Le « non-évènement » d’Eastleigh Airport, 5 mars 1936

Sur l’aérodrome d’Eastleigh Airport, près de Southampton, en cette douce après-midi du 5 mars 1936, on s’active autour d’un monomoteur qui a été acheminé par la route quelques jours plus tôt. Un Miles Falcon, piloté par Jeffrey Quill depuis Martlesham, a amené le chef pilote de Vickers, Joseph ‘Mutt’ Summers, qui va avoir la charge d’effectuer le vol inaugural de cet appareil.

First Flight

5 mars 1936, Eastleigh Airport, « Mutt » Summers s’apprête à décoller pour la première fois à bord du Supermarine Type 300.

Vers 16h45, Summers met en route le moteur Rolls-Royce puis décolle à bord du  prototype Supermarine Type 300. 8 minutes plus tard, de retour au sol, Summers aurait déclaré aux équipes impatientes de connaître son verdict sur les qualités de l’avion qu’il venait de piloter : « surtout, ne changez rien ! »

Jusque là, Supermarine s’était spécialisée dans la construction d’hydravions et sa renommée s’était clairement établie avec les appareils de course qui avaient fait les beaux jours du Schneider Trophy. Grâce à eux la Grande Bretagne avait emporté les trois dernières éditions de cette prestigieuse compétition de vitesse en 1927, 1929 et 1931. Cette spécialisation explique que le siège et les ateliers de la compagnies se trouvaient sur Hazel Road, au bord de la rivière Itchen à Woolston, un quartier au sud-est de Southampton.

Supermarine Vickers Woolston

L’emplacement des anciens ateliers Supermarine à Southampton. Le site, devenu une usine Vickers, a été actif jusqu’en 1960. Si les bâtiments originaux ont été rasés la rampe est toujours là.

Au début des années 30, Supermarine avait proposé son projet de chasseur monoplan Type 224 à la Royal Air Force, mais c’est un biplan, le Gloster Gladiator, qui avait remporté le contrat. Reginald J. Mitchell, ingénieur en chef, décida de poursuivre le travail sur un concept de chasseur monoplace à hautes performances tout en travaillant sérieusement à la conception de l’hydravion embarqué Walrus.

Embauché par Supermarine en 1917 à l’âge de 22 ans, le brillant ingénieur avait gravi rapidement les échelons et les lignes superbes des hydravions de course de la firme de Southampton devaient beaucoup à son coup de crayon.

Le 1er décembre 1934, Supermarine reçut un contrat de 10 000 £ pour lancer la production du prototype de chasseur Type 300. La construction du prototype débuta alors et s’acheva fin 1935. Il reçut l’immatriculation militaire K5054. Marque de confiance et bon présage, quelques jours avant ce premier vol d’essais couronné de succès, la RAF passa commande de 300 exemplaires de la version de série de cet avion.

premier vol

« Mutt » Summers, « Agony » Payne, Reginald Mitchell, Scott Hall et Jeffrey Quill posent, rassurés, après le premier vol du K5054, le 5 mars 1936.

Tragique ironie de l’histoire, alors même que l’avion n’était encore qu’au stade du prototype, R.J Mitchell, d’une santé déjà précaire, fut touché par un cancer. Au début de l’année 1937, trop fatigué, il fut obligé de cesser de travailler, mais venait de temps en temps assister aux vols de sa création, encore exemplaire unique, jusqu’au moment où, au mois de mai, il fut hospitalisé. Il décéda le 11 juin. Joseph Smith fut nommé ingénieur en chef et prit la succession de Mitchell pour faire évoluer cet appareil particulièrement prometteur qui  avait reçu le nom de Spitfire.

La suite appartient à l’Histoire, la grande.

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Beaucoup de warbirds portent les fameuses bandes dites « de débarquement » pour rappeler le rôle que ces avions ont joué lors des opérations du 6 juin 1944. 8 ans après son premier vol, plus qu’une éternité pour un avion de combat à l’époque, le « Spit » était toujours en première ligne.

Lorsque la production du Spitfire s’achève en 1948, 22 000 appareils avaient été construits. Plus qu’un succès technique, commercial et militaire, le Spitfire s’est érigé au rang de symbole et de trésor national pour l’ensemble du Royaume-Uni et même au-delà. Tout au long de la guerre le « Spit » est resté un avion de pointe alors même que ses successeurs affichaient des performances souvent largement supérieures. Mais dès les premiers coups de crayon, Mitchell avait posé les bases d’une cellule solide et d’une formule aérodynamique équilibrée.

Pendant les années de guerre, la puissance de la motorisation du Spitfire doubla, sa masse progressa aussi singulièrement et sa puissance de feu était multipliée. Seule, son autonomie restait médiocre, mais si il ne lui était pas possible d’escorter les bombardiers stratégiques sur l’ensemble de leurs raids, il assurait tout aussi bien des missions de frappes tactiques que de défense aérienne.

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Quelque soit l’angle sous lequel on l’observe, un Spit est toujours élégant.

En 1940, lors de la Bataille d’Angleterre, ses premières versions tenaient la dragée haute aux Messerschmitt 109E et en 1944, les appareils dotés de moteurs Griffon étaient capable de faire « un brin de conduite » aux V-1 envoyés contre Londres ou de se frotter aux nouveaux chasseurs à réaction allemands. Entre temps, le « Spit » avait combattu au-dessus de la France occupée, à Malte, en Afrique, en Asie du Sud-Est et dans le Pacifique. Chasseur, bombardier, avion de reconnaissance photo et même chasseur embarqué, le Spit a aussi fait la démonstration d’une polyvalence que ses concepteurs ne prévoyaient sans doute pas.

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Le F-AZJS est un Spitfire Mk.XIX. Jusqu’en 2008 il était équipé d’un Griffon 57A de 2455 ch, hérité d’un Avro Shackleton, et donc équipé d’un doublet d’hélices contra-rotatives. Pas très historique, mais absolument impressionnant, surtout au décollage.

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En 2008-2009, le F-AZJS a été rééquipé d’un Griffon plus conventionnel et repeint aux couleurs d’un Spit Mk. XIVdu n°152 Squadron alors basé en Birmanie à la fin de la guerre.

Etait-il une arme absolue ? Certainement pas ! Mais il n’est pas interdit d’imaginer que si Adolf Galland n’a jamais demandé à Goering une escadrille de Spitfire pour gagner la Bataille d’Angleterre, il l’a peut-être pensé !

Il ne faudrait pas non plus oublier qu’à bord de ces machines se trouvaient des gamins tout juste sortis des grandes écoles britanniques ou des pires quartiers des banlieues de Liverpool et Manchester, sans oublier ces expatriés venus du monde entier, et qui sacrifièrent leurs vies avec le même courage.

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Plus d’un pilote, anglais ou non, a rêvé de piloter un Spitfire. Aujourd’hui, très peu ont cette chance.

Aujourd’hui, une cinquantaine de Spitfire sont en état de vol, dont plusieurs dans la RAF elle-même grâce à l’escadrille du souvenir Battle of Britain Memorial Flight. Ils demeurent des têtes d’affiches exceptionnelles pour les organisateurs de meeting. Et pour un aviateur, piloter un Spitfire, outre la perpétuation d’une légende vivante, est clairement devenu un aboutissement.

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Plusieurs décennies d’évolutions technologiques séparent l’extraordinaire aile elliptique du Spitfire de la voilure delta-canard de son lointain successeur au sein de la RAF, l’Eurofighter Typhoon. Une certaine idée de l’élégance aussi !

Pour ceux qui restent au sol, les yeux plantés droit dans le ciel, le plaisir est extrême car peu d’avions ont réussi ce parfait mélange de force brute et d’élégance totale, tout en conservant la classe d’une Lady ! Et puis, il y a le grondement du Rolls Royce Merlin, aux mélodies particulières. Un spectacle total pour peu que l’avion soit mené par des artistes comme l’étaient Ray et  Mark Hanna. Et ceux qui ont assisté en 2010 à la démonstration de « Maître » Sir Stephen Grey à la Ferté-Alais avec le Spitfire Mk.Vb EP120 se souviennent encore du frisson de plaisir qui les a traversé devant ce pur moment de pilotage…

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Ferté-Alais 2010, Maître Grey à bord du Spitfire Mk.Vb EP120 (G-LFVB) de The Fighter Collection colle la chair de poule, de plaisir, à certains spectateurs !

Il y a 80 ans, il ne s’est pas passé grand-chose sur le petit aérodrome d’Eastleigh, juste le décollage d’un monomoteur aux lignes déjà presque familières.

Si un jour, votre avion vous dépose sur cet aérodrome qui s’appelle désormais Southampton Airport, tâchez d’y penser. Ce jour-là, à cet endroit-là, le monde libre venait de retrouver Excalibur, mais personne ne pouvait alors l’imaginer !

Le dernier vol du premier Boeing 727

Le Boeing 727 fait sans doute partie des plus élégants jetliners de l’histoire. Il fut aussi un très grand succès commercial pour Boeing puisque le triréacteur fut le premier avion de ligne à réaction dont la production dépassa les 1000 exemplaires. Ce record, bien évidemment pulvérisé par les familles Boeing 737 et Airbus A320 depuis, marquait une étape essentielle dans la démocratisation du transport aérien.

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Le premier Boeing 727 bientôt terminé dans le hall de l’usine de Renton en 1963. (Photo : Boeing)

Le premier de ces avions décolla de Renton le 9 février 1963. Le dernier et 1831e a été livré en 1984. Décliné en seulement deux versions principales, la version de base 727-100 et la version 727-200 à fuselage allongé, ce triréacteur bénéficiait d’excellentes performances au décollage et à l’atterrissage grâce à ses dispositifs hypersustentateurs très développés. Au cours de son évolution, le 727 se révéla parfaitement adapté pour des conversions cargo qui furent très répandues.

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9 février 1963, le « E-1 » immatriculé N7001U décolle de Renton marquant le début d’une longue histoire. (Photo : Boeing)

Très à l’aise, et rentable, sur les lignes court et moyen courrier, il fit initialement les beaux jours des lignes intérieures américaines et européennes et fut finalement adopté par des compagnies du monde entier. Gourmand en carburant et particulièrement bruyant, en dépit de kits destiné à réduire ses nuisances sonores, le 727 vit son règne décliner au fur et à mesure de l’entrée en service de biréacteurs modernes, mieux optimisés. Pourtant si les crises de 1991, après la guerre du Golfe, et de 2001, après les attentats, lui portèrent des coups terribles, un peu moins d’une centaine de ces avions restent aujourd’hui opérationnels dans des rôles variés ; compagnies charter ou cargo, avions privés ou gouvernementaux, un 727 a même été modifié pour l’épandage de produits dispersant en cas de marée noire (G-OSRA) et un autre (N794AJ) est utilisé pour des vols en impesanteur (Zéro G).

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Entre les lignes superbes du 727 et sa livrée contemporaine et spectaculaire, le M-STAR est clairement le plus beau des avions d’affaires actuels. (Photo : Trevor Mulkerrins)

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La flotte d’Oil Spill Response. Le Boeing 727 G-OSRA a une charge utile de 15 500 litres qui peut être déversée par une rampe située en arrière du fuselage. (Photo : Oil Spill Response)

Le premier de cette famille nombreuse a connu une carrière tranquille. Le N7001U, fut donc construit à Renton, à quelques km à l’est de Seattle, où se trouve aujourd’hui l’usine d’assemblage des Boeing 737. Après son premier vol en février 1963 et quelques mois d’essais au bénéfice du programme, il fut livré à United Airlines le 6 octobre 1964. Il resta au sein de cette compagnie pendant 27 ans, jusqu’au 13 janvier 1991.

Le premier 727 à son arrivée à Boeing Field en janvier 1991. (Photo : Museum of Flight)

Ce jour-là, il fut acheminé jusqu’à Boeing Field pour une cérémonie de réception au Museum of Flight situé sur cet aérodrome de Seattle. Il en redécolla ensuite pour un court vol d’une quarantaine de km en direction de Paine Field à Everett, là où sont construits les longs courriers Boeing aujourd’hui, pour être restauré au sein des ateliers spécialisés du Musée qui s’y trouvent. L’appareil avait accumulé 48 000 cycles et 64 000 heures de vol. Acheté 4,4 millions de Dollars à l’époque, la compagnie annonçait qu’au cours de sa carrière, il avait permis de générer un chiffre d’affaires d’environ 300 millions !

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Le N7001U en avril 2015 devant les ateliers du Museum of Flight à Everett.

Le chantier de restauration, effectué par une équipe de bénévoles, dura donc 25 ans, car il ne s’est terminé qu’au début de cette année. L’appareil a été remis en état de vol pour qu’il lui soit possible de regagner Boeing Field et le Museum of Flight par ses propres moyens. Le financement de cette remise en état, estimé à 500 000$ sur un quart de siècle a été apporté par de nombreux dons et par le soutien de Fedex, qui a offert les réacteurs installés sur l’avion, et de Clay Lacy Aviation.

