente qu’environ 2000 heures de vol. Ses équipages sont des pilotes de lignes qualifiés sur DC-10, provenant généralement de Fedex, et qui viennent convoyer l’avion bénévolement lorsqu’un déplacement est prévu. Pourtant, dès le début de cette décennie, son remplacement avait commencé à faire parler de lui.

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Le DC-10 N220UA à Los Angeles International en juin 2016, prépositionné pour sa cérémonie de retrait de service. (Photo : A. Grondeau/Heading West)

En 2011, Fedex, grand utilisateur d’avions cargo, annonçait offrir à Orbis un de ses avions MD-10, en fait un DC-10 modernisé avec l’avionique contemporaine du MD-11. Il ne nécessite plus qu’un équipage de deux hommes au lieu de trois auparavant, le poste de Flight Engineer étant supprimé. La distance franchissable du MD-10-30 est de 10 000 km environ, contre 7000 les appareils de la série DC-10-10.

L’avion en question est le DC-10-30CF numéro de constructeur 46800, 96e appareil de ce type produit et livré en avril 1973 à Trans International Airlines en tant que N101TV. Avion cargo dès l’origine, il passe ensuite chez Transamerica en 1979 puis Air Florida en 1981, non sans avoir volé un temps pour Nigeria Airways. En 1983, il est de retour chez Transamerica avant d’être racheté par Fedex en 1984. Il change alors d’immatriculation pour devenir N301FE et il est converti au standard MD-10-30F. En 1999, cet avion avait déjà accumulé plus de 60 000 heures de vol.

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Le nouveau MD-10 d’Orbis à Victorville.

Offert donc à Orbis en 2011, il est immatriculé N330AU et le chantier de transformation est confié à Southern California Logistics à Victorville en Californie. La cérémonie d’adieux au premier DC-10 Orbis et l’inauguration du MD-10 a finalement lieu sur l’aéroport de Los Angeles International le 4 juin 2016.

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Le nouveau MD-10 d’Orbis au décollage à Victorville il y a quelques jours. (Photo : Orbis)

L’ensemble de l’équipement intérieur est particulièrement novateur car installé dans 9 conteneurs cargos aériens habituels mais largement modifiés afin de permettre une approche modulaire de l’aménagement qui pourra ainsi évoluer au fur et à mesure des besoins et des évolutions technologique du domaine.

L’agencement général est légèrement différent de celui de son prédécesseur car il comporte, de l’avant vers l’arrière d’une salle de classe/conférence de 46 places reliée aux différentes salles d’intervention ainsi qu’à la salle de stérilisation, d’une pièce dédiée au travail administratif de l’équipe, la régie audiovisuelle, puisque l’avion dispose de la capacité de filmer et diffuser les opérations en 3D, la salle d’examen et de soins au laser, une salle d’observation, le bloc opératoire, l’espace de stérilisation, la salle de réveil et de soins post-opératoires, l’espace de travail biomédical, le vestiaire des patients et du personnel médical. Chacune de ces salles est sponsorisée par différentes compagnies ou partenaires privés. Ainsi la salle de réveil porte le nom de Fedex et la salle d’examen et de soins au laser est désormais parrainée par la société de produits L’Occitane en Provence qui, par le biais de sa Fondation a fait de la lutte contre la cécité un de ses axes de recherche et décerne tous les deux ans, depuis 2013, l’Occitane Sight Award pour distinguer un médecin ophtalmologue et apporter un financement à ses travaux de recherche.

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Inauguration de la salle d’examen et de soin au laser du MD-10. (Photo : Orbis)

Dans le cadre de cette mise en service, le MD-10 Orbis effectue en juin 2016 une tournée aux USA afin que le grand public et les sponsors éventuels viennent découvrir cet outil moderne et participer ainsi à son financement. La première étape a donc été Sacramento, la capitale de l’État de Californie. Il sera ensuite présenté à New York, Washington DC, Memphis et à Dallas. La première mission est d’ors et déjà prévue en Chine au mois de septembre.

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Cindy Crawford présente la salle de réveil du nouvel hôpital volant, c’est un peu ironique quand on sait le nombre de « fractures de l’œil » (souvent chez les mâles) qu’elle a causé… et qu’elle cause encore ! Les ours en peluche, dont un stock important se trouve en permanence à bord, sont sponsorisés par OMEGA. (Photo : Orbis)

Avec son nouveau MD-10, Orbis franchit un cap technologique important. Les missions effectuées par cet hôpital volant ne seront jamais très médiatiques mais pour les patients qui auront, grâce à leur passage à bord de cet avion, été diagnostiqués à temps et soignés, nul doute qu’il restera un souvenir impérissable. C’est aussi un chapitre de plus dans l’histoire du triréacteur McDonnell Douglas, un avion à l’histoire tourmentée, souvent caricaturée à l’extrême et pourtant d’une très grande richesse.

 

Merci à René J. Francillon pour ses éclaircissements érudits sur l’histoire individuelle des deux premiers appareils produits ainsi qu’à Antoine Grondeau pour m’avoir autorisé à publier sa photo du DC-10 Orbis à LAX, point de départ de cet article.

Note : Orbis indique que leur DC-10 N220UA ex « Ship Two » sera confié au Pima Air & Space museum à Tucson, Arizona.

Traces de drames

Si l’observation des photos aériennes de Google Earth peut être un moyen simple de spotter sans sortir de chez soi et d’observer des avions rares et originaux, il est aussi possible de trouver les traces d’évènements plus tragiques, qui ont aussi marqué l’histoire de l’aviation. En voici deux exemples.

Au nord-est de Paris, à très exactement 38 km du parvis de Notre-Dame, près de Senlis, cette clairière d’environ 700 mètres de long n’a absolument rien de naturel.

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Il y a bientôt 42 ans, c’est là que le DC-10 TC-JAV de la Turkish Airlines a terminé son court vol quelques minutes après avoir décollé d’Orly en direction de Londres, le 3 mars 1974. A bord se trouvaient 346 personnes, passagers et membres d’équipage.

