Un DC-10 au Chili

Deux ans après les incendies de la Cordillère des Andes qui avaient mené le Chili à appeler à l’aide les moyens de plusieurs entreprises américaines spécialisés et le Ministère des Catastrophes Naturelles russe, le gouvernement de Santiago du Chili semble avoir compris que les avions lourds de lutte anti-incendie ont un rôle essentiel à jouer pour amener l’eau ou le retardant là où les pompiers terrestres ne peuvent intervenir qu’avec difficulté.

Le Tanker 910 à Santiago du Chili, il y a quelques jours. (Photo : Jacdec)

Après avoir utilisé le Boeing 747-400 Supertanker et, quelque part, lui avoir mis le pied à l’étrier au point de convaincre ensuite la Californie de lui attribuer un contrat saisonnier et de lui faire connaître deux saisons-feu intenses, le Chili a fait, cette année, appel à la société Tanker 10 et a vu un des quatre DC-10 de l’entreprise arriver à Santiago il y a quelques jours. C’est le Tanker 910 qui a été envoyé sur place, un DC-10-30 entré en service en 2015 en remplacement du premier des avions modifiés par la société américaine, un DC-10-10 qui a été alors retiré du service et démantelé.

Capables d’emporter 35 tonnes de retardant, les DC-10 qui ont plus d’une décennie d’opérations à leur actif désormais, on largement fait leurs preuves aux USA et en Australie. Cet exemplaire aborde désormais un nouveau territoire d’action, très difficile puisque extrêmement montagneux. Mais l’attente des Chiliens est forte.

Comme pour le 747 il y a deux ans, c’est un C295 ACH de l’escadrille VP-1 de l’aviation navale qui lui sert de Lead Plane lors de ses opérations qui ont déjà débuté.

Il y a deux ans, l’intervention du Supertanker avait rendu l’avion emblématique et pratiquement légendaire. Est-ce que le DC-10 arrivera aussi à se rendre aussi populaire ? C’est sans doute le moins important des objectifs des équipes de Tanker 10 à l’heure actuelle.

Le 9 janvier, au retour d’une mission, un des pneus du Tanker 910 a éclaté, projetant quelques débris. Un des volets du triréacteur a été touché, immobilisant l’avion en attendant la réparation. Pour ne pas laisser le Chili démunis de moyens d’intervention, bien que le DC-10 ne soit pas le seul aéronef en action sur place, Tanker 10 a dépêché aujourd’hui le Tanker 914, l’avantage de pouvoir disposer de plusieurs avions…

FAQ : Les Supertanker et autres DC-10 en questions (Les VLAT)

C’est quoi un VLAT ?

Very Large Air Tanker. Très gros avion de lutte contre les feux. Jusqu’aux années 2000, la classification US des avions bombardiers d’eau n’allait pas au-delà de la classe I, c’est à dire des avions pouvant porter jusqu’à 3000 gallons soit un peu moins de 12 000 litres. Quand les DC-10 et B747 sont arrivés sur le marché, il a fallu créer une nouvelle catégorie. Les hydravions Martin Mars et Il-76, pouvant emporter respectivement 27 000 litres et 35 000 litres(1) peuvent rentrer dans cette catégorie même si il ne sont pas, ou plus, recensés par l’US Forest Service.

Le Tanker 944 est un Boeing 747-400 disposant d’un système de réservoirs et de largage sous pression pouvant contenir 75 000 litres environ. (Photo : Jim Dunn)

Ça emporte combien un VLAT ?

Les DC-10 de la société Tanker 10 emportent 35 000 litres de retardant. Les Boeing 747 aux alentours de 75 000.

Ça coûte combien à transformer ?

Pas si cher que ça. Les DC-10 et les 747 utilisés sont des avions d’occasion qui ont une longue carrière derrière eux. Ce sont des appareils qui n’intéressent plus tellement même les compagnies cargo. Ils sont donc vraiment peu chers à l’achat. Des chiffres non officiels circulent, les DC-10 de Tanker 10 auraient été achetés aux alentours de 5 millions de dollars pièce, soit environ le prix de 2 Air Tractor neufs. A ce prix s’ajoute celui de la transformation en Tanker, comptez un bon million de dollars.

