Les dessous du hors-série du Fana sur le F-105

Il y a un an, René Francillon disparaissait alors que notre hors-série du Fana sur le F-105 était en train de sortir de l’imprimerie. Histoire de lui rendre hommage, voici comment cette publication a vu le jour.

Le hors-série du Fana sur le F-105

Début novembre 2017, René était de passage en France.  On avait pris rendez-vous à la rédaction du Fana à Clichy pour parler projets avec le rédacteur en chef, Alexis Rocher. Sur place, les négociations ont été rapides.

« Donc, après le F-15, vous me faites quoi ? »

« Le F-105, comme prévu, ça te branche toujours ? »

« Pas mal, pas mal !! »

« Ouais ! Fred, t’en es ? »

« Pas de soucis, j’ai une petite histoire personnelle avec cet avion ! (1) »

Après avoir parlé du hors-série, de futurs articles et du temps qu’il faisait, la nuit était tombée quand nous sommes sortis de la rédaction, mais avec de beaux projets entre les mains. Pas de signature en bas d’un contrat, juste une discussion sur ce que la rédaction attendait et sur la façon dont les auteurs envisageaient le document final.

J’entends encore Alexis nous dire : « Et surtout, au niveau texte, vous faites concis, qu’on puisse passer un max de photos et un max de témoignages ! » Et je nous vois aussi, avec René, répondre oui le plus sincèrement du monde puisque ça nous simplifiait le travail.

On est allé boire une bière dans un bistrot au coin de deux rues de Clichy. On en a profité pour tirer le bilan du HS sur le F-15 et nous n’étions pas vraiment satisfaits de notre travail. Enfin, surtout moi. On s’était séparé le boulot, à lui le technique, à moi l’opérationnel, mais les délais avaient été serrés (2), je n’étais pas dans le rythme ni dans le ton, l’urgence se sent à chacune des pages.

Mais là Alexis avait dit « banco sur le F-105 ». La grosse brute américaine de Broughton… C’est un avion qui m’a toujours fasciné et sur lequel j’avais acheté pas mal de doc, pour le plaisir de lire sur une machine qui avait servi à écrire une des pages les plus impressionnantes de la guerre aérienne. Alors quand René m’avais demandé si ce sujet-là me branchait, ma réaction avait été rapide.

« Ok René, ça m’intéresse. J’ai bien envie d’écrire la partie Vietnam, j’ai la doc ! »

« Ça me va ! »

Sur la table du café désert, on a rapidement rédigé le plan et zou, on était partis pour livrer ça fin février, ça nous laissait quatre mois pour bosser, parfait ! Je lui ai appelé un taxi :

« On se revoit en mars à Vallejo ? »

« En mars à Vallejo !! »

De retour chez moi, je commence à bosser doucement ma liste de victoires/pertes en combats aériens histoire de me chauffer. En général, le début d’un travail de cette ampleur se fait lentement, le temps de rassembler la doc, de prendre un rythme. Et au-début, c’est toujours tranquille. (Pépère au début, trépidant au milieu et douloureux au final, parce que le dernier coup de collier, il faut avoir encore de l’énergie pour le donner !) On avait quatre mois pour remplir 130 pages, on en avait fait 100 en moins de deux, sans préavis, quelques semaines plus tôt ! Peinard, ça s’annonçait peinard…

Et soudain, début décembre, message d’Alexis :

« Au fait, les cocos… heu… la parution c’est début mars donc il faut rendre le manuscrit fin janvier, début février ! »

Et là, il faut sentir le vent de panique qui a soufflé entre Vallejo et Paris !!!

« Ha ben… ça veut dire qu’on a deux mois pour tout faire… » (Pépère, je vous ai dit qu’on avait commencé pépère ?)

« Ok, Fred… voilà ce que je te propose, je m’occupe de tout mais pour gagner du temps, je le fais en anglais direct et tu traduis ! »

René, avec le temps, était plus à l’aise dans sa langue de tous les jours. Mais, sur ce Hors-Série, je ne voulais pas être que le traducteur, j’avais une revanche d’auteur à prendre. Il nous fallait vite trouver un compromis puisque de toute façon comme on se partageait le montant de la pige à parts égales, il fallait qu’on s’organise pour travailler à peu près autant l’un que l’autre, à la louche.

