Les dessous du hors-série du Fana sur le F-105

Il y a un an, René Francillon disparaissait alors que notre hors-série du Fana sur le F-105 était en train de sortir de l’imprimerie. Histoire de lui rendre hommage, voici comment cette publication a vu le jour.

Le hors-série du Fana sur le F-105

Début novembre 2017, René était de passage en France.  On avait pris rendez-vous à la rédaction du Fana à Clichy pour parler projets avec le rédacteur en chef, Alexis Rocher. Sur place, les négociations ont été rapides.

« Donc, après le F-15, vous me faites quoi ? »

« Le F-105, comme prévu, ça te branche toujours ? »

« Pas mal, pas mal !! »

« Ouais ! Fred, t’en es ? »

« Pas de soucis, j’ai une petite histoire personnelle avec cet avion ! (1) »

Après avoir parlé du hors-série, de futurs articles et du temps qu’il faisait, la nuit était tombée quand nous sommes sortis de la rédaction, mais avec de beaux projets entre les mains. Pas de signature en bas d’un contrat, juste une discussion sur ce que la rédaction attendait et sur la façon dont les auteurs envisageaient le document final.

J’entends encore Alexis nous dire : « Et surtout, au niveau texte, vous faites concis, qu’on puisse passer un max de photos et un max de témoignages ! » Et je nous vois aussi, avec René, répondre oui le plus sincèrement du monde puisque ça nous simplifiait le travail.

On est allé boire une bière dans un bistrot au coin de deux rues de Clichy. On en a profité pour tirer le bilan du HS sur le F-15 et nous n’étions pas vraiment satisfaits de notre travail. Enfin, surtout moi. On s’était séparé le boulot, à lui le technique, à moi l’opérationnel, mais les délais avaient été serrés (2), je n’étais pas dans le rythme ni dans le ton, l’urgence se sent à chacune des pages.

Mais là Alexis avait dit « banco sur le F-105 ». La grosse brute américaine de Broughton… C’est un avion qui m’a toujours fasciné et sur lequel j’avais acheté pas mal de doc, pour le plaisir de lire sur une machine qui avait servi à écrire une des pages les plus impressionnantes de la guerre aérienne. Alors quand René m’avais demandé si ce sujet-là me branchait, ma réaction avait été rapide.

« Ok René, ça m’intéresse. J’ai bien envie d’écrire la partie Vietnam, j’ai la doc ! »

« Ça me va ! »

Sur la table du café désert, on a rapidement rédigé le plan et zou, on était partis pour livrer ça fin février, ça nous laissait quatre mois pour bosser, parfait ! Je lui ai appelé un taxi :

« On se revoit en mars à Vallejo ? »

« En mars à Vallejo !! »

De retour chez moi, je commence à bosser doucement ma liste de victoires/pertes en combats aériens histoire de me chauffer. En général, le début d’un travail de cette ampleur se fait lentement, le temps de rassembler la doc, de prendre un rythme. Et au-début, c’est toujours tranquille. (Pépère au début, trépidant au milieu et douloureux au final, parce que le dernier coup de collier, il faut avoir encore de l’énergie pour le donner !) On avait quatre mois pour remplir 130 pages, on en avait fait 100 en moins de deux, sans préavis, quelques semaines plus tôt ! Peinard, ça s’annonçait peinard…

Et soudain, début décembre, message d’Alexis :

« Au fait, les cocos… heu… la parution c’est début mars donc il faut rendre le manuscrit fin janvier, début février ! »

Et là, il faut sentir le vent de panique qui a soufflé entre Vallejo et Paris !!!

« Ha ben… ça veut dire qu’on a deux mois pour tout faire… » (Pépère, je vous ai dit qu’on avait commencé pépère ?)

« Ok, Fred… voilà ce que je te propose, je m’occupe de tout mais pour gagner du temps, je le fais en anglais direct et tu traduis ! »

René, avec le temps, était plus à l’aise dans sa langue de tous les jours. Mais, sur ce Hors-Série, je ne voulais pas être que le traducteur, j’avais une revanche d’auteur à prendre. Il nous fallait vite trouver un compromis puisque de toute façon comme on se partageait le montant de la pige à parts égales, il fallait qu’on s’organise pour travailler à peu près autant l’un que l’autre, à la louche.

« Ok, on fait comme ça, mais je m’occupe aussi de trouver et traduire les témoignages, je termine ma liste de victoires/pertes pour faire le chapitre combats aériens, et je fais le chapitre actu ! »

Pour ce dernier chapitre (3), j’avais le choix entre parler des F-105 dans les musées et sur lesquels il n’y a guère eu d’évènements récents. Par contre, mes recherches m’avaient menés à m’interroger sur le sort des pilotes abattus par les MiG. C’est là que j’ai découvert que les exhumations et identifications étaient encore fréquentes et que certains pilotes de F-105 étaient concernés. Le choix a été rapide !

« Allez, on fait comme ça ! (oui, ce qui était bien avec René, c’est qu’on allait au plus simple, pas trop de prises de tête !) »

Et voilà, c’est comme ça que je me suis retrouvé à traduire les chapitres que René me balançait à un rythme étonnant.  Pourtant, il se plaignait d’être fatigué et de ne plus écrire aussi facilement qu’avant. Mais bon, comme ça faisait 10 ans qu’il nous le disait, je mettais ça sur le compte de la fatigue ordinaire oubliant un peu qu’il approchait, quand même, de ses 81 ans. Oui, c’était facile d’oublier son âge. Et si il marchait moins vite, sa vivacité d’esprit, ses connaissances aéronautiques et son talent d’auteur étaient encore bien là. Et ses projets encore innombrables.

Au fur et à mesure de l’avancement des travaux, des témoignages que je trouvais, du rythme et de la facilité de la traduction, je voyais ce hors-série se construire et ce que je voyais était franchement enthousiasmant. Et c’était un plaisir de traduire un René, toujours, précis et documenté. Je sentais son texte couler parfaitement, tout était bien huilé.

Un des aspects agréables qu’il y avait de travailler avec lui était sa réactivité. En traduisant, je me plaçais aussi comme premier lecteur et il était attentif à mes remarques. Fallait-il insister sur ce point ? Détailler tel autre ? Et cet acronyme, tu le sors d’où ? En jouant sur le décalage horaire, il avait mes notes et mes questions au réveil – d’autant plus qu’il était très matinal de nature. J’avais souvent les réponses à mes interrogations et les corrections avant d’aller moi même me coucher. Et il n’y avait pas, chez lui, d’ego mal placé. Toutes les remarques étaient bonnes à prendre !

On touche au but… le chemin de fer est officiel, la relecture des premiers chapitres, avant transmission à l’éditeur, commence. 96 pages Word, plus de 200 000 caractères.