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Le N7001U à Everett en août 2015 juste avant la toute dernière étape de sa restauration : l’atelier peinture. (Photo : Museum of Flight)

En février, l’appareil a procédé à plusieurs essais rouleurs sur la piste de Paine Field, atteignant jusqu’à 100 kt. Le 1er mars, la FAA a signé une autorisation spéciale pour le convoyage. Du côté du Museum of Flight, des tickets permettant d’assister à la cérémonie officielle de remise de l’avion ont été mis en vente au prix de… 7,27 $ !

La date du vol retour vers Boeing Field, 25 ans plus tard, a été fixée très tôt au 2 mars, sous condition bien sûr de conditions météorologiques acceptables et ce fut un bon choix puisqu’elles étaient tout à fait correctes pour une fin d’hiver dans une région réputée généralement difficile.

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L’équipage du vol historique quelques heures avant le décollage. (Museum of flight)

Vers 10h (heure de Seattle, 19h en France), la cérémonie de départ débutait à Paine Field. Avec un petit peu de retard, mais qui permit aux spectateur d’assister à l’arrivée d’un Boeing 747-400LCF Dreamlifter en provenance d’Anchorage, l’avion fut repoussé par un tracma. Immobilisé à proximité du seuil de piste, un groupe de parc a été branché et l’équipage a procédé à la mise en route des réacteurs à 10h35 (loc) sous la surveillance de deux camions de pompiers.

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Le premier 727 à quelques minutes de sa dernière mise en route. A noter le 747 Dreamlifter à l’arrière plan. (Museum of Flight)

Une fois la clearance obtenue l’avion est resté au point d’attente quelques minutes, le temps de laisser quelques jets d’affaires se poser ou décoller.

Le décollage, retransmis en direct sur internet, est effectué à très exactement 10h50 !

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Aligné, prêt au décollage. (Capture Livestream)

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11h03, heure de Seattle, le 2 mars 2016, le premier Boeing 727 termine sa carrière volante sous les applaudissements ! (Capture Livestream)

Le Boeing 727 aux couleurs d’United a touché la piste 13 de Boeing Field à très exactement 11h03 (loc) sous les applaudissements de la foule, après un vol intégralement effectué train sorti pour éviter tout risque de problème technique.

Arrivé à Boeing Field, le 727 est salué comme il se doit ! (photo : Museum of Flight)

Désormais arrivé à destination, le premier Boeing 727 va être exposé et pourra être admiré par le public au cœur d’une exposition qui ne manque vraiment pas de belles pièces puisqu’il ne sera pas loin d’un Concorde de British Airways, d’un ancien Air Force One et surtout du tout premier Boeing 747. Avec ce Boeing 727 historique, le musée, qui dispose déjà d’un Boeing 727-200, ajoute donc une nouvelle très belle pièce a ses collections et va permettre ainsi de rendre le juste hommage à un type d’appareil dont l’importance dans l’évolution de l’aviation commerciale récente doit être souligné.

Le Boeing 747 Supertanker d’Evergreen

Au début des années 2000, aux USA, la période est propice à l’émergence d’une nouvelle génération d’avions de lutte anti-incendie. Alors que les feux semblent n’avoir jamais été si nombreux et si importants, l’interdiction soudaine des C-130A Hercules et des PB4Y Privateer, à la suite de deux accidents tragiques lors de l’été 2002, entraîne, deux ans plus tard, le bannissement définitif de nombreux types d’appareils considérés désormais comme dépassés. Cette situation sert de point de départ au lancement de plusieurs projets de modifications d’avions pour la lutte anti-incendie dont deux d’une capacité sans commune mesure avec les aéronefs alors en service.

D’un côté la compagnie 10 Tanker  procède à la mise au point et à la mise en service d’un DC-10 doté d’une soute de 45 000 litres, de l’autre, la compagnie Evergreen International va encore plus loin avec un Boeing 747-200 cargo doté d’un système de largage de 19 600 gallons US soit environ 75 000 litres. Ces deux types d’avions ont entraîné la création d’une nouvelle catégorie dans la classification des avions de lutte anti-incendie aux USA, les VLAT, Very Large Air Tankers.

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En haut, deux montages préfigurant le Supertanker en action. En bas, deux photos du 747-273C N470EV lors de ses premiers essais de largage, alors qu’il conserve encore la livrée Evergreen International habituelle. (Evergreen Supertanker)

Evergreen International n’est pas tout à fait un nouveau venu dans ce business. Dans les années 70 et 80, avant de se spécialiser dans le fret avec une importante flotte de Boeing 747 cargo, cette compagnie de travail aérien a exploité des B-17 Flying Fortress et P2V Neptune tankers sous contrat avec l’US Forest Service. Evergreen conserve alors aussi une branche hélicoptères de travail aérien dont les S-64 Skycrane peuvent être utilisés comme bombardiers d’eau. Cette entreprise, avec une vraie expérience et une vraie histoire dans le domaine de la lutte contre les feux, tente donc un come-back tonitruant. Un budget de 40 à 50 millions de dollars est alloué à ce projet, essentiellement pour la conception et la fabrication du système de largage pressurisé qui fait l’objet de plusieurs brevets successifs en fonction de ses évolutions.

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Une fois certifié, le premier Supertanker, le Boeing 747-273C immatriculé N470EV, devint le Tanker 947. Sa dérive fut alors peinte en conséquence et le nom Supertanker ajouté sur le fuselage. (Photo : Scott Wright)

Le premier système conçu est installé sur des palettes mobiles afin de pouvoir, comme un MAFFS, être facilement ôté de la soute d’un Boeing 747-200 cargo par son nez ouvrant, même si une modification importante de l’avion porteur reste nécessaire avec l’installation à demeure sous le fuselage, des quatre buses de largage.

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Les quatre buses de largage du Supertanker.

La complexité d’un système pressurisé, par opposition aux systèmes conventionnels et à débit constant, est compensé par la relative étroitesse de la zone à modifier sur la structure de l’avion pour installer les quatre buses de largage.

La force de l’impact de la charge et l’empreinte du largage font cependant l’objet d’importants débats, de même que le comportement d’un avion aussi imposant à basse altitude. Evergreen répond en expliquant que contrairement aux autres appareils obligés d’être très bas (30 à 50 mètres en fonction des circonstances) pour larguer, la pression du système adopté sur le Supertanker l’autorise à le faire depuis une hauteur de 250 mètres, ce qui est cohérent pour une utilisation en attaque indirecte ou semi-directe au retardant. Cette capacité, toujours selon la compagnie, ouvre alors la perspective d’une possibilité d’utilisation nocturne de l’appareil, bien qu’aucune expérimentation pratique ne soit prévue alors à moyen terme.

Evergreen insiste surtout sur la polyvalence de son avion, capable de poser d’importantes charges de retardant contre des feux, mais susceptible de pouvoir faire de même avec les produits dispersants utilisés lors des marrées noires par exemple.

Le premier avion modifié avec ce système, le Boeing 747-273C immatriculé N470EV, effectue ses essais préliminaires en 2004 sur une zone aménagée au nord de l’aéroport du Pinal Park à Marana dans l’Arizona et donne satisfaction à ses commanditaires.

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Au nord du Pinal Park, entre Tucson et Phoenix dans l’Arizona , une zone rectangulaire de 2 km de long a été aménagée pour l’analyse des largages du Supertanker. (Google Earth)

La certification est obtenue en 2006 et sa première présentation publique a lieu la même année, au mois de mai, à Sacramento en Californie. C’est la première d’une longue série qui a pour but de faire connaître l’appareil et ses capacités aux décideurs des différentes administrations susceptibles de louer cet appareil imposant et néanmoins coûteux. Mais l’avion ne parvient pas à décrocher le moindre accord.

Devant cette situation qui perdure Evergreen prend la décision, autour de 2008, de réaffecter le N470EV à des vols cargos et d’utiliser un Boeing 747-100, plus ancien et moins rentable pour le transport de fret pour poursuivre l’aventure Supertanker.

Le deuxième Supertanker, le Boeing 747-132C, immatriculé N479EV, Tanker 979

C’est le Boeing 747-132C N479EV, construit en 1970 et utilisé par China Airlines et PanAm avant d’être converti en cargo en 1984, qui est choisi. Il devient donc le Tanker 979 fin 2008 lorsqu’on lui installe un système de réservoirs et de largage dérivé du modèle précédent, allégé par la suppression du système de palettes et avec des réservoirs améliorés.

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Le système de réservoirs sous pression du Supertanker.

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Schéma de l’aménagement général du système embarqué à bord du Supertanker 979. Extrait du  brevet déposé par Evergreen en 2008. Légende : 30 = réservoirs de retardant. 46 = accumulateurs d’air pressurisé. 5 = alimentation sous pression. 5 = buses de largage.

En mars 2009, le nouveau Supertanker obtient l’approbation de l’Interagency Tanker Board, l’organisme  en charge d’évaluer les appareils candidats aux contrats saisonniers de lutte contre les feux aux USA.

Avec l’objectif de décrocher des contrats en dehors des USA, l’avion effectue une tournée de démonstration qui débute à Chateauroux le 16 juillet 2009. L’avion est ensuite présenté le 21 juillet à Ciudad Real en Espagne. Les pompiers espagnols étant alors aux prises avec un feu important, qui venait de tuer cinq des leurs, l’appareil effectue alors son premier largage opérationnel dans la région de Cuenca. Ensuite, le Supertanker effectue une dernière démonstration à Francfort le 24. A peine rentré sur le continent américain, il est amené à intervenir sur un immense feu dans la région de Fairbanks en Alaska le 31, faisant ainsi la démonstration d’une véritable capacité intercontinentale. A la fin de l’été, il est également sollicité pour participer à la lutte contre les feux qui touchent la région de Los Angeles.

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Le Boeing 747-100 Tanker 979 garé devant la tour de contrôle de Chateauroux le 16 juillet 2009.

En décembre 2010, Il intervient en Israël lors du terrible feu du Mont Carmel, dans lequel 40 personnes ont perdu la vie, puis, en avril 2011, il est engagé au Mexique pour combattre des feux dans la province de Coahuila.

L’appareil est ensuite arrêté de vol faute de nouveau contrat. Le PDG d’Evergreen publie alors une lettre ouverte dans laquelle il critique vigoureusement le manque de soutien de l’US Forest Service alors même que l’organisme fédéral est confronté à un grave déficit d’avions opérationnels et que la situation sur le front des incendies, notamment dans l’ouest du pays, est intenable. Le Supertanker semble alors promis au parc à ferraille, ses réacteurs ayant même déjà été retirés pour servir à d’autres avions de la compagnie ou être revendus.

Mais au début de la saison 2013, l’USFS, annonce officiellement accorder au Supertanker un contrat en « Call When Needed » de trois ans. Un tarif prévisionnel est également annoncé, soit 75 000 $ par jour d’activité plus 12 000 $ par heure de vol effectuée.

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Le Boeing 747 Supertanker stocké à Marana, trois réacteurs en moins, en 2014. (Google Earth)

Finalement, devant le coût de la remise en état de son appareil, que la compagnie estime alors à un million de Dollars, Evergreen décide de repousser l’opération en gardant pour objectif de rendre l’avion opérationnel pour la saison 2014.

Malheureusement, Evergreen, dont l’activité cargo est alors essentiellement consacrée au rapatriement du matériel militaire américain depuis l’Irak et l’Afghanistan, est directement victime du « shutdown »  budgétaire américain de 2013. Privé de ses contrats avec le Department of Defense, la compagnie cesse son activité à l’automne. En faillite, elle est liquidée au mois de décembre. Le Supertanker reste alors stationné à Marana dans l’Arizona, dans un coin de l’aéroport, aux côtés d’autres avions désormais en attente d’une décision sur leur sort.

Si l’histoire du Supertanker selon Evergreen s’arrête là, celle d’un Boeing 747 de lutte anti-incendie continue pourtant avec la création d’une nouvelle société dont l’objectif  est de poursuivre cette aventure.

(à suivre)

Air France a dit adieu à ses Boeing 747

L’atterrissage à Roissy du vol AF439 en provenance de Mexico, le lundi 11 janvier 2016 vers 14h00, mettait le point final à une longue histoire d’amour entre une compagnie et un avion aussi emblématique qu’historique. Après plus de 45 ans, il s’agissait du dernier vol commercial assuré pour Air France par un Boeing 747. Le premier avait eu lieu le 3 juin 1970 sur la ligne « star » de la compagnie, entre Paris et New-York.

Sur cette longue période, qui représente plus de la moitié de toute l’histoire de la compagnie, les versions du Jumbo se sont succédé, les 747-100 laissant leurs places à des 200 et des 300 et enfin, à partir de la fin des années 80, aux 747-400.

A son entrée en service en 1970, le Boeing 747-100 faisait franchir un pas de géant aux compagnies aériennes par sa distance franchissable et le nombre de passagers emportés même si on était encore loin des capacités haute densité des version ultérieures. (photo : Air France)

Avion mythique, reconnaissable entre mille avec sa fameuse bosse, le plus gros des Boeing, dont on ne se lasse pas d’expliquer qu’il a révolutionné le transport aérien, ne pouvait pas tirer sa révérence d’une grande compagnie nationale en catimini.