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Le TC-JAV de Turkish Airlines photographié à Londres l’année précédent le drame. (Photo : Clipperarctic)

L’histoire est connue. Sur ce type d’avion récemment entré en service, le verrouillage des portes de la soute et le système qui en permettait la vérification était très imparfait. Arrivé à une altitude où l’effet de la pressurisation de la cellule devenait sensible, environ 12 000 pieds (4000 mètres), la porte qui avait été mal fermée, ce qui n’avait pas été vérifié, a cédé. Une partie du plancher de l’avion s’est alors effondré, entraînant quelques malheureux dans une chute aussi soudaine qu’inexorable mais bloquant aussi les commandes de vol dont les tringleries passaient là. Un tout petit peu plus d’une minute plus tard, l’avion percuta le sol à très grande vitesse, à plus de 480 kt (860 km/h), légèrement incliné sur la gauche mais avec une assiette à piquer de seulement 4°.

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Le site du drame peu après l’accident. Cette photo démontre de façon incroyable la puissance de l’impact de l’avion. (Photo : Beutter/SIPA)

Un incident similaire était survenu à bord d’un avion d’American Airlines, alors au-dessus de Windsor dans l’Ontario deux ans plus tôt, mais l’effondrement du plancher n’avait pas coupé les commandes et l’équipage avait pu ramener l’avion au sol. Cet incident grave n’avait cependant pas donné lieu à une consigne de navigabilité qui aurait rendu des modifications du système de verrouillage et de sa vérification de la porte cargo obligatoire.

Douglas, à la suite du procès consécutif au drame, a été lourdement condamné. Dans la forêt d’Ermenonville, un monument a été érigé non loin du site exact du drame et les très nombreux promeneurs du secteur ont pris l’habitude de déposer les débris métalliques qu’ils retrouvent encore à son pied. Très visible depuis le ciel, cette clairière témoigne directement de ce terrible évènement qui était, à l’époque, la plus grave catastrophe de l’histoire de l’aviation commerciale.

Près d’Amsterdam, à exactement 12 kilomètres du seuil de piste 27 de Schiphol, près d’une barre d’immeuble alors en déconstruction, l’empreinte au sol d’un bâtiment similaire  est encore visible sur cette photo datant de 2004.

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Le 4 octobre 1992, le Boeing 747-200F immatriculé 4X-AXG appartenant à la branche cargo de la compagnie El Al, décolla de Schiphol, piste 01L (devenue depuis une 36L), à destination de Tel Aviv chargé de 114 tonnes de marchandises. Seulement quelques minutes après le décollage, alors que l’appareil atteignait 6500 pieds, le réacteur numéro 3 et son pylône se sont détaché de l’aile droite en percutant le réacteur numéro 4 au passage, qui, lui aussi, tomba dans le lac que l’appareil survolait alors. L’équipage réclama immédiatement l’autorisation de revenir se poser au plus vite sur l’aéroport. Après quelques tergiversations, l’avion fut autorisé à rejoindre la piste 27.

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le Boeing 747 4X-AXG en juin 1978. (Photo : Aero Icarus)

8 minutes après l’incident, et alors que le Boeing se trouve à une dizaine de km du but, et que l’équipage est en train de réduire la vitesse en vue de l’atterrissage, l’avion devint incontrôlable et tomba presque à la verticale, directement sur cet immeuble de 11 étages qu’il éventra.

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L’immeuble éventré par la chute du Boeing 747, quelques heures après le drame.

Outre l’équipage de quatre hommes, on releva 39 corps d’habitants de l’immeuble, 31 appartements ayant été dévastés par le crash.

La perte des deux réacteurs fut attribuée à la rupture de la fixation du pylône à l’aile du réacteur 3, un problème qui s’est produit à plusieurs reprises dans l’histoire du 747, notamment l’année précédente où un autre 747-200 cargo, appartenant à China Airlines, avait subit exactement le même problème avec le réacteur numéro 3 se détachant et percutant le numéro 4. Les conséquences furent les mêmes et l’avion s’écrasa, heureusement dans une zone inhabitée. En 1993, un 747-100 d’Evergreen perdit son réacteur numéro 2  au décollage d’Anchorage mais était parvenu à revenir se poser.

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Le site du drame, tel qu’il se présente en juin 2015.

Trop endommagé, l’immeuble touché par le Boeing fut démoli et il n’en resta longtemps qu’une simple trace au sol. Au cours des années 2000, c’est la seconde barre de qui fut déconstruite et l’ensemble laissa la place à un lotissement moderne, faisant disparaître les derniers signes encore visibles de la chute du Boeing. Mais l’accident a laissé une marque profonde aux Pays-Bas par les fortes polémiques qu’il a entraîné, notamment sur la nature exacte de la cargaison de l’avion, sur le bilan précis du drame et sur la disparition d’une des deux boites noires.

L’urbanisme ne peut suffire à faire oublier cette sombre histoire.

« Thor » ne va bientôt plus être seul Down Under (MàJ 24 octobre)

Comme annoncé, l’Australie va recevoir d’ici peu un renfort de taille pour affronter les feux de l’été à venir. Après l’arrivée du Tanker 132 de Coulson Flying Tankers, c’est le DC-10 Tanker 910 N612AX qui est attendu après un convoyage au-dessus du Pacifique, ce qui, pour un ancien long courrier, ne devrait être qu’une simple formalité.

L’appareil a décollé d’Albuquerque il y a quelques minutes.

Tanker 910 en direction de l'Australie

Le N612AX est le nouveau Tanker 910 et a été baptisé « Southern Belle ». L’an dernier, 10 Tanker a procédé au retrait de service de son premier appareil, un DC-10-10 arrivé au bout de son potentiel. Pour des raisons purement marketing, le DC-10-30 qui a pris sa succession a repris également son numéro de Tanker. Mais ce n’est pas une usurpation puisque la soute de 45 000 litres du premier Tanker 910 a été installée sur le second. Une forme de passation de pouvoir.

D’ici quelques jours, la Province de Nouvelle Galles du Sud pourra donc disposer de deux avions lourds aux capacités importantes, une expérience qui pourra sans doute finir de convaincre les autorités australienne de l’importance de ce type de moyens d’intervention.