Donc, j’ai traduit l’ensemble des chapitres sauf, évidement, celui des combats aériens et l’actu sur les POW/MIA. J’ai cherché, trouvé, traduit et adapté les témoignages (je remercie ici Sam qui a été d’une aide aussi précieuse que discrète sur ce coup en m’aiguillant et en me fournissant quelques livres !). Décembre et janvier ont été particulièrement denses du coup !

J’avais envie de traiter bien d’autres thèmes mais René m’a vite refroidi : « vu ce qu’on a faire, on va vite manquer de place ! Et Alexis voulait moins de texte et plus de photos, mais vu ce qu’il y a à raconter sur la bête… allez, zou, on y retourne ! » (C’est ce qui explique les « bonus » qui ont terminé ici même !)

Et non seulement, le texte qu’on a remis à l’éditeur nous satisfaisait totalement, mais en plus, et c’est là notre plus grand exploit, on l’a remis à l’éditeur une semaine avant la deadline (hors légendes des photos). Une semaine avant la deadline !! Soyons honnêtes ; c’est sans doute un des plus grands exploits littéraires du siècle, ça ! (parlez-en aux auteurs que vous croisez !)

Un bout de disque dur, un répertoire avec 600 fichiers, et un Go de données, photos comprises. Un hors-série du Fana avec toutes les étapes de son écriture.

Il ne restait plus qu’à patienter le temps le temps de la mise en page avant de reprendre le collier pour la tâche la plus ardue, la relecture. En attendant, nous commencions à évoquer la suite, mais surtout, le voyage aux USA se précisait, encore quelques jours à attendre.

Les pdf se faisaient attendre et en dépit de quelques mails, aucune réponse de la rédaction. Et puis, les nouvelles de Californie sont devenues de plus en plus alarmantes. Fin février René m’a envoyé un mail où il se disait très fatigué. Quelques jours plus tard, il m’expliquait qu’il était bourré de médicament. Et le dernier, il m’annonçait qu’il partait à l’hôpital pour examens. Les nouvelles reçues ensuite n’étaient pas très encourageantes.

Notre avion décollait pour la Californie le 10 au matin. Nous avions convenus que nous nous retrouvions le 11 à Vallejo, sur notre route entre San Francisco et Sacramento. Le 9 au soir, une douzaine d’heures avant le décollage, son épouse, Carol, m’a prévenu que René avait perdu son dernier combat contre la pneumonie la veille. J’ai passé ma dernière soirée en France à prévenir les amis de la douloureuse nouvelle.

« En mars à Vallejo »… putain de destin !

Palmdale, Californie. 17 mars. Un F-105 aux côtés d’un F-104. Pas facile de ne pas y penser.

J’ai découvert le résultat de notre travail alors que je savais le hors-série déjà en kiosque en France. Ça ne m’était, jusque-là, jamais arrivé mais le document était parti directement à l’imprimerie sans repasser devant les auteurs pour la validation de l’ensemble. Une situation extrêmement délicate, dictée par les délais de fabrication et de mise en vente mais qui constituait une prise de risque insensée tant j’ai souvent découvert de graves problèmes dans les premières épreuves de mes publications.

J’ai feuilleté sur ma tablette la version électronique qu’Alexis m’avait enfin envoyé, dans ma chambre d’hôtel à Sacramento, en tremblant, sachant que si je découvrais une monstruosité (et vous n’imaginez même pas ce qu’on peut faire comme conneries quand on arrive au bout d’un gros boulot… ), c’était trop tard et il me faudrait assumer des erreurs qui n’auraient sans doute pas été les miennes, et ça fait aussi partie des choses que je déteste vraiment et qui peuvent me rendre dingue !

Mais à part une donnée qui n’avait pas été corrigée dans notre manuscrit original (celle qui fait l’objet d’un errata dans le Fana suivant) et la mise en page du chapitre victoires/pertes, sur lequel on aurait dû faire une liste plus lisible, je n’ai rien vu de dramatique, preuve qu’à la rédaction, ils avaient bossé vite, mais vraiment bien ! Grâce leur soit rendue !

Bref, c’est un hors-série qui s’est monté, encore une fois, très rapidement. Mais je me suis vraiment amusé à travailler ce sujet, en particulier pour la traduction du récit de Rasimus (page 42-43). Je me suis, autorisé quelques petites libertés pour mieux restituer l’ambiance du texte original.

De son côté, l’éditeur a été très satisfait des ventes. Ce ne fut pas un best-seller – les sujets sur la Seconde Guerre mondiale sont difficile à battre – mais il fut dans la moyenne des très bonnes ventes des Hors-Série du Fana, ce qui, vu le thème, constitue en soi une première satisfaction. La seconde satisfaction, très précieuse, est venue des lecteurs puisque la qualité de notre travail semble avoir fait l’unanimité…

Il restera juste l’amertume de savoir que René n’a jamais vu le fruit de son labeur ! Il aurait pu en tirer une légitime fierté, il en avait le droit !

(1) J’ai correspondu avec Jack Broughton à plusieurs reprises à l’époque où j’étais libraire. Les livres qu’il m’avait alors offerts étaient dédicacés (voir page 60 du HS).

(2) René m’avait appelé à l’aide mi-juin 2017 car il était débordé par la relecture du F-104 pour Lela, tout en devant rendre au Fana un manuscrit complet sur le F-15 pour le hors-série promis pour la rentrée et devant également travailler sur la version électronique de son livre sur le P-51 Mustang. Un peu beaucoup pour des délais aussi serrés. On s’est partagé les tâches sur les deux objectifs principaux mais j’ai fait une croix sur mes vacances…

(3) La commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP) exige désormais que certaines publications, pour continuer à bénéficier du taux de TVA et des tarifs postaux avantageux de la presse, comportent obligatoirement une section actualité. Si le Fana mensuel n’est pas concerné – la rubrique actu existe depuis la création du mensuel – les Hors-Série le sont désormais.

F-105 Thunderchief, les survivants !

Plus de 30 ans après son dernier vol, le F-105 est bien plus qu’un souvenir. De nombreux exemplaires ont heureusement été préservés en bon état. Voici un petit tour d’horizon de quelques-uns de ces appareils, visibles ou non sur Google Earth, et leur pedigree.

Un F-105F de Nellis comme on n’en verra plus… en vol ! (Photo : AAHS via RJF)

Il reste environ une centaine de F-105 exposés essentiellement aux USA, mais on en trouve en Grande-Bretagne, en Allemagne, en France, au Mexique et en Pologne.

Le Thunderchief appartenant au Musée de l’Air du Bourget est le F-105G 63-8300 arrivé en France en 1986 et exposé en extérieur de 1993 à 2013. Depuis cette date, il est placé en réserve.