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Le logo spécial utilisé par Air France pour célébrer le retrait d’un avion de légende.

Début décembre 2015, Air France a donc mis en vente des places pour un vol commémoratif, indicatif AF747, prévu pour l’après-midi du 14 janvier 2015 pour permettre aux passionnés et aux anciens de passer un dernier moment à bord d’une légende de l’histoire de l’aviation. Le succès de l’opération a été indéniable, le standard de la compagnie se retrouvant rapidement hors- service, plus de 30 000 tentatives pour le joindre ayant été comptabilisés ce jour-là. Il y avait donc des dizaines de milliers de volontaires en mesure de dépenser 220 € pour effectuer un tour de France en Boeing 747. Quelques jours plus tard, un second vol fut alors annoncé pour la matinée du 14 janvier, indicatif AF744, et dont les places partirent tout aussi vite.

Bienvenue à bord du vol AF744

Le vol étant annoncé au décollage à 9h00, les passagers étaient invités à se présenter à l’aéroport avant 8h00. Sur les tableaux des terminaux, l’avion était bien prévu à l’heure.

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Un vol à destination de Charles de Gaulle au décollage de Roissy, une situation peu banale.

Si au comptoir d’embarquement Air France les équipes étaient prévenues qu’elles allaient avoir des passagers pour un vol à destination de Paris, pour les prestataires externes affectés aux points de filtrage, qui vérifiaient donc les bagages à main et les cartes d’embarquement, la découverte de « fictitious » comme destination a causé quelques interrogations vite levées par les passagers eux-mêmes.

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Une carte d’embarquement particulière à plus d’un titre.

C’est une foule joyeuse et variée qui s’est donc engouffrée dans le F-GITJ à l’heure dite. le temps de s’installer tranquillement, les premiers messages au « public adress » du personnel de bord indiquaient que ce vol ne sera décidément pas comme les autres. Alors que les écrans de l’IFE diffusaient les consignes de sécurité que personne ne suivait vraiment, à plusieurs reprises, la chef de cabine a rappelé que les personnels au sol montés à bord devaient en descendre maintenant pour permettre le décollage. Il ne fait aucun doute que ces passionnés avaient du mal à quitter un avion dont il se sont occupés,  aux arrivés et aux départs, pendant des années. Pour eux aussi, c’était aussi un moment particulier teinté d’émotion.

« Pour la dernière fois, PNC aux portes, armement des toboggans, vérification de la porte opposée ». Avec plus d’une demi-heure de retard sur le programmé prévu, le 747 Tango-Juliette est repoussé et mets en route, un à un, ses quatre réacteurs avant de rouler en destination des pistes.

Après un court temps d’attente, l’avion s’engage dans un « rolling take off » très vif face à l’ouest. A la masse au décollage de 286 tonnes, dont 50 de carburant, le 747-400 est très léger, loin des 400 tonnes maximales possibles. Il décolle donc rapidement et grimpe vite dans la couche qui empêcha les passagers d’apercevoir Paris. Un léger virage vers l’Est le vol prit le cap vers les Alpes en grimpant vers le niveau de vol 300 soit 10 000 mètres environ.

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La couverture du menu spécial de ce vol particulier.

A peine les indications « attachez vos ceintures » éteintes que les allées de l’appareil se sont remplies d’une foule désireuse de visiter l’avion de fond en comble.

Pour les PNC, le « cauchemar » commençait. Comment faire circuler dans ces allées les petits chariots chargés de Champagne pour servir des gens qui de toute façon se sont éparpillés dans tout l’avion ?

Quelques messages très amicaux et même rigolards incitèrent les curieux à revenir s’assoir à leurs places. La petite collation servie, aux standards de ce qui est proposé habituellement aux passagers de la classe affaires, était juste parfaite et le Champagne qui l’accompagnait tout à fait délicieux. Un petit assortiments de sucreries dans un sachet estampillé « Fauchon » vint accompagner ces quelques mets. Cette légère collation consommée, à nouveau la foule vint encombrer les couloirs, dans la bonne humeur générale. Quelques hublots accessibles permirent aux photographes frustrés d’être installés dans les rangées centrales de faire travailler leurs cartes mémoires.

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Au dessus des nuages, il fait toujours beau !

Après avoir frôlé les Alpes, l’avion a obliqué vers Marseille puis a survolé Toulouse, la région de Bordeaux avant de remonter vers Nantes. La France étant particulièrement couverte ce jeudi, difficile  de profiter du paysage. Mais en arrivant vers les pays de la Loire, la couche nuageuse se déchirant, l’équipage amena son appareil vers des niveaux de vols plus touristiques, afin que les passagers puissent un peu profiter du paysage. Pendant ce temps, le journaliste et pilote émérite Frédéric Béniada, auteur d’un très joli livre sur le Jumbo, racontait au micro l’aventure du Boeing 747 et la grande histoire d’amour entre cet appareil et la compagnie française.

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Le F-GITJ surpris lors de son survol de Nantes. (Photo : Fabrice Renaudet)

A proximité de Nantes, l’avion se trouvait à environ 25 000 pieds. Rennes fut survolé à 20 000 pieds avant de remonter un peu vers le Mont Saint-Michel, visible pour ceux qui étaient alors du bon côté.

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L’Est de la ville de Rennes et Cesson-Sévigné survolés à 20 000 pieds. La nouvelle voie TGV est clairement visible à droite.

Après la Normandie, l’avion est encore descendu pour atteindre les alentours de 10 000 pieds. Procédure rare dans l’histoire de l’exploitation des avions d’Air France, mais la fin du vol a été effectué en régime de vol VFR, comme n’importe quel avion léger, surveillé attentivement cependant par les contrôleurs aériens. Le trafic à Roissy étant particulièrement dense à ce moment-là, par deux fois l’appareil a dû procéder à un 360° d’attente afin de laisser passer des avions qui, eux, avaient un horaire à tenir. C’est ainsi que ce vol prévu pour durer 2h40 a finalement atteint les 3h20. Une situation qui aurait tendance à tendre les nerfs des passagers en temps normal mais qui, dans ces circonstances, a été particulièrement apprécié par les passionnés.

Puis vint le temps de la descente finale.

Et l’émotion gagna l’équipage qui effectuait son dernier vol sur cet appareil. Il y eu quelques larmes au moment des dernières annonces mais sans que l’ambiance générale n’en soit alourdie.

Le Boeing 747 toucha terre sur la piste 27L de Roissy et le commandant de bord, M. Thierry Mondon, gratifia ses passagers d’un spectaculaire freinage, volets sortis, AF et spoilers en action, reverse à fond, histoire de démontrer que sa monture en avait encore « sous le capot ».

Si le vol était parti de la porte M26 du terminal 2E, le débarquement devait se faire en zone de maintenance pour une courte réception dans les ateliers d’entretien de la compagnie. Après le roulage, juste après avoir coupé une dernière fois les réacteurs, l’équipage a, comme d’habitude, autorisé les passagers à se lever en coupant le signal « ceintures attachées ». Petit soucis, l’appareil n’était pas, alors, vraiment à l’endroit où il devait s’arrêter. En attendant qu’il soit tracté sur les quelques mètres manquants, la chef de cabine fit un appel par le « public adress » assez inédit dans l’histoire de l’aviation commerciale : « Nous ne sommes pas tout à fait à notre point de stationnement, vous demander de vous asseoir n’est pas envisageable, faites très attention à vous ! »

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Le TJ dépose ses derniers passagers en zone de maintenance à Roissy. Le vol AF744 est terminé.

C’est au moment où de la descente du Boeing qu’a eu lieu la seule petite fausse note de la journée. Comme les nombreux passagers étaient attendus dans le hangar juste devant l’avion en pleine zone de maintenance opérationnelle, il n’était pas possible de les laisser gambader autour de l’avion pour faire des photos. Des équipes d’Air France étaient là pour les canaliser et les faire entrer sur le lieu de la réception et si les incitations étaient aimablement faites, il n’a pas été vraiment possible de tirer correctement le portrait de l’avion. C’est dommage, mais surtout extrêmement frustrant.

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Sous l’aile du F-GITD, le buffet attend les passagers du vol AF744.

Dans le hangar, un autre 747 d’Air France, le F-GITD attendait, servant de décor pour l’occasion, accompagné d’un Boeing 777 porteur d’une discrète décoration spéciale. Le troisième et dernier, le F-GITE, était alors en vol, en train d’assurer le vol historique AF747. Après l’intervention de la directrice du centre de maintenance, le PDG de la compagnie, qui avait participé au vol, prit la parole pour expliquer l’attachement de la compagnie à ses Boeing, avant de laisser la foule affamée se ruer vers un buffet très apprécié.

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Alexandre de Juniac, PDG d’Air France, au cours de sa brève allocution.

Après la remise du certificat de vol et du « filet garni » contenant quelques « goodies », porte-clef, casquette, autocollant, et un livre sur l’histoire d’Europe 1, partenaire média de l’opération puisqu’un direct a été organisé depuis le AF747 en vol au-dessus de la France, des navettes bus ont raccompagné les passagers jusqu’au terminal 2E par les voies de cheminement en zone aérodrome ; l’occasion de tirer le portrait de quelques avions de ligne sans être gênés par une quelconque barrière et sans avoir besoin d’avoir en poche l’autorisation préfectorale obligatoire pour les spotters à Roissy.

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Un dernier regard vers le F-GITJ depuis le bus ramenant les passagers vers le terminal 2.

Avec ces deux vols commémoratifs, Air France a réussi une opération de communication importante. Relayé par de très nombreux médias dans le monde et surtout avec un succès public retentissant – n’oublions pas les 30 000 demandes enregistrées au moment de la mise en vente des places – le retrait de service des Boeing 747 à la dérive tricolore n’est pas passé inaperçu. Pour ceux, très privilégiés, qui ont vécu ces derniers instants à 30 000 pieds au-dessus de notre pays, il restera longtemps le souvenir d’un vol à l’ambiance incroyable et d’un moment absolument délicieux. Merci donc à Air France et aux équipes impliquées dans ce projet pour la réussite de cette opération. Et Bravo !

AF744 et AF 747 (document : http://www.radarvirtuel.com/)

Relevé des trajectoires des AF744 (en bleu) et AF747 (en noir) du 14 janvier 2016. Document radarvirtuel.com

L’avenir des trois derniers 747 d’Air France n’a pas encore été précisé en détail. Le TE a fait, le samedi 16 janvier un court vol vers l’aéroport du Bourget où il est venu se garer devant le Musée de l’Air pour le weekend avant de repartir le dimanche soir à Roissy.

Ainsi de nombreux passionnés ont pu venir visiter une dernière fois le géant des airs. Ils ont ainsi pu faire directement la comparaison avec la première génération de cette famille d’avions puisque le Musée de l’Air présente dans ses collections le Boeing 747-128 F-BPVJ, entré en service à Air France en 1973 et retiré du service en 2000, exposé et ouvert au public depuis sur l’aéroport du Bourget.

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Le Boeing 747 du Musée de l’Air au Bourget entouré de véhicules de collection lors de l’inauguration du premier hall, provisoire, consacré à la seconde guerre mondiale en 2006.

Le « non-évènement » de Clover Field, 17 décembre 1935 (3)

80 ans après le premier vol, 65 après la sortie d’usine du dernier exemplaire, un peu plus de 200 DC-3 continuent donc de voler encore dans le monde. Certains sont entre les mains d’épicuriens du ciel, d’autres rapportent encore de l’argent ou assurent des missions parfois importantes, qu’ils aient été turbinisés ou qu’ils conservent leurs vénérables moteurs à pistons.

C’est à Yellowknife, dans les Territoires du Nord-Ouest au Canada, que se trouve un des plus importants nids de DC-3 et de C-47 encore opérationnels. Buffalo Airways, compagnie aérienne atypique possède environ une douzaine d’avions de ce type, certains seulement au titre de réserve de pièces détachées mais les autres volaient quotidiennement pour des vols cargo vers le grand-nord. La particularité de la compagnie a été d’officier l’ultime ligne aérienne passagers régulière en DC-3.

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Un des DC-3 de Buffalo  dans son élément naturel. (Photo : Buffalo Airways)

En effet, la liaison quotidienne entre Yellowknife et Hay River était effectuée en DC-3 avec un aller-retour par jour et un autre par weekend. Chaque branche durait environ 45 minutes pour 335 $Can l’aller retour pour un adulte en semaine et 250 le weekend. Le maintien du DC-3 dans ces fonctions tenait autant du miracle économique que du conservatisme assumé du patron, lequel n’a pas que des amis dans l’administration de l’aviation civile canadienne.