Début décembre, désormais libre de son contrat avec l’US Forest Service, le C-130 Tanker 131 de Coulson, muni d’une nouvelle soute RADS-XXL de 4400 US gal, viendra les rejoindre. Rarement, les forêts australiennes, et la population de l’île-continent, auront bénéficié d’une telle protection !

Les systèmes d’armes des bombardiers d’eau

Puisqu’on parle souvent de la « guerre » des feux en parlant du combat mené par pompiers contre les incendies en milieu naturel – puisque les forêts ne sont pas les seules touchées et qu’on trouve tout aussi bien des feux de brousse que de prairies – et que l’aviation procure l’appui aérien indispensable et souvent décisif aux actions menées par les « fantassins-pompiers », peut-être n’est-il pas inutile d’évoquer les différents « systèmes d’armes » qu’on retrouve sous les appareils en charge de ces missions.

Outre le produit utilisé, eau pure, eau additionné de produit mouillant ou moussant, retardant ou gel et la quantité embarquée qui constituent l’arme et qui jouent de façon importante sur l’efficacité de l’opération, la façon dont cette charge est amenée jusqu’au sol peut influer jusqu’aux tactiques utilisables.

Les  S2T Tracker du Cal Fire disposent d’une soute interne de 4400 litres et d’un système de largage « constant-flow ». Ils sont donc parfaitement taillés pour leur mission d’attaque initiale. (photo : Wes Schultz/Cal Fire)

Celles-ci reposent d’ailleurs sur trois méthodes principales : l’attaque directe sur les flammes pour les souffler et les éteindre, l’attaque semi-directe avec une partie de la charge sur le front de flamme et l’autre en amont du feu, et le largage indirect qui correspond à la pose de barrières de retardant en avant ou sur les flancs du feu à combattre. Un bon système de largage doit donc répondre au mieux à au moins un de ces principes, sinon les trois.

Soute dite « conventionnelle » à gravité et largage par portes.

C’est le principe de fonctionnement le plus évident. La soute est compartimentée et le contenu de chaque compartiment est largué par l’ouverture d’une porte. L’appareil porteur, autrement dit le vecteur, peut donc effectuer autant de largages partiels qu’il y a de couples compartiments/portes et peut également procéder à un largage important en ouvrant tout simultanément.

Sur un système à quatre portes, on peut donc avoir des largages 1;2;3;4, ou bien 1+2+3+4, 1+2;3+4 ou 1+3;2+4 si le système le permet. Dans le premier cas, le largage est massif, dans le second, l’empreinte au sol est plus longue, ce qui offre une certaine polyvalence au système, les autres combinaisons représentent des possibilités intermédiaires souvent utiles. Imaginez aussi les possibilités offertes par les 22 portes du Martin Hawaï Mars !

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Ce CL-415 de la Sécurité Civile française utilise les deux portes tribord pour ce largage demie-charge. Jusqu’à 3000 litres peuvent être ainsi déversés.

En général la fiabilité est très correcte et l’efficacité avérée pour les largages directs et semi-directs. L’utilisation d’une soute conventionnelle pour les largages indirects est tout à fait possible avec une efficacité convenable.

Ce système est celui qui a été adopté par les amphibies à coque (Canadair CL-215, CL-415, Beriev 200 et donc, le Martin Mars). On le retrouve aussi sur un certain nombre de Tankers, comme les P2V Neptune, Conair Tracker et Douglas DC-7 aujourd’hui en service. De nombreux kits pour Hélicoptères Bombardiers d’Eau (HBE) fonctionnent également sur ce principe.

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Détail des quatre portes de la soute d’un S2FT Tracker Firecat modifié par Conair pour la Sécurité Civile française.

Largage par gravité, système à portes « constant flow » à débit constant.

Mises au point par la compagnie américaine Aero Union à la fin des années 80 pour équiper ses SP-2H Firestar, les soutes à débit constant ont été commercialisées sous la désignation RADS pour Retardant Aerial Delivery System (système de largage aérien de retardant) pour les C-130A des compagnies TBM, Butler et T&G. Ce principe a ensuite fait école et a été produit par plusieurs autres opérateurs.

Son fonctionnement est proche de celui de la soute à gravité classique à la différence que si la soute est également compartimentée ce n’est plus que pour éviter les mouvements de la charge et son influence sur le centrage de l’avion. Le « constant flow » ne comporte alors que deux portes qui régulent le flux du largage. Pour le pilote, le mode opératoire est, du coup, légèrement différent.

Plutôt que de régler le nombre de compartiments à vider lors de la passe, le pilote d’un « constant flow » utilise deux boutons pour prérégler la quantité globale de liquide à larguer et la concentration de produit qu’il veut obtenir au sol ce qui, passé au crible du calculateur embarqué, donne un temps et une ampleur d’ouverture des portes.

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Détail des portes de la soute « constant flow » d’un Q400MR Fireguard de la Sécurité Civile française.

Le « constant flow » est, selon les spécialistes, le système le plus fiable et le plus efficace aujourd’hui en service. Il est simple et surtout extrêmement polyvalent. Il permet des frappes massives efficaces en attaque directe ou indirecte en choisissant la quantité voulue et une densité maximale. Il autorise aussi la pose de barrières de retardant adaptées à la situation en choisissant une densité de largage (coverage level) basse pour les feux de plaines ou de prairie, moyenne pour les arbustes et les maquis ou plus haute lorsqu’il s’agit de traiter une forêt, une pinède ou tout autre végétation fournie.

Largages

L’observation d’un largage permet de déceler le système utilisé : à gauche, un système conventionnel à portes, le liquide largué prenant une forme de nuage, à droite un « constant flow » avec un largage régulé très rectiligne au départ.

De nombreux appareils sont aujourd’hui dotés d’un « constant flow », selon différentes configurations, fixes, mobiles, en pod, totalement ou partiellement intégré au fuselage. En fonction de ce choix, il est tout à fait possible de conserver les capacités multirôles des appareils concernés comme c’est le cas pour les C-130 de Coulson Flying Tankers, les Dash 8 Q400MR de la Sécurité Civile ou les hélicoptères lourds AirCrane puisque leurs systèmes anti-incendies sont amovibles. Les DC-10 de la société 10 Tanker, les MD-87 d’Erickson Air Tankers, les Lockheed Electra d’Air Spray, les Convair 580 et RJ85 de Conair ainsi que les Tracker S-2T du Cal Fire sont également équipés de ce système. Les Air Tractor, AT-802F et Fire Boss disposent, quant à eux, d’un système équivalent  baptisé FRDS (Fire Retardant Dispersal System).  C’est aussi un système à débit constant qui est prévu pour l’éventuelle version bombardier d’eau du ShinMeiwa japonais.