Le F-105G du Musée de l’Air, à l’époque où il était exposé au public, ici en 2004.

Le musée du château de Savigny-lès-Beaune expose le F-105F 63-8357. Il est malheureusement affublé d’une verrière improvisée qui dénature totalement sa ligne. On espère qu’elle protège au moins l’intérieur du cockpit.

Le F-105F du Musée de Savigny, dont la peinture de camouflage mériterait d’être reprise est visible à côté de deux Crusader et d’un Alizé. (GE)

Plus intéressant, ce F-105D en stèle à l’entrée de Bolling AFB, près de Washington DC, pourrait s’apparenter à une espèce de chaînon manquant chez certains «  mustélidés un peu farouches » !

Le seul et unique Wild Weasel II à Bolling AFB.

En octobre 1965, après avoir expérimenté le concept de Wild Weasel avec des F-100 Super Sabre et démontré son efficacité, l’USAF fit équiper le F-105D 61-0138 des systèmes de détection des radars de guidage des SAM. Mais au cours des essais, on découvrit que ces installations handicapaient les performances de ce monoplace. Ce fut donc le seul et unique Wild Weasel II.

Plus à l’ouest, à la limite du désert californien, près de l’aérodrome de Palmdale où se trouvent un hangar de la NASA et surtout les fameux Skunk Works de Lockheed, le « Joe Davis Heritage Park » est orné de quelques avions particulièrement intéressants comme l’atteste cette capture.

Le premier Wild Weasel III en excellente compagnie à Palmdale.

Le Thunderchief exposé est également notable. Ce F-105F-1-RE construit en 1963, transformé en F-105G en 1968 fut le premier Wild Weasel III et servit, en quelque sorte, de prototype pour le concept. Sa préservation, comme celle du seul Wild Weasel II, est une excellente chose au regard de son importance historique.

Le premier des Wild Weasel III à Palmdale. Les teintes de la peinture brillante sont… surprenantes !

Le F-105D 60-0455 préservé au Veteran’s Memorial Park à Dixon Illinois et qui était exposé précédemment à Jackson Michigan a marqué également une évolution importante du Thunderchief puisqu’il est l’appareil le plus ancien a avoir été modifié avec le retrofit « T-Stick II » améliorant ses capacités par mauvais temps.

Le plus ancien des « T-Stick II » à Dixon dans l’Illinois.

Ce qui a rendu célèbre le F-105F 63-8261 exposé en stèle à l’entrée du Jacksonville Museum of Military History dans l’Arkansas est essentiellement de l’ordre de l’anecdote. Il fut un des derniers Thunderchief en état de vol dans les années 80 et lors du défilé d’adieu organisé à Hill AFB le 25 février 1984 il était « Thud 02 » avec Franck Bernard aux commandes et surtout Merlyn Dethlefsen, un des deux pilotes de Thunderchief décorés de la plus haute distinction américaine, la Médaille d’Honneur du Congrès, en place arrière.

Le F-105F en stèle au Jacksonville Museum près de Little Rock dans l’Arkansas.

Quant au F-105F 63-8237 qui fut « Thud 01 » lors de ce défilé, il se trouve, lui, à l’ancien Chanute Museum de Rantoul, dans l’Illinois, à environ 180 km au sud de Chicago. Fait notable, sur le parking extérieur de cet ancien musée situé dans une base désormais désaffectée, se trouve un deuxième appareil le F-105B-5-RE 54-0104 qui a la particularité d’avoir été repeint aux couleurs des Thunderbirds, patrouille qui fit du Thunderchief sa monture pendant une très brève période. Malheureusement, avec la fermeture de ce musée, intervenue en 2015, l’avenir de ces avions n’est pas assuré.

Un F-105B aux couleurs des Thunderbirds et une collection à l’avenir incertain.

Car en matière de préservation, rien n’est jamais définitivement écrit :  même si le Thunderchief est un appareil relativement épargné, il faut néanmoins rappeler, par exemple, que le F-105G 62-4428 qui était exposé sur l’ancienne base de la RAF de Croughton, donc situé dans un pays où, paraît-il, le sens de la préservation du patrimoine aéronautique est plus fort que de ce côté-ci de la Manche, a été ferraillé en 2016. Le « Thud 03 » 63-8309 à bord duquel se trouvait l’autre pilote de F-105 récipiendaire de la MoH  Leo Thorsness lors du défilé d’adieux, était exposé en extérieur à Robins AFB Museum of Aviation en Géorgie. Il a été démantelé et seul le cockpit aurait été sauvegardé.

Quatre autres F-105 méritent bien d’être cités ici, et pour une raison toute simple, ce sont les « MiG Killer » survivants.

Situé au bord de l’autoroute qui relie Lincoln à Omaha au Nebraska, un F-105 trône au milieu d’un champ pour servir d’enseigne au Strategic Air Command & Space Museum situé à Ashland, à quelques km de là en suivant la route. Il s’agit tout simplement du F-105D 61-0069 qui, le 3 juin 1967, piloté par le Capt Larry D. Wiggins du 469th TFS détruisit un MiG-17 au canon lors d’une mission d’interdiction ferroviaire.

Un MiG Killer en stèle au bord de l’autoroute. Un avion qui mériterait d’être préservé dans de meilleures conditions.

On peut s’interroger sur le choix de ce F-105 pour cette fonction particulière. Est-ce parce qu’il est très légèrement hors-sujet pour un musée consacré au SAC ?

Le deuxième MiG Killer préservé, lui aussi, mérite quelques commentaires. Il s’agit du F-105D 61-0159 dont le pilote, au nom très francophone, Jacques Suzanne, obtint une victoire aérienne le 12 mai 1967, au détriment du MiG-17 de Phan Trong Van du Régiment 923 qui parvint néanmoins à s’éjecter, au cours d’un raid contre Nguyen Khe. Il est exposé à l’entrée de la célèbre base de Davis-Monthan, dans l’Arizona, où se situe le site principal de stockage d’avions militaires des forces armées américaines.

Le faux F-105D MiG Killer 62-4284 mais authentique MiG Killer 61-0159 à l’entrée de Davis-Monthan AFB !

On pourrait penser que son statut de MiG Killer aurait permis à cet avion d’être préservé au plus proche de son identité réelle, pourtant, quelqu’un a un jour décidé qu’il devait être repeint aux couleurs du F-105D 62-4284, le Thunderchief qui fut la monture de Max Brestel pour ses deux victoires du 10 mars 1967 et celle de Gene Basel pour celle du 27 octobre suivant, l’authentique triple MiG Killer ayant été détruit le 12 mars 1976 près de Clayton dans l’Oklahoma, tuant son pilote Larry Klyne.