« Ok, on fait comme ça, mais je m’occupe aussi de trouver et traduire les témoignages, je termine ma liste de victoires/pertes pour faire le chapitre combats aériens, et je fais le chapitre actu ! »

Pour ce dernier chapitre (3), j’avais le choix entre parler des F-105 dans les musées et sur lesquels il n’y a guère eu d’évènements récents. Par contre, mes recherches m’avaient menés à m’interroger sur le sort des pilotes abattus par les MiG. C’est là que j’ai découvert que les exhumations et identifications étaient encore fréquentes et que certains pilotes de F-105 étaient concernés. Le choix a été rapide !

« Allez, on fait comme ça ! (oui, ce qui était bien avec René, c’est qu’on allait au plus simple, pas trop de prises de tête !) »

Et voilà, c’est comme ça que je me suis retrouvé à traduire les chapitres que René me balançait à un rythme étonnant.  Pourtant, il se plaignait d’être fatigué et de ne plus écrire aussi facilement qu’avant. Mais bon, comme ça faisait 10 ans qu’il nous le disait, je mettais ça sur le compte de la fatigue ordinaire oubliant un peu qu’il approchait, quand même, de ses 81 ans. Oui, c’était facile d’oublier son âge. Et si il marchait moins vite, sa vivacité d’esprit, ses connaissances aéronautiques et son talent d’auteur étaient encore bien là. Et ses projets encore innombrables.

Au fur et à mesure de l’avancement des travaux, des témoignages que je trouvais, du rythme et de la facilité de la traduction, je voyais ce hors-série se construire et ce que je voyais était franchement enthousiasmant. Et c’était un plaisir de traduire un René, toujours, précis et documenté. Je sentais son texte couler parfaitement, tout était bien huilé.

Un des aspects agréables qu’il y avait de travailler avec lui était sa réactivité. En traduisant, je me plaçais aussi comme premier lecteur et il était attentif à mes remarques. Fallait-il insister sur ce point ? Détailler tel autre ? Et cet acronyme, tu le sors d’où ? En jouant sur le décalage horaire, il avait mes notes et mes questions au réveil – d’autant plus qu’il était très matinal de nature. J’avais souvent les réponses à mes interrogations et les corrections avant d’aller moi même me coucher. Et il n’y avait pas, chez lui, d’ego mal placé. Toutes les remarques étaient bonnes à prendre !

On touche au but… le chemin de fer est officiel, la relecture des premiers chapitres, avant transmission à l’éditeur, commence. 96 pages Word, plus de 200 000 caractères.

Donc, j’ai traduit l’ensemble des chapitres sauf, évidement, celui des combats aériens et l’actu sur les POW/MIA. J’ai cherché, trouvé, traduit et adapté les témoignages (je remercie ici Sam qui a été d’une aide aussi précieuse que discrète sur ce coup en m’aiguillant et en me fournissant quelques livres !). Décembre et janvier ont été particulièrement denses du coup !

J’avais envie de traiter bien d’autres thèmes mais René m’a vite refroidi : « vu ce qu’on a faire, on va vite manquer de place ! Et Alexis voulait moins de texte et plus de photos, mais vu ce qu’il y a à raconter sur la bête… allez, zou, on y retourne ! » (C’est ce qui explique les « bonus » qui ont terminé ici même !)

Et non seulement, le texte qu’on a remis à l’éditeur nous satisfaisait totalement, mais en plus, et c’est là notre plus grand exploit, on l’a remis à l’éditeur une semaine avant la deadline (hors légendes des photos). Une semaine avant la deadline !! Soyons honnêtes ; c’est sans doute un des plus grands exploits littéraires du siècle, ça ! (parlez-en aux auteurs que vous croisez !)

Un bout de disque dur, un répertoire avec 600 fichiers, et un Go de données, photos comprises. Un hors-série du Fana avec toutes les étapes de son écriture.

Il ne restait plus qu’à patienter le temps le temps de la mise en page avant de reprendre le collier pour la tâche la plus ardue, la relecture. En attendant, nous commencions à évoquer la suite, mais surtout, le voyage aux USA se précisait, encore quelques jours à attendre.