Le Tanker 131 de Coulson, qui a signé le grand retour du Hercules dans ce domaine,  dispose d’une soute « constant flow » RADS-XL de 15 000 litres. (Photo : Coulson Flying Tankers)

Le largage sous pression.

Mis au point par FMC Corporation dans les années 70 pour les plateformes MAFFS (Modular Airborne Fire Fighting System ; Système modulaire aéroporté de lutte contre les feux) construites ensuite par Aero Union, il est dérivé d’un système imaginé pour l’application de défoliant par avions dans le cadre des missions de déforestation de la guerre du Vietnam, l’opération Ranch Hand. Le fonctionnement du MAFFS consiste à mettre sous pression le liquide à bord de l’avion, pour le déverser ensuite plus rapidement et augmenter ainsi la densité du produit au sol. Ce mode opératoire était en fait dicté par le cahier des charges initial qui stipulait que l’avion porteur ne devait pas être modifié pour pouvoir emporter le système de réservoirs. Le largage ne pouvait donc s’effectuer que par la rampe arrière ouverte ou par les portes latérales ouvrables en vol, ce qui était le cas avec le prototype. La mise sous pression devait permettre d’avoir un débit supérieur à celui d’un simple déversement et une meilleure densité du produit au sol.

Plateforme MAFFS à poste et ses deux buses en position de largage, ce C-130 de l’USAF est prêt à décoller pour une nouvelle mission de lutte contre les incendies. (Photo : USAF)

Sur le MAFFS 1, la compression se fait au sol en même temps que le remplissage du retardant tandis que sur le MAFFS 2, apparu à la fin des années 2000, la mise sous pression de la charge peut se faire en vol.

La buse latérale du MAFFS 2 est particulièrement visible sur cette photo d’un C-130H de l’AFRes au cours d’une mission d’entraînement dans l’Arizona dans le cadre de la certification du système en 2009. (Photo : Tech. Sgt. Alex Koenig/USAF)

Le largage pressurisé est donc utilisé sur les plateformes mobiles MAFFS 1 (deux buses) et 2 (une buse latérale) embarquées notamment sur C-130 mais on le retrouve aussi en installation fixe sur le Boeing 747 Supertanker d’Evergreen (4 buses en arrière de l’aile) .

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Les quatre buses de largage du  SuperTanker d’Evergreen.

Ce principe se heurte à plusieurs obstacles majeurs : le temps nécessaire pour appliquer la montée en pression de l’ensemble du système et le faible diamètre des buses qui rend ce genre de largage assez étroit, ce qui en réduit l’efficacité en attaque indirecte. S’ajoute à ceci la difficulté du largage d’urgence sur la plupart des systèmes. D’autre part, en raison des principes d’écoulement, la taux de couverture du produit au sol demeure clairement en deçà des largages par gravité, et l’absence d’effet de souffle rend son utilisation pour les largages directs et semi-directs assez discutable d’où un usage au retardant largement privilégié.

Sur un principe analogue, l’hélicoptère lourd Erickson AirCrane peut-être parfois équipé d’une lance à eau directement reliée à sa soute RADS de 9000 litres lui ouvrant la possibilité d’une action de grande précision.

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La lance à eau constitue un autre façon d’utiliser les 9000 litres de la soute RADS de l’AirCrane (Erickson AirCrane)

Utilisable en feux de forêts mais aussi pour des feux urbains ou industriels, ce système n’est cependant que rarement vu monté sur ces engins. Kaman a aussi annoncé que son hélicoptère grue KMax, également engagé contre les feux avec un Bambi-Bucket (voir plus bas) ou un kit de largage spécifique, pourrait être équipé d’un système similaire.

Dans un esprit proche de celui des MAFFS on trouve le largage par gravité par déversement qui a les inconvénients du largage pressurisé mais avec une plus grande simplicité d’emploi. Peu répandu, le principe se retrouve encore aujourd’hui sur les rampes VAP-2 utilisées à bord des Iliouchine IL-76 d’Emercom (45 tonnes d’emport). Il a été aussi utilisé sur les Transall, grâce à une plateforme conçue par MBB, en Allemagne mais surtout en Indonésie.

Illiouchine IL-76 d’Emercom doté d’une rampe VAP-2 au cours de l’exercice Bogorodsk 2002 à Noginsk en Russie. (photo : OTAN)

Les réservoirs sous élingue sont peut-être les systèmes les plus courants, en particulier ceux commercialisés sous la marque « Bambi Bucket », mais il sont spécifiques aux hélicoptères. Le principe est analogue à celui d’une soute conventionnelle à gravité à porte. On trouve différents modèles allant de 300 jusqu’à 20 000 litres, ces derniers étant spécifiques à l’hélicoptère lourd russe Mil Mi 26. Simple et pratique à utiliser, le « Bambi » offre cependant une prise au vent importante qui peut s’avérer pénalisante. Il possède une certaine polyvalence, mais variable en fonction de ce que peut soulever le vecteur. Ces qualités ajoutées à son coût raisonnable et à une grande simplicité de mise en œuvre  en expliquent l’extrême popularité dans le monde entier.

Le Bambi-Bucket et les autres systèmes sous élingue permettent aux hélicoptères d’ajouter facilement la mission de lutte anti-incendie à l’ensemble de leurs autres fonctions.

D’autres systèmes ont été imaginés. Parmi les plus anciens se trouve le réservoir rotatif. De forme tubulaire il est généralement situé sur le dessus du flotteur de l’hydravion.

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Le CF-OBS, premier Beaver de série, a servi jusqu’en 1967 avec ses réservoirs rotatifs. Il est aujourd’hui préservé en parfait état au Canadian Bushplane Heritage Center à Sault Ste Marie dans l’Ontario. (Photo : CBHC)

Sa partie centrale pivote pour libérer son ouverture qui permet ainsi le déversement par les côté de la charge écopée. De contenance relativement faible, ce système archaïque n’est plus en service actuellement, mais il a fait les beau jours des DHC-2 Beaver et DHC-3 Otter pendant des années au Canada.