Y’en a qui combien qui volent ?

Les deux Martin Mars ne sont plus considérés comme opérationnels, néanmoins, le Hawaii, au premier plan, dispose encore de toutes ses capacités, au cas-où… (Photo : Jay Selman via Coulson Flying Tankers)

Actuellement, il y a 3 DC-10 en opérations aux USA, un quatrième est en cours de conversion. Un Boeing 747-400 est également opérationnel. La Russie utilise une demi-douzaine d’Il-76, mais les deux Martin Mars ne sont plus considérés comme opérationnels.

Ça coûte combien à faire voler ?

Les DC-10 sont loués 11 600 $ par jour. Le tarif de l’heure de vol, en sus, est de 28 378 $ pour l’avion dont le contrat a été négocié en 2013 et 35 000 $ pour celui qui a été loué à partir de 2015. L’heure de vol passait à 54 000 $ pour l’activation du troisième en renfort. Cet appareil est désormais loué par l’état de Californie, ce qui explique la transformation d’un quatrième appareil. Les tarifs précis du Boeing 747 ne sont pas connus avec précision mais devraient être légèrement plus élevés que ceux du DC-10. A titre de comparaison, amortissement inclus, l’heure de vol d’un CL-415 en France tourne autour de 15 000 € et à peu près autant pour un Q400MR.

Qui les utilise/les a utilisé ?

Ces avions sont utilisés principalement par l’US Forest Service. L’état de Californie a loué un DC-10 pour son usage propre. De décembre à mars, un DC-10 est sous contrat en Australie. Le 747-100 d’Evergreen a été engagé ponctuellement sur feux aux USA (dans différents états dont l’Alaska et la Californie) mais aussi en Espagne et en Israël. Le Boeing 747-400 de Global Supertanker Services a été engagé en Israël et au Chili. Il vient d’obtenir son approbation pour opérer sous contrat fédéral aux USA. Les deux Martin Mars ont été utilisés au Canada, en Californie et au Mexique. Ils sont considérés comme retirés du service mais en cas de besoin le Hawaii peut être réactivé rapidement. Les Il-76 encore opérationnels ont été utilisés en Russie, en Iran, en Asie et, également au début de l’année, au Chili.

Poser une barrière de retardant de plusieurs centaines de mètres, ça peut servir, comme ici le Tanker 910 photographié depuis un OV-10 Bronco du Cal Fire. (Photo J. Laval)

Est-ce que c’est efficace ?

Les DC-10 sont réputés efficaces grâce à leur système de largage constant flow particulièrement polyvalent. Très décriés au départ, ils ont fini par séduire même l’US Forest Service qui les utilise intensivement. Aujourd’hui, les DC-10 sont incontestés aux USA. Le Boeing 747 doit encore faire ses preuves, essentiellement en raison de son système de largage pressurisé inefficace en attaque directe et cantonné à la pose de barrières de retardant. Au Chili, l’appareil été utilisé à l’eau et au moussant avec une efficacité considérée comme améliorable.

Même dans le relief ?

Le relief est un problème pour tous les avions et pour tous les bombardiers d’eau. La taille de ces avions et leur volume d’évolution ne leur permet pas d’opérer de la même façon que des avions plus légers. Néanmoins, ces avions ont évolué et opéré dans des reliefs particulièrement compliqués dans l’ouest des USA ou dans la Cordillère des Andes. A noter que ces avions sont systématiquement engagés avec un avion guide, un Lead Plane, qui a pour mission d’indiquer l’endroit du largage au tanker et de s’assurer de l’amener et de le sortir du site par des trajectoires sûres.

Les DC-10 et autres 747 peuvent opérer dans le relief, mais pas n’importe comment. (Photo : Wildland Fire Division)

Ça doit mettre une plombe à remplir ?