A la fin du mois de novembre 2015, Transport Canada a annoncé la suspension des certifications de la compagnie aérienne pour des manquements réguliers à la sécurité des vols, l’accident du C-47 C-GWIR en 2013 ayant été le révélateur de procédures peu respectées. Une décision qui est aussi motivée par les relations exécrables entre Buffalo et les représentants de son administration de tutelle. Pour le moment, la compagnie poursuit ses vols grâce à la location d’appareils d’autres compagnies. Si Buffalo accepte de réviser ses procédures et s’y tenir, TC pourrait très bien lever la sanction et les DC-3 reprendre leurs liaisons régulières, mais pour le moment aucune décision définitive n’a été prise. Une affaire qu’il faudra donc suivre avec intérêt.

Parmi les avions appartenant à Buffalo, on note la présence d’un très rare DST, stocké à Red Deer. La cellule de l’ex-NC25620 et dont la dernière immatriculation était CF-VQV est en vente depuis 2006 mais demeure à Red Deer dans un état correct.

D’autres appareils restent très opérationnels un peu partout dans le monde. Parmi eux, des appareils qui ont été turbinisés ; le principal spécialiste de cette modernisation étant la firme Basler Conversion LLC qui propose le BT-67 pour lequel  les moteurs à pistons sont remplacés par des turbines PT-6-67R.

Ces avions modernisés ont trouvé leur place dans de nombreux organismes gouvernementaux aux USA comme l’US Forest Service mais aussi l’US Air Force. En effet, jusqu’en 2008, le 6th Special Operation Squadron, dont la mission est de participer à la formation des opérateurs des forces spéciales de pays alliés des USA, disposait d’un C-47T (BT-67) en leasing immatriculé N40386. Cet appareil à l’histoire dense, utilisé par l’armée de l’Air française en Indochine, prototype du Basler BT-67 bombardier d’eau et à ce titre proposé et présenté à la Sécurité Civile française au début des années 2000, est désormais immatriculé au Canada chez Kenn Borek Air à Calgary.

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Les étonnants appareils du 6th Special Operations Squadron de l’USAF en 2005. Les avions ont été remplacés depuis par de plus modestes PZL C-145A Skytruck. (Photo : Ali Flisek/USAF)

On retrouve aussi des Basler BT-67 dans plusieurs autres forces aériennes, en Afrique du Sud, en Thaïlande, où un de ces avions est utilisé comme bombardier d’eau, au Salvador ou dans la Policia Nacional colombienne…

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Prise à travers le hublot d’un avion de ligne, cette photo montre un des BT-67 de la Policia Nacional colombienne basé à Bogota. (Photo : Gildas Marsaly)

D’autre sont utilisés pour des missions plus classiques de transport de passagers comme Private Air Inc de Thunder Bay dans l’Ontario qui propose les services du C-GKKB, ex N142Z de l’USFS, pour des vols à la demande.

Mais les DC-3 modifiés par Basler sont utilisés aussi pour ravitailler les stations polaires, des missions exigeantes où les capacités hors-normes du DC-3 font toujours merveille.

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Plusieurs BT-67 sont utilisés pour ravitailler les stations polaires. Certains sont aussi instrumentés pour recueillir des données scientifiques au cours de leurs vols. (Photo : Basler Conversions LLC)

Plus spectaculaire encore, le BT-67 immatriculé ZS-ASN a été profondément modifié pour des missions  aériennes de prospection électromagnétique. Il s’agit d’un ancien C-47B de 1945 qui a été converti et remotorisé à partir de 1991. Le programme Spectrem2000 dont il est l’élément essentiel a été développé par un groupe de géophysiciens et d’ingénieurs. Normalement basé en Afrique du Sud, où il est immatriculé, cet avion est amené souvent à opérer loin de ses terres en raison de la nature de ses missions.

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Largement modifié, le ZS-ASN opère désormais des missions de prospection et d’analyse pour Spectrem Air Surveys. (Photo : W. Moolman)

Bien sûr, de nombreux DC-3 appartiennent désormais à des propriétaires privés qui les utilisent comme avions personnels et parfois les exploitent commercialement à l’occasion, d’autres sont devenus de véritables warbirds ou participent activement à de nombreuses manifestations aériennes. Le C-47 ZA947, ex USAAF 42-24338,  appartient à cette catégorie des avions de collection, mais son affectation à l’escadrille commémorative du Battle of Britain Memorial Flight de la très sérieuse Royal Air Force britannique fait qu’on peut aussi le classer parmi les appareils encore en service au sein d’une force aérienne, même si il n’est pas question de le détacher sur un théâtre d’opérations, bien entendu !

Un autre exemple parmi les plus spectaculaires est cet appareil utilisé comme outil de promotion d’un programme éducatif du National Aviation Hall of Fame aux USA. Ce DC-3 jaune vif, souriant comme un personnage de dessin animé, est devenu très populaire ; Il faut dire qu’il a tout pour ne pas passer inaperçu !

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Avec sa décoration aussi clinquante que souriante, « Duggy » est un des DC-3 les plus célèbres aux USA. Il a été photographié au décollage à Oshkosh au cours d’un des fabuleux fly in de l’EAA. (Photo : Damien Defever)

C-47 construit en 1942, il a volé pour pour le transport aérien militaire US dans le Pacifique. Revendu en surplus après la guerre, il est utilisé par la compagnie aérienne Wien Air dans le grand Nord avant d’intégrer l’administration des transports canadiens. Racheté dans les années 90, il est restauré et immatriculé N1XP depuis 1998, mais tout le monde le connaît sous son surnom de « Duggy ». Il est loin d’être le seul C-47 du circuit des Airshow US, mais « Duggy » est, de loin, le plus connu et le plus reconnaissable.

En France, trois appareils demeurent en état de vol, entre des mains privées. Ils sont devenus des avions de collection et apparaissent régulièrement en meeting aérien et participent à de nombreuses manifestations. Ils peuvent aussi parfois être utilisés pour larguer des paras.

Le F-AZTE est sans doute le plus connu et le plus emblématique. Portant les couleurs du F-BBBE d’Air France, il appartient à l’association « France DC-3 ». Le vrai F-BBBE était le C-47 41-38753 qui termina sa carrière en Afrique. Le F-AZTE est lui le C-47 42-23310 qui combattit sur le front Européen à partir de 1943. C’est un avion historique à plus d’un titre.

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Le F-AZTE en 2006 lors du 60e anniversaire de l’EPNER à Istres. Il était alors aux couleurs belges.

En plus d’avoir effectué de très nombreuses missions de transport, habituelles pour les C-47 engagés dans le conflit, il se retrouva à remorquer un planeur en direction de Sainte-Mère-Église le matin du 6 juin 1944. Il en récolta quelques impacts de tirs de la DCA allemande. Le 15 août suivant, il remorqua à nouveau un planeur en direction du Muy dans le Var pour le débarquement en Provence. Et c’est toujours dans ce rôle qu’il participa aux opérations aéroportées Market Garden en Allemagne et aux Pays-Bas de septembre 1944.

Démobilisé, il est immatriculé en Grande Bretagne mais se retrouve réquisitionné pour participer au pont aérien vers Berlin en 1948 et 1949. Il est ensuite vendu à l’armée de l’Air française où il est affecté au Groupe des Liaisons Aériennes Ministérielles avant d’être revendu à la République Centre Africaine pour devenir l’avion de l’Empereur Bokassa. De retour en Europe dans les années 80, il reprend une carrière commerciale puis il est sauvé de la ferraille en 1989 par l’association France DC-3 pour devenir le F-GDPP de l’envolée Air Inter, le tour de France des jeunes pilotes dont il est l’avion accompagnateur emblématique. Après un nouvel intermède commercial sans succès, il devient un véritable avion de collection en tant que F-AZTE et connaît plusieurs schémas de décoration avant d’adopter celui du F-BBBE.

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Avec sa livrée historique du F-BBBE, le DC-3 F-AZTE est d’une élégance indéniable.

Autre représentant de la famille des bimoteurs Douglas volant dans notre pays, le N49AG est arrivé en France au début des années 2000. Il s’agit du C-53D 42-68810 livré à l’USAAF en 1943 pour laquelle il opère en Afrique du nord. Il vole ensuite pour la TWA avant de servir dans différentes entreprises aux USA puis en Afrique pour finir en Belgique avant d’être convoyé vers la France. Il vole désormais avec « France’s Flying Warbirds » basé à Melun.

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Le N49AG au décollage lors du meeting de la Ferté-Alais en 2014. Il porte sous le cockpit l’insigne de l’association des pilotes militaires réunionnais.

Troisième membre du club des DC-3 français encore bien actifs, le F-AZOX est le C-47B construit en 1945 (44-77020) qui a ensuite volé au sein de la RAF, immatriculé KN655, puis pour la Royal Canadian Air Force avant d’être revendu en surplus. Il connut alors une succession de propriétaires canadiens, Eclipse Consultants, Skycraft Air Transport, Ilford Riverton, Air Manitoba avant d’arriver en France comme F-GIAZ pour Air Dakota. Il devient ensuite F-GIDK en 1991 puis enfin F-AZOX à partir de 2010 pour l’association « Un Dakota sur la Normandie ».

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Le F-AZOX lors d’une démonstration en vol à Saint-Dizier en 2011.

D’autres DC-3 et assimilés sont conservés et exposés au Musée de l’Air au Bourget, à Sainte-Mère-Église, au Musée de l’Aéronavale de Rochefort, à Montélimar, à Albert, à Lann-Bihoué ou à la Ferté-Alais.

Un peu partout dans le monde, de très nombreux appareils de ce type existent encore bien que n’ayant pas volé parfois depuis des décennies. Poussés dans un coin d’un aérodrome d’Amérique du Sud ou à l’état d’épave en Islande ou en Alaska, les DC-3 encore existants sont innombrables. Certains sont parfaitement identifiés et attendent une restauration complète pour reprendre leurs missions ou intégrer une collection. C’est le cas par exemple du N133D, sixième DST produit et plus ancien DC-3 encore existant, mais il est loin d’être un cas isolé.

80 ans après le « non-évènement » de Clover Field, il est donc encore impossible de refermer le grand livre de l’histoire du DC-3. Il est encore bien ouvert et ces dizaines d’avions continuent à en écrire des chapitres aussi divers qu’étonnants. Même si on doit reconnaître au général Eisenhower, qui attribua le succès des forces américaines à l’usage du bazooka, de la jeep, de la bombe atomique et du C-47, une clairvoyance certaine,  l’histoire de ces avions ne peut pas se résumer à ce seul faits d’arme. En plus d’avoir gagné la guerre, la famille DC-3 a surtout gagné la paix en permettant de rétablir les liaisons entre les pays, entre les peuples, mission qu’elle continue d’assurer. Et devant ce travail accompli, les records de longévité ne sont alors vraiment plus qu’accessoire.

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Bien que les rejetons du DST du 17 décembre 1935 sont encore nombreux à voler, il ne faut surtout pas minimiser le caractère extraordinaire que représente cette carrière longue de 80 ans de vols opérationnels, un cas unique pour le moment dans l’histoire de l’aéronautique. Il ne faut pas non plus galvauder le plaisir qu’il est possible de prendre à le regarder évoluer, à écouter son bruit unique. De tous les avions produits depuis que l’homme a conquit le ciel, le DC-3 est sans doute l’un des plus importants ; il est aussi un des plus sympathiques et des plus attachants !

Il y a 80 ans, il ne s’est donc rien passé à Clover Field.

Enfin presque !

Le « non-évènement » de Clover Field, 17 décembre 1935 (2)

Si l’histoire ne risque pas d’oublier le DC-3, l’histoire du premier d’entre-eux est relativement peu connue. Les hommes qui sont à l’origine de cette flamboyante réussite méritent aussi qu’on s’attarde sur leurs parcours respectifs.

Le premier des DC-3 était donc un Douglas Sleeper Transport (DST), une version à fuselage élargi et plus puissante du DC-2 destinée à emporter ses passagers dans des couchettes pour les vols de nuit. Même si l’avion ne retenait que 10% de pièces communes avec son prédécesseur, pour Douglas, ce n’était qu’une évolution et le premier exemplaire construit n’était pas un prototype. C’était un avion destiné à être remis très vite à la compagnie aérienne qui l’avait commandé, American Airlines.

Immatriculé X14988, (msn 1494) le premier DST, modèle 144, effectue donc son vol inaugural le 17 décembre 1935. Au cours du mois suivant, il effectue 25 heures de vol d’essais puis, au printemps, il est remis à American Airlines avec l’immatriculation NC14988 et une centaine d’heures de vol au compteur.

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Le DST NC14988 à Clover Field, quelques jours après son premier vol. Les lignes du DC-3 sont déjà là, mis à part le raccord fuselage dérive qui va vite être installé après les vols d’essais. (Douglas)

Au cours des années suivantes il change plusieurs fois de configuration passant de 21 passagers à 24, puis 28 et enfin 32. En 1942, il est revendu à la TWA. Cette compagnie venait d’obtenir un contrat avec l’US Army pour des vols de passagers et de fret. En mai de cette même année, sa propriété est transférée à la défense américaine et, devenu un C-49E, l’avion est affecté au 24th Troop Carrier au sein de l’USAAF sous le numéro d’identification 42-43619.