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Un des deux réservoirs rotatifs du CF-OBS au Musée de Sault Ste Marie. Le système d’alimentation est aussi d’une simplicité extrême. (Photo Damien Defever)

D’autres procédés abracadrabrantesques ont été parfois imaginés comme cet arrosoir géant qui a fait l’objet d’un dépôt de brevet aux USA dans les années 20. On s’étonne qu’il n’ait jamais été produit en série.

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Ou pas !

S’inspirant des pionniers des années 20 qui larguèrent des sacs plein d’eau sur des feux, sans grande réussite, des industriels ont récemment relancé le largage conditionné.

Le PCADS pour Precision Container Aerial Delivery System, commercialisé également sous la désignation de Caylym Guardian, est composé de boites en carton pouvant emporter chacune jusqu’à 1000 litres d’eau ou de retardant. Elles peuvent être larguées ensuite depuis la soute d’un avion cargo militaire standard disposant d’une rampe ouvrable en vol comme les C-130, C-27, Antonov, C-17 ou Airbus A400M par exemple.

Ce système a plusieurs inconvénients majeurs : il permet difficilement d’établir une barrière de retardant homogène. On peut aussi lui reprocher d’apporter du combustible au sinistre, encore que quelques kg de carton restent une quantité négligeable en cas de feu important mais surtout, en cas d’échec de l’ouverture du système, de constituer un danger majeur pour les biens et personnes se trouvant sous sa trajectoire. La précision vantée du système devrait théoriquement lui offrir une certaine efficacité en largage direct, mais le peu d’expérience accumulée sur le terrain ne permet pas encore d’émettre un avis définitif sur le sujet.

Il doit compenser ces désavantages en permettant des largages à plus grande hauteur qu’avec des aéronefs spécialisés, et en étant un outil abordable pour des nations où le risque de feu est faible. Il ne nécessite effectivement aucune modification des avions cargo et, surtout, le coût relativement modique des cartons permet de les garder stockés et pliés dans un coin jusqu’à ce que le besoin de s’en servir survienne. Il sont ainsi clairement destinés à un usage très ponctuel. Le système Caylym Guardian est en service, et a été déjà utilisé, depuis les C-27J de l’aviation militaire roumaine.

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Largage d’essais du système PCADS par un C-130A. (Photo : Flexattack)

Dans ce même esprit, le Hydrop développé par la société Elbit Systems est une variation du principe du largage conditionné. Il est, cette fois, constitué de sachets en matière biodégradable de 200 ml, une taille calculée pour être un compromis entre sa masse, son aspect pratique et son éventuelle dangerosité pour les biens et personnels au sol. Il peut être embarqué dans n’importe quel système de largage et utilisé aussi bien par les avions que les hélicos. Il nécessite cependant une machine spécifique pour le conditionnement des sachets avec de l’eau, du gel ou du retardant ce qui  ce qui ajoute une contrainte et un coût non négligeable à son utilisation.

Son avantage principal est de pouvoir être largué plus haut tout en garantissant une bonne répartition du produit au sol. L’industriel explique donc que son produit est parfaitement adapté pour des largages nocturnes, ouvrant ainsi des perspectives opérationnelles intéressantes. Cependant, si des démonstrations ont été effectuées en 2014, notamment depuis un S-61 de la compagnie Croman doté d’une soute spécifique, elles ne semblent pas avoir été suivies d’applications opérationnelles pour le moment.

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Largage d’une charge Hydrop d’Elbit Systems depuis un S-61 de Croman à Sacramento en mars 2014.

Si, souvent, les appréciations envers les appareils de lutte contre les feux de forêts se limitent à un débat entre la vitesse, la maniabilité supposée des aéronefs concernés et surtout la quantité embarquée, la nature de la charge et le système utilisé pour la délivrer sont également des points essentiels bien souvent oubliés. Pourtant, la fiabilité et la polyvalence de certains systèmes constituent des arguments forts, touchant tout à la fois les domaines opérationnels et commerciaux et qui expliquent aussi la popularité indéniable de certains appareils.

En fait, pour reprendre une analogie militaire, les qualités du vecteur comptent autant que les qualités de l’arme et du système qui a permis de la délivrer, et quand les atouts des uns et des autres s’additionnent, ce sont les flammes qui en font les frais.

(Article mis à jour le 16 septembre 2015.)

English version here

Boeing 747 et DC-10 bombardiers « d’eau », au delà des clichés et des idées reçues.

L’annonce officielle de la possible renaissance du Boeing 747 SuperTanker aux USA la semaine dernière a, une nouvelle fois, déchaîné les passions sur les réseaux sociaux. Comme souvent, des commentateurs plus brillants les uns que les autres, sont venus expliquer doctement que ces avions  énormes, lourds, aux capacités superlatives, sont « clairement incapables d’accomplir les missions qui leurs sont confiées en toute sécurité. » Outre le caractère souvent outrancier de certaines de ces interventions, ces idées reçues et ces clichés sont clairement la conséquence du manque d’explications qui accompagnent les communiqués de presse et les vidéos les plus spectaculaires. Peut-être est-il temps d’analyser ces appareils extraordinaires, leur rôle exact, leurs capacités et leurs coûts ?

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Le Boeing 747-100 Supertanker d’Evergreen Tanker 979 lors de sa démonstration à Châteauroux le 16 juillet 2009.

Pour catégoriser les appareils de lutte anti-incendies capables d’emporter plus de 12 000 litres de retardant ou de produit extincteur, l’US Forest Service a adopté la dénomination VLAT, pour Very Large Air Tanker. Dans cette nouvelle catégorie, on retrouve essentiellement les trois DC-10 de la société 10 Tanker capable d’emporter 45 000 litres (charge ramenée depuis à 35 000 litres) et bien sûr le Boeing 747 et ses 75 000 litres si il est à nouveau admis en service actif.