On ne peut pas utiliser des avions de ce volume sans infrastructures adaptées. C’est le cas aux USA. Les DC-10 possèdent trois réservoirs indépendants qui peuvent être remplis chacun par un point de remplissage. Sur les zones de chargement adaptés, les trois points peuvent être utilisés en parallèle, du coup, il ne faut qu’une vingtaine de minutes pour remplir les 35 000 litres de retardant, soit juste le double de ce qui est nécessaire en France pour remplir un Q400MR.

Le Boeing 747 dispose de deux systèmes de réservoirs en parallèle pouvant contenir, chacun, un peu plus de 35 tonnes. Il pourrait, d’ailleurs, être chargé et utilisé avec deux produits différents. Lors des opérations au Chili, les pompiers de l’aérodrome ont utilisé un de leurs camions comme pompe et ont réussi l’exploit de remplir les 75 000 litres d’eau en tout juste 13 minutes.

Est-ce que c’est dangereux pour l’équipage ?

Quelque soit l’avion (mais c’est pareil pour les sapeurs-pompiers), lutter contre un feu de forêt, c’est un métier qui comporte des risques.

Est-ce que c’est adapté à la France ?

Sans doute pas. Pas pour des questions de relief ou de dangerosité, mais tout simplement parce que ces avions ont été conçus pour opérer aux USA, là où un seul feu peut brûler en une journée ce qui est brûlé en une grosse saison chez nous. Il faut garder en tête certaines proportions pour bien comprendre qu’il y a une vraie différence d’échelle et de besoins entre la France et ne serait-ce que la Californie.

Est-ce que ces avions ne seraient d’aucune utilité chez nous ? Ce n’est sans doute pas comme ça qu’il faut poser la question mais bien : en a-t-on vraiment besoin ? Avec des saisons tournant à moins de 20 000 ha annuels, la réponse est évidente.

Le Boeing 747-100 d’Evergreen a été le premier à larguer sur un feu réel en Espagne à l’occasion de sa tournée européenne en 2009. Le retardant était son arme de prédilection. (Photo : Evergreen)

Plus de détails dans notre article « Boeing 747 et DC-10 bombardiers d’eau, au delà des clichés et des idées reçues. »  

 

(1) Initialement de 45 000 litres, le volume du DC-10 a été ramené à 35 000 par la neutralisation des réservoirs situés dans les carénages avant et arrière.

« Thor » ne va bientôt plus être seul Down Under (MàJ 24 octobre)

Comme annoncé, l’Australie va recevoir d’ici peu un renfort de taille pour affronter les feux de l’été à venir. Après l’arrivée du Tanker 132 de Coulson Flying Tankers, c’est le DC-10 Tanker 910 N612AX qui est attendu après un convoyage au-dessus du Pacifique, ce qui, pour un ancien long courrier, ne devrait être qu’une simple formalité.

L’appareil a décollé d’Albuquerque il y a quelques minutes.

Tanker 910 en direction de l'Australie

Le N612AX est le nouveau Tanker 910 et a été baptisé « Southern Belle ». L’an dernier, 10 Tanker a procédé au retrait de service de son premier appareil, un DC-10-10 arrivé au bout de son potentiel. Pour des raisons purement marketing, le DC-10-30 qui a pris sa succession a repris également son numéro de Tanker. Mais ce n’est pas une usurpation puisque la soute de 45 000 litres du premier Tanker 910 a été installée sur le second. Une forme de passation de pouvoir.

D’ici quelques jours, la Province de Nouvelle Galles du Sud pourra donc disposer de deux avions lourds aux capacités importantes, une expérience qui pourra sans doute finir de convaincre les autorités australienne de l’importance de ce type de moyens d’intervention.

Début décembre, désormais libre de son contrat avec l’US Forest Service, le C-130 Tanker 131 de Coulson, muni d’une nouvelle soute RADS-XXL de 4400 US gal, viendra les rejoindre. Rarement, les forêts australiennes, et la population de l’île-continent, auront bénéficié d’une telle protection !