Est-ce qu’il n’aurait pas été possible d’utiliser un autre F-105D plus anonyme pour ce déguisement ?

Le troisième MiG Killer identifié est heureusement préservé au National Museum of the US Air Force à Dayton dans l’Ohio. Le F-105D 60-0504 « Memphis Belle » qui permit à Arthur Dennis du 357th TFS de descendre un MiG-17 le 28 avril 1967 est à l’abri des intempéries dans un des hangars du musée et a conservé son identité. L’avion est donné pour avoir été le protagoniste de deux revendications. La première est bien connue, donc, et a été confirmée, la seconde reste plus mystérieuse.

Le F-105D « Memphis Belle » avant qu’il ne soit exposé à l’intérieur du Musée de l’USAF de Dayton. (Photo : USAF)

Le quatrième MiG Killer se trouve également au Musée de Dayton. Il s’agit du F-105F 63-8320, baptisé « Cooter » lorsqu’il était au sein du 333rd TFS et devenu « Bam Bam » au sein du 561st TFS après avoir été transformé en F-105G. Au temps de sa première identité, il est impliqué dans plusieurs combats aériens qui font l’objet de deux revendications mais qui ne sont finalement pas homologuées. Il faut attendre le 19 décembre 1967 pour que l’équipage William M.Dalton et James M. Graham obtienne une demie-victoire, partagée avec un équipage de Phantom, pour devenir un MiG Killer de plein droit. Il s’agit également de la dernière victoire officielle obtenue par un Thunderchief. 

Porteur des trois étoiles correspondantes aux revendications de ses équipages, l’ex-F-105F « Coot », devenu F-105G, est superbement présenté à l’intérieur du musée de Dayton. (Photo : USAF)

Sur la base aérienne de Lackland, l’une des parties de l’important site militaire Joint Base San Antonio au Texas, se trouve également un très rare Thunderchief.

L’unique JF-105B survivant est exposé au sein de la base de Lackland au Texas.

Il s’agit du dernier JF-105B existant, une version dite de développement complémentaire, produite à seulement deux exemplaires, et désormais confié à l’USAF History and Traditions Museum.

Beaucoup plus à l’Est, mais toujours loin d’Hanoï, le musée de l’aviation polonaise de Cracovie expose le F-105D 59-1882 idéalement surnommé « Polish Glider ». C’est son pilote, Donald Kutyna, ancien du 44th TFS au Vietnam et devenu Général, il commanda notamment le NORAD, qui œuvra pour que cet appareil, auparavant exposé à Duxford, puisse arriver en Pologne, le pays de ses ancêtres.

Le F-105 du musée de Cracovie, sous la queue d’un Iliouchine.

Le bilan de la préservation du F-105 est donc plutôt bon, numériquement parlant, avec un grand nombre d’avions préservés dans des musées et sur des bases. Néanmoins on ne peut que déplorer que le YF-105B de McClellan ou le F-105G de RAF Croughton aient disparu. D’autres, comme les MiG Killer de l’Arkansas et, de Davis-Monthan ou le F-105F de Savigny mériteraient quand même plus d’égards !

Les deux F-105 du Yanks Air Museum, entre autres, photographiés en mars 2018 lors d’une mémorable « vent arrière » sur la 26 gauche de Chino.

Bien d’autres machines sont visibles ici où là, dans des musées ou encore en stèle sur des bases de l’US Air Force. Voici, pour les amateurs, le fichier KMZ (pour Google Earth) recensant et localisant ces F-105 survivants.

Le F-105D du California Aerospace Museum de Sacramento porte une étoile rouge, marque d’un Il-28 détruit au sol lors d’une mission au Vietnam.

Autour des Thunderchief, les POW (2)

Le problème des prisonniers de guerre et des portés-disparus fut un enjeu clé des négociations de paix à Paris, la restitution des soldats capturés étant, pour le Vietnam du Nord, conditionnée au retrait total des troupes US au Vietnam. La signature des accords de Paris le 27 janvier 1973 entraîna directement un cessez le feu et le début de la fin de l’enfer pour les prisonniers de guerre (POW).

Les délégations US et locales, sur l’Aérodrome de Gia Lam, travaillent sur les listes d’émargement des POW libérés en ce 12 février 1973.  (Photo : USAF)

Dès le début du mois suivant, les prisonniers des camps furent rapatriés vers Hanoï avant d’être remis aux autorités américaines directement sur l’aérodrome de Gia Lam, situé à un jet de pierre du « Hanoi Hilton », juste de l’autre côté du fleuve. Le rapatriement des POW nécessita une organisation complexe et porta le nom d’opération « Homecoming » (retour à la maison). La phase initiale se fit en deux temps, un rapatriement des intéressés vers Clark AFB aux Philippines dans un premier temps puis un retour vers les USA.

Pour cet évènement, un premier C-130 fut autorisé à se poser à Gia Lam avec à son bord une équipe médicale. Le Hercules fut suivi par trois C-141, chargés d’évacuer les prisonniers libérés, et à bord desquels la priorité fut donnée aux détenus ayant effectués les séjours les plus longs au Nord.

Descendu avec son F-105D en 1966, Lewis W. Shattuck, vient d’être remis aux autorités américaines sur l’aérodrome de Gia Lam le 12 février 1973 après 2 409 jours de captivité. (Photo : USAF)

Le premier vol vers la liberté décolla donc de Gia Lam, le 12 février 1973 en milieu de journée. A bord, outre une autre équipe de médecins et d’infirmiers, se trouvaient Everett Alvarez, le premier POW, mais aussi, pour les « Thud drivers » les plus notables Lawrence Guarino et « Smitty » Harris. Ce C-141 était le 66-0177 qui gagna-là son nom de baptême « Hanoi Taxi ».

12 février 1973, à bord d’un C-141, juste après le décollage, les premiers ex-POW libérés s’envolent vers la liberté. Ont-ils repris en chœur le tube d’Eric Burdon et des Animals  We gotta get out of this place ? (Photo USAF)

Deux heures plus tard, le C-141 65-0243 décollait avec à son bord Robinson Risner, Thomas Sima, le pilote de l’aéronavale James Stockdale et une quarantaine de leurs co-détenus. Il fut suivi très rapidement par le troisième Starlifter, le 65-0236 où Lewis Shattuck avait eu sa place.

Une fois aux Philippines, les ex-prisonniers subirent des examens médicaux plus complets et purent trouver de nouveaux vêtements. C’est de là qu’ils passèrent tous leur premier coup de téléphone à leurs familles. Après les examens et les inévitables entretiens avec les services de renseignements, il embarquèrent dans d’autres C-141, cette fois-ci à destination des USA où il furent répartis dans différents hôpitaux militaires pour la poursuite de leurs indispensables soins puis rendus aux leurs.