Précisons que le DC-10, principal VLAT actuellement en service, opère sur feux aux USA depuis désormais 10 ans. Après avoir connu des contrats temporaires avec quelques États comme la Californie, puis des contrats fédéraux mais en renfort à la demande (Call When Needed), 10 Tanker a touché le Graal lorsqu’un contrat d’emploi exclusif pour 5 saisons a été signé il y a deux ans avec l’US Forest Service, concrétisant ainsi clairement que l’avion a désormais fait ses preuves au feu. Parmi les atouts du DC-10 figure son système de largage à débit constant, éprouvé, fiable, polyvalent et efficace.

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Démonstration du DC-10 Tanker 910 le 13 juin 2005 lors du Salon du Bourget.

La notion essentielle et principale qu’il faut bien prendre en  compte dès le départ, c’est qu’un VLAT n’a pas vocation à remplacer une noria d’amphibies ou d’hélicoptères bombardiers d’eau. C’est un outil à vocation stratégique qui est engagé sur des feux où sa capacité d’emport peut faire la différence. Pour cela, il emporte du retardant, un assemblage chimique, bien plus efficace que l’eau seule, qui étouffe les flammes lorsqu’il est largué directement et qui permet de retarder l’inflammation de la végétation en amont du front, et, point important, qui garde ses propriétés chimiques de protection pendant une durée assez longue.

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Le retardant, ça marche ! Sur ce feu de juillet 2015, les traces des largages des avions du Cal Fire sont clairement visibles et correspondent exactement aux limites de ce petit « incident » de 200 ha. (Photo Cal Fire)

Les avions chargés en retardant peuvent ainsi dresser de véritables barrières chimiques sur le chemin du feu et protéger des secteurs ou bloquer définitivement le sinistre. Le retardant est chargé au sol depuis une installation spécialisées, fixe ou mobile, sur un aérodrome. Il est évident que, par rapport à une noria d’amphibies bombardiers d’eau, la productivité des tankers est largement inférieure, mais d’une part, ils sont utilisables dans des zones où les plans d’eau écopables peuvent ne pas être nombreux ni accessibles – il y a des zones touchées par les feux dans des secteurs où il est plus facile de trouver une piste d’aviation qu’un lac – et, d’autre part, le retardant et ses propriétés ont une efficacité à plus long terme que l’eau, son emploi en est donc différent et surtout complémentaire. La comparaison de l’usage qui est fait de ces avions avec, en particulier, celui des amphibies est une erreur fondamentale et pourtant quasi systématique.

Lorsqu’un opérateur décide de se doter d’avions à grand volume de ce genre, il lui faut aussi établir un système de remplissage adapté. Pour les opérations au nord de la Californie, les VLAT utilisent principalement Sacramento McClellan. Cette base dispose d’installations de remplissages qui peuvent être utilisées autant par les VLAT que par les autres appareils en service.

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Le DC-10 Tanker 910 sur la zone de remplissage de l’aérodrome de McClellan à Sacramento, le 24 août 2012. Les installations ont depuis été améliorées. (Google Earth)

Trois points de remplissage standards sont utilisables et peuvent être monopolisés pour remplir un VLAT. Alors, un DC-10 ne nécessite seulement que 20 minutes pour être rempli. Ce système ne dérange pas trop le reste des opérations car si le « pélicandrome » de McClellan est occupé par un VLAT, les autres appareils ont à leur disposition les installations des aérodromes de Santa Rosa, Redding ou Chico à quelques minutes de vol, en fonction de l’emplacement du feu à traiter et du nombre d’avions à remplir. Même chose au sud  où les VLAT peuvent même être accueillis sur plusieurs aérodrome comme Victorville, San Bernardino ou Merced. Avec un remplissage en 20 minutes, un DC-10 peut donc espérer faire au mieux deux largages à l’heure et déverser jusqu’à 90 tonnes de retardant en un ou plusieurs largages…

A titre d’exemple, le 18 juillet 2017, le DC-10 Tanker 911 alors en opérations contre le Detwiler Fire en Californie a effectué 6 heures de vol et procédé à 9 largages et déversé 408 824 litres de retardant établissant le record pour la compagnie.

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La soute « constant flow » à retardant du Tanker 910 est divisée en trois parties remplissables simultanément.

Le Boeing 747 est un peu plus long à charger depuis les installations habituelles. Néanmoins, lors des opérations au Chili, au début de l’année 2017 les opérateurs ont tenté, le 28 janvier, le remplissage en utilisant un camion de pompier d’aérodrome Panther Ca5 en mode pompe. Avec une moyenne de 5800 litres à la minute, le Supertanker a été rempli en 13 minutes seulement ! Précisons seulement que ce remplissage a été fait à l’eau et non pas au retardant.

Mais la plus grande inquiétude exprimées par les différents intervenants concernait clairement le comportement de ces appareils à proximité du sol.

D’une manière générale, en ce qui concerne les bombardiers d’eau, la nécessité de maniabilité est inversement proportionnelle à la charge utile embarquée. Plus un avion emporte de produit extincteur, plus il peut se permettre de ne pas coller au sol pour conserver une efficacité raisonnable. Les qualités de son système de largage entrent aussi largement en ligne de compte. Le retardant s’accorde très bien d’être largué plus haut que l’eau pour une raison simple : le produit se disperse un peu plus et s’étale, couvrant ainsi une surface plus grande. Si le débit du système de largage est bien adapté, la densité du produit au sol peut lui permettre d’obtenir une plus grande efficacité et ainsi éviter la progression du sinistre. C’est ce qui explique que les appareils de lutte anti-incendie utilisés sur l’ensemble du continent américain donnent l’impression de larguer plus haut que leurs homologues européens. Il ne s’agit surtout pas de couardise ou d’incompétence mais bien au contraire de l’usage raisonné d’un matériel en tenant compte de ses spécificités. Par exemple, le système du Supertanker d’Evergreen a été créé dans l’espoir d’obtenir un largage efficace depuis 800 pieds alors que la hauteur habituelle tourne autour de 100.

Tanker

Suivi en temps réel, sur Flightradar24, de l’intervention du Tanker 911, en juillet 2015, contre un feu situé à mi-chemin entre Santa-Rosa et Sacramento. Les autres appareils apparaissant sur cette capture d’image sont impliqués également dans cette opération, le BAe 146 de Neptune Aviation, deux OV-10 du Cal Fire, un CH-47 civil et un hélico de news TV local. Les Tracker T85 et T88 sont aussi intervenus.