Malheureusement, le 14 octobre suivant, dans le mauvais temps, il s’écrase non loin du terrain d’aviation de Knob Noster, dans le Missouri, Sedalia Air Force Base, qui ne s’appelait pas encore Whiteman AFB. L’accident fait au moins trois morts. Le premier des DST aurait, au cours de sa courte carrière, accumulé 17 166 heures de vol, un chiffre très élevé mais plausible.

Pour le « non-évènement néanmoins historique » du 17 décembre 1935, son équipage était constitué de trois hommes :

Carl A. Cover, qui avait la double casquette de chef des ventes et de pilote d’essais, avait déjà assuré les vols inauguraux des DC-1 et DC-2. Après celui du DST et du DC-3, il fit ceux du DC-4E et du DC-5 qui ont laissé moins de traces dans l’histoire. Au début de l’année 1944, il quitte Douglas pour Bell, mais au mois de décembre de cette même année, alors qu’il se trouve aux commandes d’un bimoteur Beechcraft 18, il s’écrase près de Wright Field (Aujourd’hui Wright-Patterson Air Force Base) à Dayton, Ohio, avec son passager, Max Stupar, un autre pionnier de l’aéronautique américaine.

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Carl A Cover (à droite), pilote d’essais chez Douglas, en compagnie d’Ed Heinemann, autre ingénieur de talent de l’entreprise californienne. Ils posent devant le DC-5 dont Cover fut aussi le premier pilote. (Douglas)

Copilote du premier vol du DST, Franklin R. Collbohm, ingénieur et pilote d’essais, ne garda donc aucun souvenir marquant de ce fameux vol d’essais. Impliqué dans tous les projets de Douglas jusqu’à la fin de la guerre, il quitte l’entreprise californienne en 1946 pour s’impliquer dans la création de la Rand Corporation, un organisme indépendant, à but non lucratif, en charge de promouvoir l’innovation et l’analyse dans les domaines de l’aéronautique et de la défense et devenu aujourd’hui, le laboratoire d’idées de référence. Frank Collbohm est décédé à l’âge de 83 ans en février 1990.

Ils étaient accompagnés de Fred J. Stineman (1910-1951), qui tint le rôle du mécanicien navigant lors de ce premier vol.

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William « Bill » Littlewood. (American Airlines)

L’idée du DST était née chez American Airlines où William Littlewood (1898-1967), chef ingénieur et vice-président de la compagnie voulait élargir l’offre d’avions-couchettes qu’il pouvait proposer aux passagers de sa compagnie, surtout pour les vols reliant la côte Est à la côte Ouest. Avec Otto E. Kirchner son assistant, il parvint à convaincre C.R Smith (1899-1990), le patron de la compagnie, et ensemble, définirent les spécifications du futur appareil en fonction de leurs besoins en partant de l’idée d’un DC-2 plus large et plus puissant. Pour réduire le nombre d’escales lors des liaisons entre les deux côtes des USA, il fallait aussi que l’appareil ait une autonomie nettement améliorée. Une fois la faisabilité du projet bien établie, ils se tournèrent vers Douglas pour la concrétisation du concept. William Littlewood fut l’interlocuteur privilégié de l’entreprise californienne pendant toute la durée de la conception de l’avion et sa mise au point.

Chez Douglas, de très nombreux cadres de l’entreprise sont bien évidemment intervenus dans ce projet, avec, en premier lieu, l’ingénieur en chef Arthur E. Raymond (1899-1999).

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Arthur E. Raymond en 1954.      (New York Times)

Ce diplômé du MIT effectua toute sa carrière chez Douglas où il débuta comme ajusteur. Gravissant rapidement les échelons, il est ingénieur en chef au milieu des années 30 et participe activement à la conception des avions commerciaux jusqu’à l’avènement du quadriréacteur long courrier DC-8.

Il est considéré comme le vrai père du DC-3 dont il fut un des principaux concepteurs, au point d’être réputé en connaître « le moindre écrou, le moindre boulon ». Preuve de son grand talent, lorsque l’âge de la retraite arriva et qu’il quitta Douglas à l’âge de 60 ans, il passa la décennie suivante au sein de la NASA. Son rôle fut de coordonner le travail des sous-traitants impliqués dans deux programmes qui portaient les noms de Gemini et d’Apollo ! Rien que ça !

Juste à la fin de la guerre, il fut aussi aux côtés de Franck Collbohm, un des instigateurs et fondateurs du laboratoire d’idée qui devint la très réputée Rand Corporation.

Parmi les autres intervenants majeurs dans ce programme, on peut citer le chef d’usine à Santa-Monica, l’ingénieur Harry H. Wetzel. Chef de l’ingénierie au sein de Douglas, Edward F. Burton fut aussi un participant important au programme DST et à ses dérivés.

Jack Northrop (Northrop Grumman Corp)

La voilure du DC-3 fut l’œuvre de Jack Northrop qui, ensuite, marqua l’histoire de l’aéronautique avec ses ailes volantes. (Northrop Grumman Corp.)

Bailey Ostwald, Ingénieur, Docteur en aérodynamique, né en 1906 et décédé en 1998, fut le chef aérodynamicien de Douglas jusqu’au DC-8 et œuvra donc sur la famille DST et DC-3. Ingénieur en charge de la conception du train d’atterrissage du DST et de ses systèmes hydrauliques, le travail d’Harold W. Adams (1910-2007) fut aussi remarquable bien qu’il profita du travail préalable d’Ed Burton sur le DC-1. Elling Veblen, autre pilote d’essais de Douglas, apporta aussi sa contribution à la mise au point du DST et du DC-3. La voilure du DC-3, reprenait les principes multi-cellulaires et à revêtement travaillant imaginés et conçus par John K. « Jack » Northrop (1907-1990). Les qualités de cette aile offraient à Douglas une supériorité technique de robustesse et d’efficacité sur ses concurrents. Ingénieurs aux talents multiples, il se rendit ensuite célèbre par un travail sur les ailes volantes dont le bombardier furtif B-2 est l’aboutissement.

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« Dutch » Kindelberger, père du DC-1 et du DC-2 et qui passa chez North American juste avant l’avènement du DC-3. (North American)

On ne peut pas oublier dans la liste James Howard « Dutch » Kindelberger (1895-1962), qui, en tant qu’ingénieur en chef chez Douglas, créa les DC-1 et DC-2, ce qui en fait peut-être le grand-père du DC-3 !

En 1934, il passa chez Aviation Manufacturing Corporation qui devient quelques années plus tard, la North American qu’il dirigea et qui produisit sous sa direction le P-51 Mustang, le B-25 Mitchell, le F-86 Sabre mais aussi le X-15 !

En partant de Douglas, « Dutch » Kindelberger débaucha un jeune ingénieur, très prometteur, John L. « Lee » Atwood (1904-1999).

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John L. « Lee » Atwood qui continua sa carrière chez North American et qui fut très impliqué dans le programme P-51 Mustang. (North American)

Celui-ci avait travaillé sur la résistance du fuselage des DC-1, DC-2 et DST. On sait que le DC-3 est un avion à la résistance hors du commun puisqu’il fait partie des avions dont les fuselages n’ont pas de limite de potentiel, ce qui tendrait à prouver le bon travail d’Atwood. Passé chez North American, il passa à la postérité en participant très activement à la création du P-51 Mustang, avion qui eut également une influence majeure sur le déroulement de la 2e guerre mondiale. Lorsque « Dutch » prit sa retraite, c’est Atwood qui lui succéda à la tête de l’entreprise.

Autour du berceau du DC-3 c’est clairement la fine fleur des ingénieurs aéronautiques de la côte ouest qui se sont penchés, avec le résultat qu’on connaît. Les parcours professionnels de la plupart d’entre eux sont exemplaires et leur influence sur l’histoire de l’aéronautique est indéniable. Les grandes réussites sont parfois le fruit du hasard, l’histoire ne manque pas d’exemples, mais dans le cas du DC-3, c’est clairement la rencontre d’hommes talentueux, d’idées pragmatiques et d’une conjoncture propice qui menèrent ce projet jusqu’à la légende.

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Embarquement des passagers à bord du NC14988 à la fin des années 30. Ou comment voyager à bord d’un monument historique sans en avoir conscience. (American Airlines)

(à suivre)

Le « non-évènement » de Clover Field, 17 décembre 1935 (1)

« Un vol de routine ».

C’est ainsi que le pilote d’essais Carl A. Cover qualifia sa sortie, la première avec le nouvel appareil produit par son employeur, depuis l’aérodrome de Clover Field à Santa Monica, en Californie, le 17 décembre 1935, 32 ans jour pour jour après l’envol des frères Wright à Kitty Hawk. Pour Frank Collbohm, le copilote, c’est simple ; interviewé en 1985 par le L.A. Time, il ne put répondre. Ce vol avait été un parmi tant d’autre et il n’en avait gardé aucun souvenir.

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Une très rare photo du DST X14988 en vol. (Douglas Aircraft Company)

Celui qui ne s’appelait donc pas encore DC-3 n’était pas vraiment un avion totalement nouveau, il était juste né sur de bonnes bases, celles du DC-2. Le DST, Douglas Sleeper Transport, en était une version à fuselage large, pour que les passagers puissent voyager dans des couchettes, plus lourde et plus puissante mais il en conservait la silhouette générale. Les compagnies aériennes de s’y sont pas trompées et une fois aménagé pour transporter ses passagers de façon plus conventionnelle et renommé DC-3, il rencontra très vite le succès avec 349 appareils produits de 1935 à 1941 ce qui le place largement en tête des ventes des avions commerciaux de l’époque.

DC3 NASM

Le DC-3 a marqué l’histoire de l’aviation commerciale, ce qui vaut à cet exemplaire aux couleurs d’Eastern Airlines d’être exposé à une place de choix au Smithonian’s National Air and Space Museum à Washington.

Il n’y a rien de surprenant à cela. Avec une capacité d’emport allant jusqu’à 30 passagers, une vitesse de croisière de 300 km/h environ et une autonomie confortable, le DC-3 était plus performant et plus rentable que ses concurrents.

Lorsque la guerre arriva, le DC-3, et son fuselage un peu plus large que ses contemporains, s’avéra bien adapté au transport de tout ce que les armées en campagne pouvaient avoir besoin des îles du Pacifique à l’Europe en passant par l’Afrique du Nord. Devenu « Dakota », « Skytrain » ou « Gooney Bird », le C-47, la version cargo militaire du bimoteur Douglas semblait n’avoir presque aucune faille et ses utilisateurs en réclamaient toujours plus même si d’autres avions, comme le Curtiss C-46, plus gros et plus puissant, étaient disponibles. Douglas recevait commandes sur commandes si bien que lorsque la guerre s’acheva, ce sont plus de 10 000 exemplaires qui avaient été construits et mis en service.

Parce que dix ans plus tôt, des choix avaient été faits et qu’ils étaient les bons, l’avion s’était hissé au rang d’avion emblématique, bientôt légendaire !

Après le conflit, ces appareils n’eurent aucun mal à trouver acquéreurs et permirent de relancer les activités économiques ralenties pendant la guerre. Cet âge d’or ne dura que quelques petites années avant que des avions plus ambitieux et plus performants ne les remplacent sur les lignes principales. Pourtant les DC-3 continuèrent à assurer des missions sur les lignes secondaires pendant parfois des décennies.

Dans les années qui suivirent la guerre, de très nombreux avions ont été construits et présentés à leurs futurs clients comme des « DC-3 Killers ». Ce furent les Fokker 27, les HS-748, les Handley Page Herald, les Nord 262 à qui devaient revenir la mission de faire oublier le bimoteur Douglas, devenu mètre-étalon de l’avion bon à tout faire, et d’envoyer les survivants au musée ou à la casse.

Aujourd’hui, c’est dans ces casses ou ces musées qu’on retrouve la plupart de ces « tueurs de DC-3 » tandis que des dizaines de Douglas continuent de faire vibrer leurs passagers, leurs pilotes et tout ceux qui ne peuvent s’empêcher de penser que cette machine est peut-être l’avion le plus important de toute l’histoire de l’aviation.

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Avec le DC-3, l’aviation commerciale a connu un essor qui a infléchi l’histoire du monde.

Est-ce que tous les rares témoins du premier vol du Douglas Sleeper Transport X14988 avaient imaginé un tel destin pour cette machine sans extravagance ?

Clairement non !

Certes l’avion était bien conçu et avait volé comme prévu, peut-être même mieux que son prédécesseur dont il empruntait à peine plus que son allure, mais de là à envisager, même en plaisantant ou ivres morts, que 80 ans plus tard, leur création volerait toujours en nombres, et même de façon tout à fait opérationnelle dans quelques forces armées et compagnies aériennes ?

Aucune chance !

Il y a 80 ans, le 17 décembre 1935, à Clover Field, ce fut donc un non-événement.

Il allait quand même bouleverser l’Histoire !

(à suivre…)

La fin des CL-215 français, histoire d’un presque désastre.