Leo Thorsness, le jour de sa libération, le 4 mars 1973. Difficile de reconnaître le jeune homme poupin qui posait fièrement sur l’échelle de son Thunderchief six ans plus tôt. (photo : USAF)

Cette phase initiale d’Homecoming, celle de l’évacuation des prisonniers du territoire ennemi, s’étala sur deux mois, de février à mars 1973 et le C-141 « Hanoi Taxi » fit au moins deux rotations sur Clark.

On note que James Shively est rapatrié vers Clark le 18 février puis vers les USA le 20, que Michael Brazelton arriva à Clark le 4 mars comme Robert Abbott, Harold Johnson et Leo Thorsness mais pas par le même avion.

Robert Abbott rentra aux USA sur le C-141 66-7944 le 7 mars. Leo Thorsness est évacué vers les USA avec Harold Johnson le 8 mars tandis que John McCain n’arrive à Clark que le 14 mars.

591 prisonniers sont ainsi libérés dont 325 membres de l’Air Force, 138 de la Navy, 26 Marines, 77 de l’Army et 25 civils. Au sud, le Viet Cong libéra aussi ses détenus, portant ainsi le total des POW américains libérés à 660.

Leo Thorsness et Harold Johnson avant leur cure d’amaigrissement et de vieillissement accéléré dans les établissements spécialisés du Vietnam du Nord (Photo : USAF)

Sept prisonniers de guerre reçurent la Medal of Honor pour leur comportement face à l’ennemi au cours de leur détention, dont James Stockdale, futur amiral et futur candidat à la vice présidence américaine en 1992. Trois furent cependant décernées à titre posthume.

Le Colonel Risner à peine arrivé sur le sol américain après 8 ans de captivité se retrouve déjà à devoir faire une allocution. Star un jour…

On peut ajouter à ces sept médailles celle que Leo Thorsness obtint pendant sa captivité mais pour une mission qui s’était déroulée auparavant. Cette récompense fut tue pour éviter de rendre la captivité de l’intéressé plus dure qu’elle n’était déjà.  Robinson Risner et sa notoriété, comme as de la chasse en Corée, ce qui lui avait valu un « traitement spécial », ayant servis d’exemple préalable.

A partir des témoignages des rescapés, un premier bilan fut dressé, indiquant qu’entre 61 et 65 prisonniers de guerre étaient décédés pendant leur captivité, dont 16 pour l’Air Force et dont tous les corps ne furent pas restitués. Certains furent victimes de maladies, d’autres n’étaient pas parvenus à se remettre des mauvais traitement qui leur étaient infligés et quelques uns furent même battus à mort après des tentatives d’évasion comme Atterberry en 1969. Dans un rapport publié au début des années 80, Harold Johnson nota qu’aucun POW n’avait été amputé, anomalie statistique qui pouvait signifier que les pilotes blessés et gravement infectés, comme il est facile de l’être en tentant d’échapper à la capture après une éjection au-dessus de la jungle, n’étaient pas soignés comme il fallait, ou que rien n’était entrepris pour véritablement leur sauver la vie.

A la fin de la guerre, le total des disparus était donc de 2461 hommes. Ce chiffre a été réduit aujourd’hui à environ 1600 noms après un énorme travail, qui se prolonge encore aujourd’hui, d’enquête et d’identification des corps.

Le sort final de nombreux MIA demeure un vrai mystère. Dans son rapport, Harold Johnson évoque également les 370 témoignages de réfugiés vietnamiens, ayant fait l’objet d’une attention particulière, attestant de la présence de prisonniers de guerre américains au Vietnam entre 1973 et 1975.  A l’époque, le régime communiste n’était pas du tout coopératif et aucune vérification ne put être entreprise. C’est ce qui inspira Hollywood avec de nombreux films comme Portés Disparus avec Chuck Norris (1984) et surtout Rambo II l’année suivante et qui connurent le succès en dépit de qualités cinématographiques discutables.

Aujourd’hui, les autorités américaines et Vietnamiennes ont officialisé le fait qu’aucun soldat américain n’était encore détenu en Asie du Sud Est et la présence régulière des équipes américaines  des POW/MIA Accounting Command puis Agency pour enquêter, exhumer et identifier des corps retrouvés peut certainement servir de garantie à la sincérité de cette déclaration.

Le souvenir de ces prisonniers de guerre reste vif dans la mémoire et la culture populaire américaine comme en témoigne le sort du C-141 « Hanoi Taxi ». Bien sûr, on pourra toujours signaler que ces missions « Homecoming » furent, en quelque sorte, l’heure de gloire du Starlifter, un appareil globalement peu apprécié, y compris de ses équipages. Ceci explique sans doute que le 66-0177 soit devenu l’appareil emblématique du type.

En mai 2004, toujours en service mais devenu C-141C, le « Hanoi Taxi » revint au Vietnam pour charger les restes de deux soldats américains tués au combat. Son commandant de bord était, pour cette occasion, le Maj Gen Edward J. Mechenbier, ancien pilote de F-4 au Vietnam et également prisonnier de guerre (14 juin 1967-18 février 1973). Une mission symbolique à bien des égards.

Le dernier atterrissage de l’histoire du « Hanoi Taxi », le 6 mai 2006 à Wright Patterson fut aussi le dernier de l’histoire des C-141. (Photo : USAF)

En 2006, à l’occasion du retrait de service des C-141 de l’USAF, d’anciens POW furent invités à participer à quelques vols commémoratifs à bord de cet appareil, qui furent, dit-on, chargés d’émotions. Le 5 mai, après environ 40 000 heures de vol, le « Hanoi Taxi » fut officiellement retiré du service de l’USAF. Le lendemain, il fut convoyé jusqu’à Wright Patterson, près de Dayton, dans l’Ohio, ce qui constitua l’ultime vol de l’histoire du C-141. Une fois posé, il fut pris en compte par le National Museum de l’USAF. Il fut ensuite restauré  pour que sa cabine soit au plus proche de son standard de 1973. Il est désormais exposé au sein du musée dont il constitue une des très belles pièces.

Le Hanoi Taxi dans les réserves du Musée, juste avant d’être mis en place dans le musée. (Photo : USAF)

Ce Musée qui possède de superbes pièces relatives à la guerre du Vietnam, dont deux F-105 MiG Killer, propose également une très belle exposition consacrée aux prisonniers de guerre et qui comporte quelques vitrines où sont exposées des « reliques » personnelles de célèbres prisonniers de guerre. Dans un coin, les cellules de l’Hilton d’Hanoï ont été reconstituées et, à l’intérieur de l’une d’elles, un mannequin de prisonnier est présenté en train de faire usage du « tap code ».