En ce qui concerne les VLAT, il s’agit d’un simple calcul : avec 45 tonnes de charge utile, en prenant en compte la déperdition inévitable liée à l’altitude en tête et en queue de largage, la quantité efficacement déversée se comptera de toute façon en dizaines de milliers de litres. Les appareils de plus petite contenance et travaillant à l’eau ne peuvent pas se permettre la moindre déperdition, d’où la nécessité de travailler bien plus près du sol et de ses dangers.

Bien sûr, comme toujours, en France, on estime que les reliefs de la Corse, de la Provence, ou même des Alpilles seraient un piège mortel pour ce genre d’appareil. Il ne faudrait pas non plus oublier que les reliefs du Colorado ou de Californie n’ont rien à envier à nos massifs en terme d’altitude, de pente, de surface et de vallées encaissées. Les altitudes de largage, les trajectoires d’approche seront forcément différentes, les zones à traiter aussi. Si le largage direct n’est pas possible, le retardant permet des largages indirects tout aussi efficaces. Et si les « lourds » sont en action, c’est bien que la situation est lourdement dégradée et qu’on n’est plus à un ou deux hectares près.

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Carte topographique de la Californie. Les feux ne se concentrent pas seulement dans la grande vallée centrale mais aussi dans les reliefs ce qui pose des problèmes pour tous les aéronefs.

D’autre part, les Tanker US, et les VLAT ne dérogent surtout pas à la règle, sont systématiquement engagés à la suite d’un Lead Plane, un avion plus léger et plus maniable qui demeure au-dessus du feu pour en suivre le développement et qui guide chaque Tanker au fur et à mesure de leurs arrivées. Ce mode d’action permet de maintenir une surveillance constance du feu et de ne pas perdre de temps à faire un passage d’observation avant le largage. C’est aussi un facteur contributif à la sécurité des vols.

Malgré leur taille imposante, les VLAT ne sont pas limités à certains secteurs et sont engagés là où le besoin s’en fait sentir, quelque soit le relief ou les conditions météo. Le travail du Lead Plane, en conjonction avec l’équipage du VLAT, va être de définir la trajectoire optimale pour l’intervention en fonction, principalement, de l’évolution du feu. C’est ainsi que les DC-10 ont pu être engagés dans les secteurs montagneux de Californie, de l’État de Washington et de bien d’autres endroits encore. Le relief n’est donc pas plus une contrainte pour l’emploi de ces avions qu’il ne l’est pour les autres aéronefs ; les équipages concernés ayant désormais une décennie d’expérience, ils savent s’adapter et comment procéder.

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Les VLAT, comme tous les tankers US, sont systématiquement engagés en compagnie d’un Lead Plane.  Ici, au cours d’un vol d’entraînement, un Beech King Air donne le signal du largage avec un fumigène à un DC-10. (10 Tanker)

Il demeure aussi la question du coût de ces avions, depuis leur achat, leur transformation et de leur coût d’utilisation, donc leur impact économique.

Aujourd’hui remplacé sur les lignes régulières et même sur les lignes cargo par des biréacteurs plus récents, le DC-10 est clairement en fin de carrière. Le cas du 747 est légèrement différent mais beaucoup de 747-400 ont déjà été retirés du service. C’est d’ailleurs le cas pour les Jumbo d’Air France ou ceux de Cathay Pacific.

C’est toujours à ce stade qu’un avion peut débuter une carrière de pompier du ciel ; du TBM Avenger au BAe 146, ceci se vérifie régulièrement depuis 50 ans, Boeing et Douglas n’ont pas dérogé à la règle. Leur prix sur le marché de l’occasion est donc en relation avec ce statut. Un Boeing 747-400F de 2003 avec environ 50 000 heures de vol au compteur est actuellement en vente à 22 millions de dollars. Un appareils plus ancien et plus utilisé pourra être négocié à un prix largement inférieur. Certaines sources évoquent des prix inférieurs à 10 millions USD pour les futurs VLAT de Tanker 10 et de GSS.

Plus que le coût d’acquisition, c’est la révision de l’avion, la grande visite indispensable et la transformation en Tanker qui vont être déterminants. Un coût d’une dizaine de millions de dollars est une estimation probable. Ainsi, il est facile de comprendre qu’un VLAT pourra être acquis et transformé pour un coût inférieur à celui d’un Bombardier 415 neuf (estimé à une trentaine de millions de dollars) ou celui des Q400MR acquis par la Sécurité Civile française au milieu des années 2000 pour environ 30 millions d’Euros l’unité.

Reste le coût d’exploitation. Là, c’est encore plus facile, les contrats de l’US Forest Service sont publics. Pour la saison 2015 (c’est à dire 150 jours et 250 heures de vol), le DC-10 Tanker 912 était payé 27 831 $ par jour plus 13 005 $ par heure de vol. A l’opérateur de financer ainsi l’entretien de sa machine et d’assurer le salaire de son équipage, le carburant et le retardant étant fournis par l’organisme fédéral.Ces tarifs sont réévalués et amendés avant chaque saison si bien qu’en 2016 les DC-10 sont loués 11 600 $ par jour. Le tarif de l’heure de vol, en sus, est passé à 28 378 $ pour l’avion dont le contrat a été négocié en 2013 et 35 000 $ pour celui qui a été loué à partir de 2015. L’heure de vol passait à 54 000 $ pour l’activation du troisième en renfort Call When Needed.

Juste avant que son exploitant ne disparaisse fin 2013, le SuperTanker d’Evergreen s’était vu notifié la promesse d’un contrat en Call When Needed de trois ans au tarif de 75 000 $ par jour d’activité plus 12 000 $ par heure de vol effectuée. Le système de financement de l’USFS étant assez opaque, ces tarifs ne présagent en rien ceux qui seront éventuellement proposés au nouveau Boeing 747-400 de Global SuperTanker Services.