De 1996 à 2004, les CL-215 de la Sécurité Civile retirés du service sont restés pourrir sur la pelouse en face des hangars « Boussiron » de l’aéroport de Marseille-Provence à Marignane. Après la fin de leurs missions au-dessus des feux en Provence, ces bombardiers d’eau se sont retrouvés au cœur d’un imbroglio administratif peu reluisant et aux conséquences cruelles, mais qui, paradoxalement, a permis la conservation de la plupart de ces appareils pour la postérité.

Un retrait de service discret

Le 4 octobre 1996, dans une discrétion toute française, le CL-215 F-ZABY « Pélican 23 », aux mains des deux plus anciens pilotes de la base, Maurice Levaillant et Alain Février, effectue son dernier vol, l’ultime vol d’un CL-215 français. Après 27 ans de très bons et très loyaux services et une carrière de 80 200 heures de vol, 176 138 écopages et 195 706 largages, ces vénérables avions ont été poussés à la retraite par l’arrivée du plus moderne CL-415. Tout au plus, le numéro 23 avait reçu un simple autocollant de l’Amicale des Pompiers du Ciel en guise de décoration spéciale commémorative. Mais des Canadair au Concorde en passant par le dernier atterrissage du B-17 à la Ferté-Alais, nous avons encore bien des leçons à recevoir de nos amis anglais sur la façon de dire au-revoir à nos légendes aériennes.

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Le Pélican 23 a effectué le dernier vol des CL-215 français. (Photo : Oller, collection Marsaly)

Un contrat bien négocié mais…

Le contrat de vente des nouveaux appareils est signé par le Directeur de la  Sécurité Civile le 11 septembre 1991. Il comportait 14 lots pour un montant total de 1 460 867 360 FF TTC. 12 avions à 86,5 millions de FF TTC ainsi que deux lots complémentaires pour provision en cas de modifications importantes et pour l’approvisionnement en pièces détachées. Il comportait une clause de rachat des 11 CL-215 restants par le vendeur à un prix pouvant aller jusqu’à  9 630 000 FF de l’époque.

Ceux-ci, en dépit de leur déjà longue carrière, possédaient encore un potentiel certain. Ils pouvaient être revendus à d’autres opérateurs une fois entièrement révisés ou bien servir pour approvisionner ces mêmes utilisateurs en pièces détachées.

Même sans tenir compte des variations monétaires, de l’inflation et du changement de monnaie, ce prix de 86,48 millions de FF (18,83 millions d’Euros constants) par avion est intéressant à comparer avec les 30 millions $ réclamés pour un Bombardier 415 dans les années 2000.

C’était aussi le premier contrat conclu directement par le Ministère de l’Intérieur pour la Sécurité Civile car les achats précédents l’avaient été par l’intermédiaire de la Direction Générale pour l’Armement (DGA). Il intervenait à un moment propice pour permettre de renouveler les avions alors que la flotte existante n’était pas encore tout à fait à bout de potentiel, lui conservant un intérêt opérationnel, donc financier.

Mais ce contrat, assorti d’un accord de commercialisation en 1993, avait été signé avant même le premier vol du prototype du CL-415 et faisait de la Sécurité Civile le client de lancement du nouvel avion et aucune disposition n’avait vraiment été prise pour faire face aux inévitables problèmes que sa mise au point allait connaître, même si l’avion n’était que dérivé d’un appareil déjà connu et éprouvé.

Et les problèmes sont arrivés, et nombreux. Les CL-415 sont livrés à partir de février 1995. Les premiers vols montrent que l’avion n’est pas aux standards attendus et rencontre des problèmes d’étanchéité de la soute, des vibrations au niveau des hélices et une avionique non conforme.

La défaillance d’un sous-traitant de Bombardier entraîne aussi un important retard pour les livraisons. Celles-ci devaient s’échelonner du 1er mars 1994 au 1er décembre 1996 et elles accusent donc, pour certains appareils, plusieurs mois de retard, ce qui déséquilibre les capacités opérationnelles de la base pour la saison à venir.

Or, comme le contrat le stipulait, ces avions devaient être payés avant livraison.

Le 1er mars 1995, le directeur de la Sécurité Civile prend donc la décision de suspendre les paiements à venir, alors que son administration s’est déjà acquitté de 80% du marché.

Conflit et conséquences

Une négociation s’engage donc mais le prix de reprise des CL-215 fait l’objet d’un débat qui entraîne la nécessité d’une commission arbitrale. Celle-ci tranche en faveur de Bombardier le 30 septembre 1996, statuant que les termes de l’accord de vente de 1993 devaient être respectés. Or, en ce qui concerne la reprise des vieux CL-215, la commission précise que ceux-ci devaient être en état de vol.

Pour cinq d’entre-eux, c’était encore le cas. Le retrait des CL-215 ayant débuté le 8 septembre 1995 avec le « Pélican 28 » et s’achève le 4 octobre 1996 avec le « Pélican 23 ». Donc au moment de l’arbitrage, l’avion retiré du service le premier n’était immobilisé que depuis 12 mois, un temps de stockage encore peu important en fait.

Pourtant la situation reste bloquée et Bombardier semble se désintéresser alors totalement de ces appareils qui sont alors stockés au fur et à mesure en attendant une éventuelle solution. Mais plus le temps passe et plus ces avions vont coûter cher à remettre en état de vol, le cercle vicieux est engagé.

A deux reprises, en juillet et octobre 1997, la Sécurité Civile contacte Bombardier pour confirmer que les avions sont bien à la disposition de l’entreprise canadienne.

Boussiron 4 avril 2002

Les 9 CL-215 restants photographiés le 4 avril 2002.  (photo : Google Earth)

Mais la Sécurité Civile et le Ministère de l’Intérieur ne prennent pas, non plus, vraiment de dispositions pour que ces appareils soient stockés dans de bonnes conditions, pensant sans doute que Bombardier va finir par assurer sa part du contrat et que cette situation ne perdurera pas. Les 11 avions qui avaient été retirés progressivement du service sont donc poussés de l’autre côté des pistes de l’aéroport de Marignane, vers les hangars « Boussiron » (du nom de l’entreprise qui les a bâtis entre 1948 et 1951).

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Le cimetière aux Canadair à Marignane en mai 2000.

Deux rescapés

Début 1999, pourtant, le « Pélican 40 » est sorti du cimetière pour être démonté. Le 12 mai 2000, il embarque à bord d’un cargo qui fait ensuite route vers le Canada. Offert par Bombardier il est exposé aujourd’hui au Canadian Bushplane Heritage Center à Sault-Ste-Marie, dans l’Ontario.

Canadian Bushplane Heritage Centre

Le CL-215 1040 désormais exposé à l’abri du Canadian Bushplane Heritage Center à Sault-Ste-Marie. (photo : CBHC)

En mars 2000, c’est au tour du « Pélican 27 », qui, sous l’immatriculation C-GFNF s’envole pour la Croatie, preuve que le stockage sauvage ne l’avait pas totalement détruit. Il est ensuite utilisé par Buffalo Airways de Yellowknife, dans les Territoires du Nord-ouest. Vendu en Turquie, il est convoyé en mars 2009, cette aventure faisant l’objet de plusieurs épisodes de la série télévisée « Ice Pilots ». Il vole désormais au sein de la Türk Hava Kurum (THK, association aéronautique de Turquie), immatriculé TC-TKM et demeure le dernier CL-215 à avoir volé sous couleurs française à poursuivre sa mission.

Dans ces deux cas, Bombardier est intervenu et a racheté les deux appareils. Était-ce parce qu’ils étaient moins endommagés que les autres ? Est-ce que ce rachat s’est fait dans le cadre du contrat initial ou par un amendement ? Il reste une zone d’ombre à ce propos.

Car pour les autres avions, c’est le long dépérissement non loin des pistes de Marignane, au grand désespoir de ceux qui savaient que ces avions, en dépit de leurs états de services allant de 6400 à 8300 heures de vol, auraient pu encore servir longtemps, en France mais surtout ailleurs.

En 2001, en raison d’une pénurie temporaire de pièces détachées, des trains d’atterrissages de 215 sont prélevés pour être fixés sur les 415 alors en cours de maintenance pour permettre aux techniciens de continuer leur travail sur un avion reposant sur des roues. De même, certains ballonnets (les flotteurs en bouts d’ailes) sont cannibalisés au profit des nouveaux avions.

Finalement les CL-215 sont confiés à la Direction Nationale d’Intervention des Domaines. Les dégâts occasionnés par le temps et le stockage à l’air libre dans une zone chaude et humide ne permettant plus d’envisager alors une remise en état de vol, en tout cas dans une option économique viable.

Préservation, sauvegarde et couperet

Plusieurs associations de conservation du patrimoine et musées aéronautiques s’étaient inquiétés des ces avions, parmi lesquels le Musée de l’Hydraviation de Biscarosse. Une cession à titre gratuit n’étant pas possible, le ministère de l’Intérieur se déclare prêt à mettre en œuvre des conventions de mise à disposition gratuite aux organismes qui se manifesteront, à la condition que les avions ne soient pas remis en état de vol et gardent leurs marques d’origine.

Seuls deux appareils font l’objet d’une telle convention, les avions n°23, celui du dernier vol, destiné au Musée de l’Air du Bourget, et n°47, destiné au Conservatoire de l’Air et de l’Espace d’Aquitaine (CAEA), de Bordeaux. Il faut noter qu’à cette période, le directeur du Musée de l’Air est également président du CAEA. Le Musée de Biscarosse quant à lui n’a pas réussi à réunir les fonds importants pour le convoyage d’un appareil aussi volumineux.

Le 8 juillet 2004, le sort des sept avions restants est fixé par une vente aux enchères sur appel d’offres. Les avions 21 et 26 sont achetés 18 000 € pièce par les musées de Speyer et Shinsheim, deux musées allemands dont les collections sont d’une richesse assez étonnante. Pour 8 400 €, le « Pélican 46 » est attribué à la commune de Saint-Victoret qui le confie ensuite à l’association « Un Canadair à Saint-Victoret » pour une restauration en vue d’une exposition statique. L’avion est érigé sur sa stèle en février 2005 et inauguré au mois de juin suivant.

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Le Pélican 46 est désormais visible à Saint-Victoret, près de Marignane.

A l’initiative des piliers de l’Amicale des Pompiers du Ciel, deux cockpits complets sont sauvegardés : le cockpit du « Pélican 29 » est tronçonné avant que l’irréparable ne soit commis. Récupéré par les membres de l’association de Saint-Victoret, il a été restauré et il est aujourd’hui visitable dans le gymnase désaffecté, attenant à « Pélican 46 », qui est devenu un petit musée d’aviation fort intéressant et dynamique.

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Le cockpit du Pélican 29, sauvegardé et restauré, désormais visible au Musée de St Victoret.

L’autre cockpit sauvegardé, celui du « Pélican 05 », est aujourd’hui exposé au Musée de l’Hydraviation de Biscarosse.

Les avions 05, 24, 28 et 29 sont attribués à ARCOM, un négociant en matériaux aéronautiques qui revend les pièces encore utilisables à des exploitants de CL-215 comme Buffalo Airways ou Aero Flite. Les avions sont désossés et le 25 octobre 2004 les quatre cellules sont détruites puis les morceaux sont passés au broyeur pour être recyclés.

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En octobre 2004, les CL-215 sont ferraillés en présence de Mickey McBryan de Buffalo Airways, venu récupérer quelques pièces pour les avions de sa compagnie. (Photo B. Servières/Amicale des Pompiers du Ciel)

Le 47 est convoyé par route vers Bordeaux en janvier 2005. Il est exposé depuis dans le hangar de l’association situé sur la Base Aérienne 106 de Mérignac ce qui en réduit l’accessibilité.

Le 23 est acheminé en direction du Bourget à la même époque. Il est immédiatement placé dans les réserves du Musée de l’Air puis entre en atelier en 2007 où il est entièrement décapé et repeint. Il en sort le 29 avril 2009, à temps pour intégrer officiellement les collections du musée le 16 mai suivant, date à laquelle le Musée reçoit également une Alouette III de la Sécurité Civile.

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Le cockpit du « Pélican 23 ». Il n’a pas été vandalisé, il a juste été cannibalisé proprement, mais du coup, il va être difficile de le rendre visitable.

Aujourd’hui, il est enfin possible de tirer les conclusions d’une histoire bien longue, celle des CL-215 français. Sur 15 avions utilisés, 4 ont été accidentés en opération, six sont exposés dans les musées de trois pays (deux en Allemagne, un au Canada, trois en France), deux ont été préservés partiellement et les cockpits sauvés sont également exposés au public. Deux appareils, seulement, ont été intégralement ferraillés et, donc, un seul avion poursuit sa carrière.

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Le « Pélican 23 » désormais exposé au Musée de l’Air du Bourget.

Un mal pour un bien ?

Il y a deux lectures possibles, et néanmoins compatibles entre-elles, de ces évènements.

La première conclusion qui s’impose, c’est que certains de ces avions auraient très bien pu continuer leurs carrières encore longtemps comme le Pélican 27 le démontre depuis, les autres pouvant servir de réserves de pièces détachées. Même si l’intérêt pour le CL-215 a diminué ces dernières années, le prix de ce type d’appareil sur le marché de l’occasion reste élevé, de l’ordre de 2 à 3 millions de Dollars.