Une des cellules reconstituée au musée de Dayton  (Photo : USAF)

Certains de ces ex-prisonniers de guerre n’aspiraient qu’à reprendre leur métier de pilote de combat une fois libres.

Le patch des Freedom Flyers

Près de 150 vétérans du Vietnam passèrent donc entre les mains des instructeurs du 560th Flying Training Squadron à Randolph AFB dans le cadre du programme « Freedom Flight ».

6000 heures de vol, effectuées, en fonction des spécialités initiales, sur T-37, T-38 et T-39, leur permirent de recouvrer leurs ailes et de poursuivre leurs carrières respectives.

Cette requalification « Freedom Flight Program » faisait partie intégrante de l’opération Homecoming.

La première promotion était composée de Jon Reynolds, Mike Brazelton, Bob Purcell et Ken Johnson. A l’exception de ce dernier, pilote de F-4, tous étaient d’anciens pilotes de F-105.

Mike Brazelton, ancien pilote de F-105 prisonnier de guerre, présente la photo de la première promotion Freedom Flight de 1973, dont il faisait partie. Il est accompagné par Joe Elam du 560th FTS. Notez le patch sur son épaule gauche. (Photo : USAF)

Les liens tissés entre le 560th TFS et ses anciens stagiaires si particuliers n’ont jamais été rompus. Ces missions valent aux instructeurs de voler régulièrement avec le patch « Freedom Flyer » ou celui des « POW/MIA » car ce souvenir est particulièrement cultivé au sein de l’unité qui garde cette spécificité car d’autres POW de guerres plus récentes ont bénéficié de cette remise en selle indispensable avant de reprendre ces fonctions exigeantes.

Surtout, ils se retrouvent chaque année au mois de mars pour participer à la « Freedom Flyer Reunion », auquel peut aussi s’adosser l’Annual « POW/MIA Symposium », qui se déroule sur la Joint Base San Antonio à laquelle Randolph AFB a été rattachée.

Carlyle Harris dit « Smithy » lors d’un symposium POW/MIA. Descendu avec son F-105D (62-4217) lors d’une mission contre le pont de Than Hoa le 4 avril 1965 il participa à la Parade d’Hanoï et introduisit le « Tap Code » au sein des détenus. (Photo : USAF)

Au cours de cette cérémonie publique, d’anciens prisonniers ou leurs familles viennent apporter leurs témoignages et leurs commentaires. Il y a bien évidemment une cérémonie officielle et un défilé aérien au-dessus du monument dressé à la mémoire des POW/MIA.

Gene Smith,  abattu au Vietnam lors d’un raid contre le pont Paul Doumer  (F-105D 58-1168, 25/10/1967), au cours d’une allocution sur la base de Randolph en 2011. (Photo : USAF)

Certains anciens, quand leur condition physique le permet, retrouvent alors le cockpit d’un T-38, mais en place arrière cette-fois, un moment forcément émouvant et chargé de symboles.

Vidéo souvenir du « fly over » du « Freedom Flyer Reunion » de 2017. Deux ex-POW se trouvaient en place arrière de ces T-38.

Autour des Thunderchief, les POW (1)

L’histoire du Thunderchief est profondément marquée par la décennie passée à combattre dans le Sud-Est asiatique au point qu’on en oublie presque que l’essentiel des missions sur le Nord effectuées par les F-105 se déroule principalement lors de la première partie de la guerre. Après octobre 1970, ne subsistent plus que les F-105F/G Wild Weasel III à combattre au Vietnam.

L’intensité de ces combats transparait à travers quelques chiffres puisque ce sont 397 avions qui sont perdus en Asie entre le 14 août 1964 et le 16 novembre 1972, c’est à dire environ la moitié de la production de cet avion.

Environ la moitié de la production du F-105 a terminé comme épave dans la jungle du sud-est asiatique. Certains pilotes ont passé, du coup, quelques années prisonniers du Vietnam du Nord. (Photo : AAHS)

Sur ces 397 avions perdus, 332 l’ont été par action de l’ennemi, les autres pertes résultant de problèmes techniques divers ou d’erreurs humaines.

C’est donc sans surprise que les équipages des Thunderchief ont payé le prix fort dans ces opérations difficiles. Les deux Wing de Takhli et Korat ont perdu, ensemble, 150 tués et disparus – dont 48 restent encore manquants aujourd’hui – mais aussi 103 prisonniers de guerre.

Comme l’avaient découvert, quelques années avant-eux, les soldats français capturés à Dien Bien Phu, les Vietnamiens étaient des combattants redoutables, mais leur traitement des prisonniers de guerre l’était encore plus. Des 10 000 hommes capturés en mai 1954 lorsque la garnison française a été submergée, un peu plus de 2000 ont été rendus à l’automne suivant… Sans connaître un tel « génocide », le sort des prisonniers de guerre internés au Vietnam du Nord, et en particulier celui des « Thud Drivers », n’était guère enviable.

Quelques secondes après qu’un SA-2 a explosé près de lui, un F-105 commence à brûler, l’éjection semble inévitable, au risque de tomber aux mains des vietnamiens. (Photo : USAF)

La République démocratique du Vietnam avait ratifié la Convention de Genève de 1949 portant sur le traitement des prisonniers de guerre le 28 juin 1957. Lorsque les premiers pilotes américains furent capturés au Nord, ils témoignèrent avoir rencontré un accueil ferme mais pas hostile.

Un F-105, non identifié, touché par la DCA tombe en flammes tandis que son pilote est suspendu sous son parachute. Un locataire de plus pour le Hilton d’Hanoi ! (Photo : DR)

Ils n’étaient pas mis à l’isolement et disposaient de soins sommaires mais suffisant. Il étaient autorités à écrire à leurs proches et à recevoir les colis de la Croix-Rouge. Lorsque les opérations s’intensifièrent et que les coups portés par les chasseurs et bombardiers US commencèrent à causer de réels dégâts sur l’organisation du pays, leurs conditions de détention devinrent plus tendues.

Malmenés dès leur capture, convoyés parfois à pieds jusqu’à leur lieu de détention, les aviateurs étaient ensuite quasi -systématiquement torturés afin qu’ils avouent leurs « crimes de guerre » ou de lâcher des renseignement militaires. La notion de crime de guerre n’était, là, pas prononcée à la légère car il était spécifié aux aviateurs capturés que cette accusation de « crimes de guerre » leur ôtait l’espoir d’être traités selon la convention de Genève. Ensuite, ils étaient placés à l’isolement, pendant de longs mois parfois. La nourriture était distribuée avec parcimonie et les soins médicaux étaient quasi inexistants. .