La comparaison avec les coûts d’exploitation des avions français est plus complexe car les modes de calculs sont différents, mais un rapport d’audit officiel de 2006 donnait un coût à l’heure de vol de 15 000 €/heure de vol pour un CL-415 de la sécurité civile française. Une fois ôté l’amortissement, on peut estimer le coût brut à environ 10 000 €/heure pour ces avions. On peut clairement envisager que le coût à l’heure de vol d’un Q400MR soit assez proche de ce chiffre.

Prix heure de vol Canadair

Tableau du coût de la flotte Canadair française en 2006.

Le coût d’exploitation d’un VLAT, en particulier celui du DC-10, est donc beaucoup moins éloigné des coûts des avions plus conventionnels qu’on ne pourrait le croire au premier abord. Ces avions, bien qu’onéreux, ne sont donc pas aussi inabordables qu’on pourrait le penser. Cependant, les chiffres de l’USFS sont ceux d’un contrat de location à long terme. Pour un contrat de location ponctuel, il faut s’attendre à voir une facture nettement plus salée.

Est-ce que ces avions vont tenir le coup ? Sans doute. Un DC-10 a dans son patrimoine technique des éléments du génome Douglas, un gage de garantie de sérieux dans sa conception, même si sa jeunesse a été marquée par plusieurs drames qui ont clairement eu leur rôle dans le semi-échec commercial de cette brillante machine. Le Boeing 747, de son côté, a aussi une réputation de solidité et de fiabilité bien établie. Si sa production se poursuit encore plus de 45 ans après son premier vol, et même si les avions qui décollent d’Everett n’ont plus grand-chose à voir avec les rustiques 747-100 et 200 des années 70, cette seule longévité ne doit rien au hasard.

D’autre part, ces appareils ont été conçus pour voler intensivement.Il n’est pas rare de trouver des appareils des années 70 toujours en service avec autour de 100 000 heures de vol au compteur. Après ces années d’utilisation frénétique en ligne, une reconversion en pompier du ciel, à ce titre, c’est une retraite dorée. Comme on l’a vu plus haut, un contrat Forest Service, ne représente qu’une base de 250 heures de vol par an. Ce chiffre peut être amené à être dépassé en cas de saison intense, comme c’est effectivement le cas en cet été 2015, mais rare sont les Tankers à dépasser 500 heures par an aux USA. Il en est de même en France.

Ainsi, un DC-10 ou un 747 avec 20 000 heures de potentiel restant pourra rester quelques longues années en service. Ses visites périodiques seront plus rapprochées puisque ces heures de vol seront sans doute un peu plus fatigantes pour la cellules, mais rien qui ne soit au-delà de ses capacités, surtout si les compagnies exploitantes ont les moyens d’entretenir ces machines en suivant le manuel à la lettre.

Alors, pourquoi ne voit-on pas ces machines en France ? Pour une seule raison très simple. Si on regarde la base de donnée Promethee, depuis 1974, seuls une trentaine de feux ont dépassé 3000 ha dans le secteur méditerranéen français, aucun entre 2003 et 2015.

Feux 3000 ha depuis 1974 promethee

Les 31 plus gros feux dans le secteur Méditerranéen français depuis 1974. Source Prométhée.

Au moment où les pompiers français se battaient avec le plus gros feu de la saison à St Jean d’Illac, fin juillet, qui a brûlé 4 jours et dévoré environ 600 hectares les pompiers californiens avaient au choix le Lowell Incident (930 ha), le Wrag Incident (3400 ha) et le Willow Incident (2300 ha) comme le montre la carte publié ce jour-là par l’US Department of Agriculture dont dépend le Forest Service. A l’heure où ces lignes sont écrites (août 2015), rien qu’en Californie, 10 feux ont déjà dépassé 9000 ha, dont 9 sont encore actifs. Le Happy Camp Incident en est à 54 000 ha et le River complex a dépassé 20 000 ha. Seul le Rocky Fire est désormais éteint après 28 000 ha. Nous ne sommes plus du tout dans le même ordre d’idées, ni à la même échelle. Sur des sinistres de cette ampleur, un appareil capable de poser une barrière de retardant dense et large, longue de plusieurs dizaines de mètres peut être considéré comme indispensable, en complément, bien sûr, d’une flotte d’unités plus petites et plus nombreuses, donc moins sensibles aux éventuels problèmes de disponibilité, pour affiner le travail, comme Les Tracker et les HBE du Cal Fire, les appareils fédéraux et les renforts militaires. Tout ceci constitue une « boîte à outils » dont les planificateurs opérationnels peuvent disposer et dont les VLAT sont juste les plus gros éléments.

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Pouvoir tracer une ligne au retardant de plusieurs centaines de mètres d’un seul coup, ça peut avoir son intérêt. (Photo J. Laval)

La seule raison objective qui explique qu’il n’y a pas de VLAT en France et que la Sécurité Civile se désintéresse totalement du sujet, ce n’est ni le prix de ces appareils, ni leurs supposées lacunes opérationnelles, c’est juste qu’il y a pas de feux assez importants dans notre pays pour justifier leur utilisation. C’est un argument totalement imparable et c’est le seul. Et il est parfaitement justifié. Les surfaces brûlées annuellement démontrent années après années que l’association Tracker-Canadair-Dash fonctionne à merveille dans notre pays.

Faut-il pour autant s’interdire d’y faire appel en cas de situation dramatique puisque ces avions sont accessibles pour des contrats de location de courte durée ? Difficile à dire car quelle situation pourrait justifier l’emploi d’un tel engin ? Une saison comme celle de 2003 peut-être ? Il serait tout autant dommage de ne pas faire appel à ces avions en cas de besoin sur les seules bases des verdicts abrupts et définitifs comme « trop gros, trop cher, marchera pas ! » que d’y faire appel dans des situations où l’emploi de ces moyens très lourds ne se justifie pas.

Loin des idées reçues et des clichés véhiculés trop rapidement, les VLAT sont aujourd’hui des outils très appréciés lorsque les surfaces engagées deviennent importantes. Certes, ils ne seront jamais très nombreux, ils n’ont pas vocation à l’être, mais ils frappent les feux comme ils marquent les esprits. Il est donc important  de ne pas sombrer dans la caricature et dans les certitudes mal fondées.

 

 

Article mis à jour le 20 juillet 2017