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En novembre 2015, au moins quatre CL-215 sont disponibles à la vente. Notons toutefois que les avions retirés du service de la Sécurité Civile avaient de 6400 à 8400 heures de vol. (Controller.com)

Pour la Sécurité Civile, le lent dépérissement d’une flotte d’avions, certes usés mais parfaitement entretenus jusqu’alors, peut être considéré comme une perte sèche. Le statut ubuesque de ces appareils, pointé comme tel par un rapport de la Cours des Comptes dès 1998, a donc entraîné un immense gaspillage de ressources techniques et financières. La destruction d’appareils rares, capables de poursuivre encore un temps leur mission en étant la conséquence la plus directe.

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Et si les évènements avaient été différents, quelles auraient été les carrières de ces avions abandonnés ?

La situation de blocage dont les CL-215 français ont été victimes a paradoxalement permis leur sauvegarde. C’est le second point de vue qu’on peut adopter sur cette affaire.

Contrairement à d’autres affaires difficiles de fins de carrières d’aéronefs, des dispositions ont été prises à temps pour permettre la conservation de ces avions à long terme ce qui n’aurait effectivement pas été possible si ces appareils avaient été revendus. Car si on considère que deux avions, seulement, ont été entièrement ferraillé, le bilan  patrimonial des CL-215 français est tout simplement excellent avec ces 8 avions préservés entièrement ou partiellement et exposés dans différents musées !

Dans quelques années, c’est le Tracker qui devrait enfin prendre sa retraite, espérons que les leçons du passé servent.

 

 Tableau récapitulatif des CL-215 français (cliquez pour agrandir)

Super Etendard, le dernier baroud !

Donc le porte-avions Charles de Gaulle a appareillé de Toulon avec à son bord 26 avions de combat : 18 Rafale des Flottilles 11F et 12F et 8 Super Étendard de la Flottille 17F.

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L’instant de vérité pour un pilote de l’Aéronavale à bord de son Super Étendard. L’appontage, même dans des conditions aussi idéales que là, n’est pas, et ne sera jamais, « un sport de masse » !

Ce n’est sans doute pas le point que la communication des Armées a envie de mettre en avant, mais il faut bien noter qu’à quelques mois de sa retraite française, le bon vieux Super Étendard est encore apte à partir en guerre !

Entré en service en 1978, le monoréacteur a donc largement dépassé les 35 ans de service. Sa genèse est particulièrement intéressante puisqu’il n’est, en fait, qu’une évolution de l’Étendard IV, conçu dans les années 50. Pour preuve, ses trois prototypes étaient des Étendard IVM (n°68, 18 et 13) modifiés. Si on parle du vol inaugural du 28 octobre 1974, il serait plus juste de parler du premier vol de l’Étendard IVM n°68 en « configuration Super Étendard. »

Et ce n’est donc que le 24 novembre 1977, avec le premier vol du premier exemplaire de série, que le Super Étendard décolle véritablement.

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Le Super Etendard n°1, premier exemplaire de série, a fait son premier vol le 24 novembre 1977. Il est vu ici, toujours opérationnel au sein de la 17F, s’apprêtant à être catapulté au large de l’Arabie Saoudite au cours de la mission Agapanthe en 2004.

L’avion fait une entrée tonitruante dans l’histoire en 1982, lorsque les avions livrés aux Argentins marquent au fer rouge la Royal Navy. 5 avions, 5 missiles Exocet livrés, deux navires anglais coulés, un destroyer type 42 utilisé comme « piquet » radar et un cargo chargé d’hélicoptères lourds, deux pertes inestimables. Si les Argentins avaient eu l’idée d’attendre d’avoir leur dotation complète avant d’envahir les îles Malouines, l’histoire aurait sans doute été très différente.

L’année suivante, 5 Super Étendard sont prélevés et prêtés à l’aviation irakienne. A partir du mois d’octobre 1983 et jusqu’au mois de juin 1985, ces avions sèment la terreur parmi les navires venus s’approvisionner de brut iranien dans le Golfe Persique. Quatre avions seulement sont finalement restitués, le SUE n°67 ayant été perdu, pour des raisons encore peu claires, le 2 avril 1984.

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Le Super Etendard n°65 a volé au sein de l’aviation irakienne d’octobre 1983 à juin 1985. Il est vu ici à bord du Charles de Gaulle en mai 2004.

Pour les avions français, le temps de l’action est venu plus tard, mais il a été intense et continu sur une période extrêmement longue.

La première opération a lieu le 22 septembre 1983 au Liban où deux patrouilles sont catapultées du Foch pour bombarder des pièces d’artillerie Druzes qui avaient durement frappé la « Résidence des Pins », l’Ambassade de France à Beyrouth. C’était la première mission de guerre de l’aéronavale française depuis la fin de la guerre d’Algérie et la première partant d’un porte-avions depuis les opérations de Suez, 27 ans plus tôt. Une autre mission se déroule ensuite le 16 novembre, en rétorsion à l’attaque suicide du « Drakkar » où 58 soldats français ont perdu la vie.

Au milieu des années 80, les porte-avions français Foch et Clemenceau assurent de longues missions aux abords du Golfe Persique pour assurer la protection des approvisionnements pétroliers et maintenir une présence à proximité de l’Iran tandis que Paris est ensanglanté par une série d’attentats à la bombe commandités par Téhéran.

A partir de 1993, les deux vaisseaux français se relaient dans l’Adriatique dans le cadre du maintien de zones d’exclusion aériennes en ex-Yougoslavie. En août et septembre 1995, après les massacres de Srebrenica, l’Otan passe à l’action et la Flottille 11F participe aux mission « Deliberate Force » contre le siège de Sarajevo mené par les Serbes de Bosnie. Lorsque les Serbes lancent ensuite une offensive majeure contre le Kosovo en 1999, les Super Étendard de la 11F sont à nouveau mis à contribution. Ils effectuent lors de cette opération 412 sorties et larguent 215 bombes.

A partir de 2002, les avions français sont engagés en Afghanistan à partir du Charles de Gaulle, dans le cadre de l’opération « Héraclès ». La première bombe française à tomber sur les talibans venait d’un avion de la 17F, une BLU 111 larguée le 5 mars 2002. Les SEM, Super Étendard Modernisés, sont revenus opérer contre les Talibans à plusieurs reprises, en 2004, 2006, 2007 et 2008 et enfin en 2010 et 2011.

En 2008, plusieurs SEM opèrent depuis la base de Kandahar. Ils arborent pour l’occasion une livrée grise basse visibilité.

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Pour le détachement « terrestre » en Afghanistan, les SEM avaient été revêtus d’une livrée grise uniforme.

En 2011, alors que le porte-avions et son Groupe Aérien Embarqué viennent juste de rentrer de leur dernière mission afghane, ils sont  très rapidement réactivés pour participer aux opérations contre la Libye lors de l’opération « Harmattan ». Et là encore, les SEM s’illustrent vaillamment.

Choyé par ses mécanos capables de lui assurer une disponibilité ahurissante alors que la maintenance est parfois faite dans des conditions très difficiles, il a effectué des milliers de missions de guerre et d’entraînement sans jamais faillir, sans jamais trahir ses pilotes.

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Au cours de sa très longue carrière, le Super Étendard a démontré qu’il ne craignait ni la chaleur, ni l’humidité, ni la rudesse des ponts des porte-avions.

Le vieux soldat a tout fait : attaque anti-navires, reconnaissance, attaque de précision, mais il a aussi une mission secondaire indispensable grâce à son bidon de ravitaillement en vol. Il a surtout été chargé longtemps de la mission la plus sensible de l’aviation française, avec la dissuasion nucléaire puisque le Super Étendard a dans son arsenal le missile ASMP.

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Quand les marins font une démonstration de ravitaillement en vol, ils le font vraiment. Les pompes de transfert n’étaient sans doute pas en route, mais le contact était réel.

Si les premières années de service en France ont été marquées par plusieurs accidents mortels, il reste sans être impliqué dans un drame pendant 20 ans puisqu’on ne dénombre aucun pilote tué à ses commandes entre la mort du commandant de la 11F François Barthès lors d’un appontage de nuit le 17 juillet 1988 et la collision en vol des SEM 38 et 49 le 1er octobre 2008 qui a causé le décès de Sébastien Lhéritier, également de la 11F.

20 ans sans drame alors que l’avion a été utilisé avec intensité et dans des conditions terribles comme seul l’aviation embarquée peut connaître, c’est là qu’on juge qu’un avion est bien conçu, bien entretenu, bien piloté. Cependant, il faut noter qu’en 1993, un mécanicien a été tué par le départ accidentel du siège éjectable dont il assurait la maintenance, un drame qui s’est répété en 2007.

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Le 2 juin 2010, le SEM n°64 fait son entrée dans les collections du Musée de l’Air et de l’Espace au Bourget. Son dernier roulage a été salué comme il se doit par les pompiers de l’aéroport.

Dans l’histoire de l’aviation française qui sera écrite plus tard, il n’est pas certain que cet avion se taille un long chapitre, et pourtant ses pilotes, ses mécanos ont fait que cette machine directement héritée des années 50 a servi les ailes française comme peu l’ont fait avant lui.

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Pour célébrer son centenaire en 2010, l’Aéronautique Navale avait défilé en nombre au-dessus de Paris, les SEM en tête ! Notez l’intrus, l’Alpha Jet de l’Armée de l’Air utilisé pour photographier cet imposant vol de groupe.

Au cours de sa très longue carrière, le Super Étendard a toujours été relégué au second plan, même pour les passionnés les plus connaisseurs. Jusqu’en 1999, son compagnon d’écurie, le terrible F-8 Crusader lui volait la vedette sans remord. Et lorsque le vieux Vought a terminé son immense carrière, c’est le jeune Rafale qui captait déjà les feux de la rampe.

Pourtant, sur le plan opérationnel, il a été l’avion sur lequel il fallait compter pour le sale boulot en dépit de ses défauts comme son cockpit  étroit et  son confort très relatif. Pourtant lors des opération en Afghanistan, des missions d’environ 6 heures ont été effectuées (temps limité par la nourrice d’huile de l’appareil). Les pilotes racontent qu’apponter après une telle épreuve est un moment qui confirme que l’aviation embarquée « c’est pas un sport de masse ! »

L’avion est aussi limité par ses capacités d’emport mais la précision de la guerre moderne fait qu’une bombe guidée laser, parfois une seule, peut faire la différence et s’avérer décisive. A ce petit jeu là, les marins et leur avion rustique ont souvent montré qu’il n’avait à rougir devant personne.

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Dans quelques mois, cette image d’un SEM sur sa catapulte, aux ordres d’un « chien jaune », fera partie de l’histoire.

A quelques mois de sa retraite, il ne restera alors qu’une poignée d’avions aux couleurs de l’Argentine, le SEM est donc reparti au combat, un dernier baroud.

Il ne fera sans doute pas les gros titres des journaux, même spécialisés, mais il ne faudra pas oublier, le moment venu, de rappeler qu’il a été un vrai guerrier. Il faudra compter les missions de guerre, le nombre munitions délivrées, les heures de vol et les appontages. Mais il faudra surtout que les pilotes racontent ce qu’ils ont vécu à son bord car c’est une part essentielle de l’histoire de l’aéronautique française dont ils ont été les acteurs.

Le Boeing 747SP en 2015

Le 3 novembre 2015, le nouveau réacteur de Pratt & Whitney, le PW190G PurePower®  a fait son tout premier vol. Destiné à équiper les futures versions des best-sellers brésiliens Embraer 190-E2 et 195-E2, c’est sous un avion banc-d’essais volant appartenant à la filiale canadienne du motoriste que ce propulseur a effectué ses premiers essais aériens. C’est sans doute un immense évènement pour tous les techniciens et ingénieurs qui ont travaillé sur ce projet et l’avenir nous dira si ce vol marque un tournant de l’histoire aéronautique mondiale, mais pour nombre de passionnés d’aviation cette nouvelle ne va tirer qu’un seul cri : « Rhhhaaa Lovely, un SP !! »

B747SP C-FPAW Power Engine (P&W) 1024

3 novembre 2015, le Boeing 747 SP C-FPAW de Pratt & Whitney Canada décolle de Mirabel avec un nouveau produit de la firme à tester sous son aile gauche. (Photo : Pratt & Whitney)

Le Boeing 747 a marqué son époque comme peu d’avions l’ont fait. Il a proposé une véritable révolution technique, économique et peut-être même sociétale. Pour Boeing, il a longtemps été l’emblème, l’avion porte-drapeau de la firme. Mais au sein des familles même couronnées de succès, on trouve parfois de vilains petit canards, ceux qui ne réussissent pas bien à l’école et dont on se demande bien ce qu’on va en faire ! Dans la famille 747, c’est la version SP qui a joué ce rôle-là.