James L. Hugues, pilote de F-105 du 469th TFS, blessé, pieds nus et sous bonne escorte.  (Photo via USAF)

Les prisonniers du Vietnam du nord, composés à environ 80% de pilotes et navigateurs de l’Air Force ou de la Navy, étaient répartis sur une quinzaine de camps éparpillés dans la jungle comme celui de Son Tay qui fit l’objet d’un audacieux raid en novembre 1970 afin d’en libérer les prisonniers. Malheureusement, les 56 détenus avaient été évacués, en raison d’une menace d’inondation, quelques mois plus tôt.

Le site d’internement le plus connu est bien sûr la prison de Hoa Lo, située au cœur de la ville d’Hanoï, construite par les français à la fin du XIXe siècle et qui se distinguait déjà par des conditions de survies extrêmes. En ceci, elle ne différait pas trop du système carcéral métropolitain de l’époque. Elle fut très vite surnommée « Hanoi Hilton » par ses détenus.

Reconstitution des cellules de la prison de Hoa Lo au Musée de l’USAF de Dayton. (Photo : USAF)

Elle devint le principal centre de détention des pilotes américains dès le début de la guerre. Sa situation, en pleine ville, annihilait la moindre chance de réussite d’une éventuelle évasion.

Quelques tentatives eurent lieu, d’ailleurs, depuis les camps situés dans la jungle mais aucune ne réussit. John Dramesi, pilote de F-105 au 13th TFW avait déjà tenté de s’échapper d’un premier camp en avril 1967, quelques jours après sa capture et en dépit d’une balle reçue dans la jambe droite. Transféré à « Hanoi Hilton » puis à un autre camp baptisé le « Zoo », il s’échappa le 10 mai 1969 en compagnie d’Edwin Atterberry, pilote de RF-4, après une minutieuse préparation.

Edwin L. Atterberry lors de sa capture en août 1967.

Ils gagnèrent une douzaine d’heures de liberté mais ils furent repris à environ 6 km de leur point de départ et ramenés sans ménagement.

Au cours des jours qui suivirent, tous les prisonniers furent torturés et battus systématiquement en guise de représailles, les deux évadés obtenant un régime particulier auquel Atterberry ne survécu pas. Dramesi fut sauvé de justesse, au bout de 38 jours de sévices, mais fut contraint de porter des fers aux pieds pendant les six mois suivants. Ce qui n’exonéra pas ses co-détenus de continuer à subir des violences régulières. En juin 1972, Dramesi fut à nouveau impliqué dans une tentative d’évasion mais qui fut annulée à la dernière minute, sans doute par crainte de nouvelles représailles. Il fut libéré le 4 mars 1973. Les restes d’Atterberry furent restitués un an plus tard.

Le 6 juillet 1966 se déroula un évènement marquant. Alors que la population du Vietnam du Nord commençait à sérieusement souffrir des attaques aériennes, le régime monta une opération de propagande. Afin de proposer un exutoire à la population d’Hanoï, 52 prisonniers américains furent extraits de leurs cellules et contraints de défiler en ville, menottés deux à deux, sous les cris, les crachats et les coups d’une foule excitée par les commissaires politiques et leurs hauts-parleurs. De nombreux correspondants de presse et journalistes occidentaux filmèrent l’évènement qui eut un retentissement mondial.

Mais pas vraiment celui qu’attendait le régime communiste : de très nombreux chefs d’état, dont le Pape, s’émurent de cette entorse aux Conventions de Genève et commencèrent à faire pression pour que ces accords soient respectés pour la survie de ces prisonniers.

Parmi les participants à cette lamentable mascarade se trouvaient Alvarez, pilote de la Navy, premier aviateur fait prisonnier au Nord et qui connut donc la détention la plus longue ou le Lt Col Robinson Risner. Ce dernier n’était pas le seul pilote de F-105 de « la fête » comme le montre la photo suivante.

La parade d’Hanoï. Au premier plan Richard Kiern et and Kile Berg suivis par Robert Shumaker et “Smitty” Harris, viennent ensuite Ronald Byrne et Lawrence Guarino.  (Photo via USAF)

Richard Kiern fut le premier pilote descendu par un SA-2, il volait alors sur F-4C et Robert Shumaker, de l’US Navy, volait sur F-8 Crusader. Les quatre autres étaient des « Thud Drivers ». « Smitty » Harris fut descendu avec son F-105 le 4 avril 1965, Lawrence Guarino le 14 juin, Kile D. Berg  le 27 juillet et Ronald Byrne le 25 août suivant.

Pour rassurer tout le monde, les photographes des services de propagande s’attachèrent à immortaliser les bons traitements prodigués, comme ces deux pilotes de F-105, faisant bombance au mess des prisonniers. Il va sans dire que dès que les photographes étaient partis, l’ordinaire devenait bien ordinaire… Quand il existait…

L-R 1Lt J.R. Shively, à droite, tombé le 5 mai 1967 et 1Lt R.A. Abbott descendu par un MiG le 30 avril 1967 posent devant un buffet bien garni. (photo via USAF)

Parmi les autres activités promises aux prisonniers de guerre, outre la torture, les privations et l’isolement, il y avait les séances prévues pour les services de propagande où les aviateurs devaient expliquer à la radio à quel point ils étaient bien traités et où ils devaient également expier leurs « crimes de guerre ».

R.D Ingvalson, du 34th TFS de Korat qui fut descendu lors de sa 87 mission le 28 mai 1968 était un des pilotes les plus âgés de la Prison de Hoa La. La légende de la photo ne précise pas si il est en train de découvrir la lettre lui annonçant le décès de son épouse. (Photo via USAF)

Après le raid contre Son Tay en novembre 1970, les prisonniers de guerre furent relocalisés sur 5 sites d’internement dont  Hanoï Hilton, ce qui mit fin aussi, par surpopulation, au régime d’isolement et renforçant ainsi la cohésion au sein des groupes de prisonniers.

Cependant, l’année suivante, environ 200 POW furent convoyés, de nuit vers un camp situé vers la frontière chinoise « Dog Patch ». Ils y restèrent jusqu’en janvier 1973. Ce camp resta inconnu des autorités US jusqu’à la libération des prisonniers. Les conditions y étaient plus dures qu’à Hanoï.

Message personnel

En juillet 1972, 7 prisonniers de guerre internés à Hoa Lo furent autorisés à rencontrer Jane Fonda, activiste et militante pour les droits civiques, opposante acharnée à la guerre menée par son pays dans la péninsule indochinoise qui s’était rendue à Hanoï à l’invitation des autorités du Vietnam du Nord en juillet 1972, alors que les bombardements de l’opération Linebacker faisaient rage. Afin que les intéressés s’en tiennent au discours officiel des bons traitements, ils furent « préparés » spécifiquement. Ces mauvais traitement ne firent qu’attiser le ressentiment envers l’actrice américaine.