Les pdf se faisaient attendre et en dépit de quelques mails, aucune réponse de la rédaction. Et puis, les nouvelles de Californie sont devenues de plus en plus alarmantes. Fin février René m’a envoyé un mail où il se disait très fatigué. Quelques jours plus tard, il m’expliquait qu’il était bourré de médicament. Et le dernier, il m’annonçait qu’il partait à l’hôpital pour examens. Les nouvelles reçues ensuite n’étaient pas très encourageantes.

Notre avion décollait pour la Californie le 10 au matin. Nous avions convenus que nous nous retrouvions le 11 à Vallejo, sur notre route entre San Francisco et Sacramento. Le 9 au soir, une douzaine d’heures avant le décollage, son épouse, Carol, m’a prévenu que René avait perdu son dernier combat contre la pneumonie la veille. J’ai passé ma dernière soirée en France à prévenir les amis de la douloureuse nouvelle.

« En mars à Vallejo »… putain de destin !

Palmdale, Californie. 17 mars. Un F-105 aux côtés d’un F-104. Pas facile de ne pas y penser.

J’ai découvert le résultat de notre travail alors que je savais le hors-série déjà en kiosque en France. Ça ne m’était, jusque-là, jamais arrivé mais le document était parti directement à l’imprimerie sans repasser devant les auteurs pour la validation de l’ensemble. Une situation extrêmement délicate, dictée par les délais de fabrication et de mise en vente mais qui constituait une prise de risque insensée tant j’ai souvent découvert de graves problèmes dans les premières épreuves de mes publications.

J’ai feuilleté sur ma tablette la version électronique qu’Alexis m’avait enfin envoyé, dans ma chambre d’hôtel à Sacramento, en tremblant, sachant que si je découvrais une monstruosité (et vous n’imaginez même pas ce qu’on peut faire comme conneries quand on arrive au bout d’un gros boulot… ), c’était trop tard et il me faudrait assumer des erreurs qui n’auraient sans doute pas été les miennes, et ça fait aussi partie des choses que je déteste vraiment et qui peuvent me rendre dingue !

Mais à part une donnée qui n’avait pas été corrigée dans notre manuscrit original (celle qui fait l’objet d’un errata dans le Fana suivant) et la mise en page du chapitre victoires/pertes, sur lequel on aurait dû faire une liste plus lisible, je n’ai rien vu de dramatique, preuve qu’à la rédaction, ils avaient bossé vite, mais vraiment bien ! Grâce leur soit rendue !

Bref, c’est un hors-série qui s’est monté, encore une fois, très rapidement. Mais je me suis vraiment amusé à travailler ce sujet, en particulier pour la traduction du récit de Rasimus (page 42-43). Je me suis, autorisé quelques petites libertés pour mieux restituer l’ambiance du texte original.

De son côté, l’éditeur a été très satisfait des ventes. Ce ne fut pas un best-seller – les sujets sur la Seconde Guerre mondiale sont difficile à battre – mais il fut dans la moyenne des très bonnes ventes des Hors-Série du Fana, ce qui, vu le thème, constitue en soi une première satisfaction. La seconde satisfaction, très précieuse, est venue des lecteurs puisque la qualité de notre travail semble avoir fait l’unanimité…

Il restera juste l’amertume de savoir que René n’a jamais vu le fruit de son labeur ! Il aurait pu en tirer une légitime fierté, il en avait le droit !

(1) J’ai correspondu avec Jack Broughton à plusieurs reprises à l’époque où j’étais libraire. Les livres qu’il m’avait alors offerts étaient dédicacés (voir page 60 du HS).

(2) René m’avait appelé à l’aide mi-juin 2017 car il était débordé par la relecture du F-104 pour Lela, tout en devant rendre au Fana un manuscrit complet sur le F-15 pour le hors-série promis pour la rentrée et devant également travailler sur la version électronique de son livre sur le P-51 Mustang. Un peu beaucoup pour des délais aussi serrés. On s’est partagé les tâches sur les deux objectifs principaux mais j’ai fait une croix sur mes vacances…

(3) La commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP) exige désormais que certaines publications, pour continuer à bénéficier du taux de TVA et des tarifs postaux avantageux de la presse, comportent obligatoirement une section actualité. Si le Fana mensuel n’est pas concerné – la rubrique actu existe depuis la création du mensuel – les Hors-Série le sont désormais.