747SP-31, N58201, TWA, Dec 79 (Boeing, coll_edited-1024)

Le N58201 de la TWA, en vol dans la région de Seattle en décembre 1979 montre les lignes particulières de cette version courte du Boeing 747. Cet avion est devenu ensuite avion gouvernemental de Dubai avant de changer de propriétaire et de devenir le VP-BLK.               (Photo : Boeing, collection René J. Francillon)

B747SP VP-BLK LBG juin 2015

Le VP-BLK, appartenant à un groupe d’hôtels et de casinos de Las Vegas, arrive au Bourget en juin 2015.

Au début des années 70, les ventes du Douglas DC-10, en particulier avec la version DC-10-30, montraient qu’il existait un créneau pour les avions très longs courrier et qu’il n’était pas nécessaire pour rentabiliser ces lignes d’emporter plus de 400 passagers. Pour concurrencer directement son rival historique (*), Boeing décida de ne pas concevoir de nouvel avion et, pour se simplifier la tâche, de développer une version spécifique du quadriréacteur.

Le SP se présentait donc comme une version raccourcie d’une quinzaine de mètres du 747. Il pouvait emporter alors de 230 à 400 passagers en fonction des aménagements, sur une distance pouvant aller jusqu’à 12 000 km, soit 2000 km de plus que le DC-10-30 capable d’emporter autant de passagers.

L’idée semblait bonne. Sur son aspect technique et opérationnel l’avion était parfaitement réussi. Le principal chantier a été consacré à la cellule, plus courte, mais dont la structure a été complètement revue, ce qui s’est avéré positif pour les développements ultérieurs de la famille mais ce qui a demandé un investissement technique et financier important. Il a fallu aussi modifier les ailes puisque le système des volets hypersustentateurs avait été simplifié et agrandir la dérive. Au départ pensé pour devenir le 747SB (Short Body, fuselage court), il est rapidement devenu SP pour « Special Performance ». Et côté équipage, l’avion se tailla rapidement une réputation envieuse. Plus puissant, il grimpait mieux, volait plus vite, allait plus loin que tous les autres avions existant à l’époque. Les pilotes l’adoraient. Le SP, c’était un peu la version « sport » du 747 !

747SP Oman 1024 -LBG mai 2015)

Le A4O-SO du gouvernement du sultanat d’Oman, en finale au Bourget en mai 2015.

Oui, mais voilà, du côté marketing, les choses ne se passaient pas aussi bien. Si 14 avions sont livrés en 1976, la production tomba directement à 4 avions l’année suivante et  jusqu’en 1982, seulement 44 avions sont construits. Le 45e fut livré en 1989, directement configuré en avion VIP gouvernemental pour Abou Dhabi, préfigurant quelque peu les fonctions que plusieurs appareils de cette famille tiennent aux côtés des Boeing Business Jets actuels.

En attendant, pour Boeing, c’était la soupe à la grimace car le 747SP représentait un cinglant échec. Comme souvent, tout n’a pas été perdu pour autant car certains développements techniques pensés pour le SP ont servi ensuite pour le 747-300, version qui a su redonner de l’allant à la famille 747 dans les années 80 ; mais le SP a été très clairement et lourdement déficitaire.

Boeing 747SP-21, Pan Am, N536PA, Rio, Aug 80 1024 (RJF)

Surpris à Rio de Janeiro en août 1980, le Boeing 747SP-21 N536PA arborait les couleurs de la PanAm. Toute une époque ! Aujourd’hui, cet avion vole comme observatoire volant pour le compte de la NASA sous le nom de SOFIA. (Photo : René J. Francillon)

Utilisé initialement par des compagnies « major » comme TWA, la Panam, United, South African Airways, China Airlines ou Qantas, ces avions finirent pas être délaissés pour connaître différentes vies sur le marché de l’occasion. Pour ces compagnies qui firent le choix de 747SP de seconde main, ce n’était pas un mauvais calcul car si le coût d’acquisition avait singulièrement baissé les performances, elles, étaient toujours excellentes.

En dehors des compagnies aériennes, quelques appareils ont aussi commencé, à l’instar du dernier appareil produit, à tomber entre des mains privées ou gouvernementales. Là encore, les performances, le faible coût d’acquisition et le grand volume habitable ont été décisifs.

74SP Qatar (CTX juillet 2009)

Le VP-BAT du Qatar vu à Chateauroux en juillet 2009 au cours d’une séance de requalification de son équipage.

En 2015, exactement 40 ans après son premier vol qui se déroula le 4 juillet 1975, il reste 13 appareils opérationnels. (Par ordre de construction.)

  • EP-IAC – Iran Air. Il a fait son dernier vol sur une ligne régulière en 2014 mais reste opérationnel au sein de la compagnie.
  • N747NA – NASA SOFIA (Stratospheric Observatory for Infrared Astronomy)
  • VP-BAT – Qatar Amiri Flight.
  • VQ-BMS – Las Vegas Sands corporation. Avion VIP pour les dirigeants du groupe de casinos et quelques clients privilégiés.
  • HZ-HM1B – Saudi Arabia Government.
  • A4O-SO – Royal Oman Flight.
  • C-FPAW – Banc d’essais volant de Pratt & Whitney. Basé à Mirabel pour P&W Canada.
  • VP-BLK – Las Vegas Sands corporation. (cf VQ-BMS).
  • P4-FSH – Star Triple Seven : avion personnel de l’évangéliste Ernest Angley. Il est utilisé pour les déplacements d’humanitaires et de missionnaires.
  • N747A – avion appartenant à la société Frys Electronic – Actuellement disponible à la vente pour $3 000 000 avec 46 315 heures de vol.
  • C-GTFF – Avion d’essais de Pratt & Whitney basé aux USA.
  • HZ-HM1C – Saudi Arabia Government.
  • A9C-HAK – Bahreïn Royal Flight.

En dehors des avions privés et gouvernementaux, plusieurs SP ont trouvé de nouvelles fonctions auprès des industriels comme les deux appareils du motoriste Pratt & Whitney.

747SP P&W Pure Power PW100G 21 juin 2012 1024

Le C-GTFF est le deuxième Boeing 747SP de Pratt & Whitney. Il possède un mât lui permettant d’embarquer un cinquième réacteur pour essais. Cette photo de 2012 le montre équipé d’un P&W Pure Power PW100G destiné au CSeries de Bombardier. (Photo : Pratt & Whitney)

Plus spectaculaire encore, le 747 SOFIA (Stratospheric Observatory for Infrared Astronomy ; Observatoire stratosphérique pour l’astronomie infra-rouge) de la NASA apporte aussi son écot à notre connaissance de l’univers. Entré en service en 1995 en remplacement d’un très rare Lockheed L-300, prototype d’une hypothétique version civile du C-141 Starlifter utilisé comme observatoire volant depuis 1974, le Boeing 747SP SOFIA est utilisé conjointement désormais avec la DLR (Deutsches Zentrum für Luft- und Raumfahrt, centre de recherches aéronautiques et spatiales allemand).

Sofia (NASA)

Le 747SP SOFIA a été lourdement modifié avec cette grande ouverture latérale utilisée pour son instrumentation astronomique. (photo : NASA)

Véritable observatoire astronomique volant, il est équipé d’un télescope embarqué de 2,5 mètres de diamètre utilisable par l’imposante ouverture latérale pratiquée dans le fuselage de l’avion en arrière de son aile. Volant à haute altitude, il permet des observations d’une qualité supérieure à celle des observatoires terrestres en s’affranchissant de la plupart des diffractions liées aux couches d’air de l’atmosphère terrestre. Il représente un échelon intermédiaire unique entre les stations terrestres et les coûteux satellites spécialisés.

Cet appareil évolue régulièrement puisqu’il est arrivé en juin 2014 à Hambourg pour subir une grande visite et un important chantier de rénovation. Il en est ressorti au mois de décembre suivant doté de nouveaux instruments développés par les universités allemandes.

Son avenir n’est pourtant pas assuré en raison des coupes budgétaires dans les administrations US. Son avenir repose en grande partie désormais sur l’implication de la DLR et l’arrivée de nouveaux partenaire dans le programme.

747SP Saudia (HZ AIF - LBG avril 2012)

Le 747SP HZ-AIF Saoudien a été vu à Paris en avril 2012. Arrêté de vol depuis, il est désormais stocké à Djeddah.

A ces avions, s’ajoutent un certain nombre de cellules données stockées. C’est le cas pour les 3 autres 747SP d’Iran Air retirés récemment du service et dont les cellules sont encore à Téhéran dans des états variables. Les deux appareils de Syrianair, les YK-AHA et YK-AHB, ont été convoyés vers Riyad en 2011 pour un chantier de maintenance qui a été stoppé en raison de la situation actuelle en Syrie, lorsque les sanctions internationales ont sévèrement touché la compagnie désormais interdite en Europe. Délaissés, ils ont été poussés, dépourvus de leurs réacteurs, dans un coin de l’aérodrome. Le J2-SHF, portant les couleurs de Kinshasa Airways, est lui aussi exposé à tous les vents sur l’aéroport de la capitale de la République Démocratique du Congo et pourra difficilement prétendre à reprendre du service. Le N174UA stationne depuis 2001 sur l’aéroport d’Atlantic City. Il a été utilisé pour des tests statiques de réservoirs de carburant après le drame du vol TWA800. De son côté le N4522V trône en bon état sur l’aéroport de Tijuana au Mexique. Il est à vendre depuis 2006. Le HZ-AIF attend une hypothétique remise en service à Djeddah en Arabie Saoudite.

D’autres ont subit les affres de la guerre, comme le YI-AOX d’Iraqi Airways, détruit lors d’une attaque de l’aéroport de Bagdad en avril 2003. Son sister-ship, évacué vers Tozeur en Tunisie avant la guerre de 1991, n’a jamais été rapatrié. Entretenu par les équipes d’Iraki Airways jusqu’au milieu des années 2000, il a depuis été mis en vente mais n’a pas trouvé preneur. Le 7O-YMN, avion présidentiel du Yemen a été détruit par des tirs lors de combats sur l’aéroport d’Aden en mars 2015.

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L’ex F-GTOM de Corsair sert aujourd’hui de terrain d’exercice pour les unités d’interventions françaises et étrangères.

C’est un peu aussi le cas du seul SP a avoir jamais volé sous registre français. Bien que retiré du service actif en 2002 et stocké depuis sur l’aéroport de Chateauroux, l’ex-F-GTOM de la compagnie Corsair, a trouvé une utilité assez unique. Il est en effet régulièrement utilisé par les forces d’interventions du Ministère de l’Intérieur, GIGN et RAID, pour des exercices d’intervention sur aéronefs comme l’opération de Marseille en 1994 a montré l’intérêt. Les unités étrangères formées par les spécialistes français peuvent également profiter de ce terrain d’exercice particulier. Il peut être aussi mis à profit par d’autres services comme la Sécurité Civile ou les pompiers pour des exercices de sauvetage. L’appareil a souffert de ces nombreuses interventions et pourrait laisser prochainement la place à un autre Boeing également conservé sur l’aérodrome. Sa silhouette risque donc de disparaître bientôt du paysage berrichon.

747SP Corsair 747SP Qatar (CTX juillet 2009)

Deux 747SP sur une même photo. Le VP-BAT du Qatar prend son envol devant l’ex F-GTOM de Corsair depuis longtemps retiré du service.

Un seul appareil a été véritablement préservé pour le moment. Il s’agit du ZS-SPC qui est exposé au South African Airways Museum à Johannesburg en Afrique du Sud. Tous les autres appareils ont été retirés du service et ferraillés.

Boeing 747SP-J6, B-2242, CAAC, Feb 80 1024 (Boeing, coll. RJF)

Utilisé par China Airlines, le B-2242, photographié en vol en février 1980, a été ferraillé à Victorville en Californie en 2005. (Photo Boeing, collection René J. Francillon)

Jet atypique et à l’histoire controversée, le Boeing 747SP est un appareil à part dans l’histoire de l’aéronautique commerciale contemporaine. Son esthétique particulière étonne souvent mais ne laisse jamais indifférent, qu’on lui trouve une allure comique ou bien virile. Cet avion rare ne passe jamais inaperçu auprès des amateurs et on peut espérer pouvoir l’admirer encore quelques années, ce dont les passionnés ne risquent pas de se plaindre ! Pourvu qu’on puisse entendre encore au bord des pistes quelques « Rhhhaaa Lovely, un SP !! »

Notes : Le 747SP fait l’objet d’un très joli livre, très complet, qui, bien qu’épuisé depuis de nombreuses années, peut se trouver à des prix plus ou moins raisonnables. Pour les passionnés du 747 en général et du SP en particulier, il est incontournable.

Book 747SP

Boeing 747 SP par Brian Baum, Great Airliners Series volume 3 (1997).

Le SP dispose également de son propre site, 747sp.com qui complète à merveille l’ouvrage ci-dessus. Une véritable mine d’informations.

(*) Une rivalité qui trouva son épilogue lorsque le Géant de Seattle fit main basse sur McDonnell Douglas en 1996. Les anciens de Long Beach s’en étranglent encore en y repensant.