Elle commit ensuite l’erreur d’être prise en photo, souriante, assise sur le siège du tireur d’une pièce d’artillerie anti-aérienne, les mêmes qui décimaient alors les escadrilles de l’aviation américaine, jouant avec le viseur, un casque sur la tête, posant avec un plaisir visible pour les photographes massés autour d’elle. Elle y gagna le peu flatteur surnom d’Hanoi Jane et doit composer avec l’hostilité d’une partie de la population américaine, qui n’a jamais oublié ces évènements, depuis près d’un demi siècle !

Effectuant l’essentiel des missions sur le Nord au début du conflit, il était logique que les pilotes de F-105 connaissent les pertes les plus importantes et ont longtemps constitué le contingent le plus important de la population internée au Vietnam. Plusieurs personnalités émergèrent rapidement dont Robinson Risner qui, par son grade et sa réputation fut considéré comme un des « patrons » des prisonniers.

Plus simple à mémoriser et à utiliser que le morse, le tap code fut implanté à Hanoi Hilton sous l’impulsion du pilote de Thunderchief Carlyle « Smitty » Harris.

Mais c’est Carlyle « Smitty » Harris, pilote descendu le 4 avril 1965 à sa sixième mission qui fit faire une avancée notable à sa communauté en utilisant le « Tap Code » pour communiquer avec ses codétenus, souvenir d’une conversation avec un instructeur à propos des prisonniers de la 2e guerre mondiale, des années plus tôt.

Ce code, application du carré de Polybe connu depuis l’antiquité, s’est avéré plus souple, plus intuitif et donc plus facile à manier que le Morse. Chaque lettre était communiquée par deux série de coups. La première indiquait le numéro de la ligne et la seconde série le numéro de la colonne. En très peu de temps, les aviateurs d’Hanoi Hilton parvenaient à maîtriser ce code sans problème.

Ainsi, ils se faisaient passer leurs messages en tapant sur les murs. Il ne s’agissait pas, pour eux, de juste se remonter le moral, ils parvenaient aussi à se passer des informations, notamment sur la teneur des questions posées lors des interrogatoires.

Pendant que les prisonniers tentaient de survivre aux mieux à leurs terribles conditions d’existence, leur sort était en train de devenir un enjeu considérable aux USA. En effet, le Vietnam du Nord ne communiquait aucune liste des hommes qui étaient tombés entre ses mains, si bien que, bien souvent, le sort des prisonniers de guerre était confondu avec les tués au combat sous la qualification de « portés disparus au combat » (MIA, Missing in Action). Quelque fois, quand aucune éjection n’avait été observée par les autres pilotes de l’escadrille au moment du drame, le MIA était rapidement remplacé par un « présumé tué au combat ». Mais dans de très nombreux cas, pour les familles, l’incertitude était insupportable.

De temps en temps, les détenus étaient autorisés à envoyer ou recevoir du courrier, et la Croix Rouge Internationale parvenait à visiter un camp. Il était alors possible de prévenir les familles des prisonniers formellement identifiés, mais pour certains camps, l’incertitude dura des années.

Dans un premier temps, les familles furent également incitées au silence par les autorités américaines, par crainte d’aggraver le traitements des prisonniers ou de ruiner d’éventuelles négociations de paix car les prisonniers de guerre étaient devenus un enjeu sensible puisque leur restitution a rapidement été subordonnée, par les autorités du Vietnam du Nord, au départ des troupes américaines.

Néanmoins, au moment de la pause des bombardements quelques prisonniers furent libérés en signe de volonté d’apaisement. Ces derniers confirmèrent alors toute l’horreur de la détention au Nord.

Sybil Stockdale, épouse de James Stockdale de l’US Navy, détenu depuis 1965, créa en 1967, la League of Families of American Prisonners and Missing in Southeast Asia et débuta une campagne médiatique afin que le Nord Vietnam communique, au moins, une liste de ses prisonniers. Le 28 mai 1970, cette association devint nationale.

En 1972, une publication de Life Magazine permit au problème des POW/MIA de prendre une ampleur nationale lorsque la photo de la capture de Wilmer N. Grubb, pilote de RF-101 fut publiée. La famille du pilote n’avait alors aucune nouvelle de lui depuis l’annonce de son éjection en 1966. La photo montrait pourtant qu’il était tombé vivant et plutôt en bonne santé aux mains des vietnamiens car tout laisse penser que les soins qui lui sont apportés sur la photo ne sont qu’une mise en scène de propagande.

lorsque Cette photo de propagande montrant le Capt Grubb soigné juste après son éjection en janvier 1966 fut publiée dans Life Magazine en 1972. Elle déclencha un mouvement populaire de soutien aux POW/MIA encore actif aujourd’hui. (Photo via USAF)

Après la diffusion d’un message, qu’il avait enregistré précédemment, sur Radio Hanoi le 7 février 1966, plus personne n’entendit parler de lui jusqu’à la publication de cette photo.

Ce n’est qu’en 1973, à la libération des autres prisonniers de guerre, que sa famille apprit qu’il était décédé, en fait, seulement 9 jours après sa capture et aucune explication sur sa mort n’a jamais été communiquée. Son corps fait partie de ceux qui n’ont pas été restitués. Néanmoins, la photo du Captain Wilmer Grubb permit de sensibiliser l’ensemble de la population américaine au drame vécu par les POW/MIA et leurs familles.

Le drapeau officiel de la Ligue Nationale des familles des prisonniers de guerre et des portés-disparus.

La drapeau de la Ligue a été dessiné par Newt Heisley (1920-2009) artiste qui fut, lui même, pilote dans l’USAAF pendant la seconde guerre mondiale. Il est présent officiellement lors de très nombreuses cérémonies civiles comme militaires et il même levé sur certains édifices publics à certaines occasions. La Ligue existe toujours puisque 1600 soldats américains sont toujours portés disparus pour ce conflit.

Beaucoup d’anciens prisonniers de guerre concèdent que la pression publique exercée au USA après 1968 participa à améliorer progressivement leurs conditions de détention à Hanoi Hilton et dans certains camps. L’arrêt de la torture, l’apparition des soins et une légère amélioration de la nourriture en furent les conséquences concrètes. Des courriers de 6 lignes étaient autorisés parfois pour donner quelques nouvelles aux familles. Les prisonniers de certains camps ne connurent pas forcément ces privilèges.

Le 27 janvier 1973, la signature des accords de Paris signifia d’une part la fin de la guerre, le retrait des forces US et la possibilité d’un retour pour les POW/MIA d’autre part.

(à suivre)