Aerial FireFighting North America 2018

À peine quelques mois après le rendez-vous qui s’était déroulé à Nîmes, l’AFF a repris son rythme normal en se déroulant en début de saison. De retour à Sacramento- McClellan, la manifestation s’est étalée sur trois jours pour célébrer les 10 ans de l’évènement qui s’est finalement imposé comme un salon incontournable, devenu point de rencontre et de convergence des opérateurs et industriels du domaine, là où les grands évènements internationaux comme le SIAE du Bourget, trop vastes et peut-être aussi trop onéreux, ne parviennent plus tout à fait à attirer ces professionnels attachés à un marché de niche.

Du lourd au statique. Le nouveau Fireliner de Coulson à côté du 747 Tanker 944 de GSS. Notez à l’arrière plan le Lockheed Electra d’Air Spray.

Marché de niche, certes, mais marché dynamique comme le parking de l’exposition statique l’a démontré avec la présence de nombreux aéronefs spécialisés comme le Boeing 747 de Global Supertanker Services, le Boeing 737 Fireliner de Coulson, un CL-415 et un RJ-85 d’Aeroflite. On trouvait également un CH-47 Chinook d’Helimax, le Citation Jet de Conair, utilisé comme navette mais aussi comme aéropointeur, deux FireHawk, présentés respectivement par PJ Helicopters et HP Helicopters. Le Cal Fire, dont McClellan est la base principale était représenté par un OV-10 Bronco et surtout par le Tanker 85 de la base de Sonoma.

Le Tanker 85 affecté à la base de Sonoma et monture habituelle de Jérôme, rédacteur en chef du CFPA Newsletter.

C’est la branche américaine de la société canadienne Air Spray qui a néanmoins été l’objet de toutes les attentions puisque c’est à elle que revinrent les démonstrations en vol, avec les largages de deux Fireboss mais aussi la première présentation publique de son nouveau BAe 146 Tanker, disposant d’une toute nouvelle soute constant flow de 12 000 litres baptisée IRADS.

Après les BAe 146 de Neptune et les RJ-85 de Conair, voici un troisième larron avec le BAe 146 d’Air Spray qui, au bout d’une longue gestation, arrive enfin sur le marché.

L’appareil, dont la décoration n’a laissé personne indifférent, effectua le sixième ou septième largage de son histoire devant une foule dense, bien chauffée par le radieux soleil de Californie.

L’arrivée du Tanker 481 d’Air Spray. Une sacrée surprise !

Air Spray fit une immense surprise aux visiteurs en amenant un de ses Lockheed Electra, présent sur sa base de Chico pour un contrat hivernal et surtout, pour les amateurs, un splendide Cessna 185 juché sur flotteurs, servant à la compagnie d’appareil de conversion pour la qualification hydravion de ses nouveaux équipages de Fire Boss et pouvant, à l’occasion, servir également d’avion pointeur.

Le Skywagon, l’avion de brousse selon Cessna, sait aussi se rendre utile pour les opérateurs de bombardiers d’eau.

Le lendemain, le soleil de Californie prit quelques vacances ce qui ne dérangea pas les congressistes qui purent suivre d’intéressantes conférences, très variées, ou nouer des contacts avec les industriels exposants leur savoir-faire sur les stands à côté.

Voici, brièvement, quelques unes des informations importantes glanées le long de ces allées.

Cal Fire

Dean O. Talley, vétéran des bombardiers d’eau US, décédé le 11 mars dernier. (Coll. J. Laval)

Un nom était dans toutes les têtes à McClellan, celui de Dean Talley, ancien pilote de Minden Air et d’Aero Union, devenu ensuite pilote au Cal Fire, disparu brutalement chez lui la veille de l’évènement alors qu’il était présent à Sacramento la semaine précédente pour son training annuel. Il a laissé ses amis en plein désarroi.

De façon plus terre à terre, le Cal Fire commence à manquer de pilotes en dépit d’une augmentation du nombre de navigants embauchés cette année. En termes de recrutement, la concurrence des compagnies aériennes se fait sentir, les pilotes « aventuriers » pouvant aussi être séduits par une vie moins trépidante et plus confortable aux commandes d’un Airbus ou d’un Boeing.

C’est un souci qui va devenir de plus en plus sensible pour les années à venir avec les départs à la retraite des pilotes les plus anciens. Théoriquement l’embauche de pilotes étrangers est possible mais le Cal Fire ne sponsorisera aucune carte verte, sésame indispensable pour travailler aux USA.

En attendant les lourds, la flotte des S2T du Cal Fire rend d’inestimables services en attaque initiale. La période hivernale est mise à profit pour l’entretien des machines.

Jim Barnes fait partie de ces pilotes-aventuriers qui ont usé les sièges des Tracker californiens pendant des années. Parti à la retraite depuis peu, il a été honoré de l’International Fire Fighting Award pour son travail d’instructeur et de promoteur du Tracker comme vecteur pour l’attaque initiale. Il fut surtout un des pilotes créateurs de l’Associated Aerial Firefighter, aux côtés de Walt Darran dont le rôle pour l’amélioration des conditions de travail des pilotes de bombardiers d’eau américain a été crucial.

Jim Barnes (Cal Fire) reçoit son diplôme des mains du Rear-Admiral Terry Loughran (RN)

Dans son discours de remerciement, fidèle à sa personnalité, il a surtout parlé d’équipe et n’a pas manqué d’évoquer, avec beaucoup d’émotion, Walt Darran et Dean Talley dont il était très proche. Un très grand pilote a été justement récompensé cette année !

A noter que lors de la cérémonie, un nouveau prix, l’International Aerial Firefighting Humanitarian Award a été remis. Il s’agissait de récompenser l’action philanthropique de la fondation de l’épouse du dirigeant de la chaîne de supermarchés Walmart pour son financement de l’envoi du Boeing 747 Supertanker au Chili, l’an passé, pour combattre les feux désastreux qui ont touché le pays. C’est le commandant de bord de l’avion, Marcos Valdez, hispanophone et doté d’une personnalité inoubliable, qui prononça le discours de remerciement en l’absence de l’intéressée.

Marcos Valdez, commandant de bord du Boeing 747 Supertanker se voit présenter le Aerial Firefighting Humanitarian Award.

Sur le parking, il manquait toutefois le Tanker 79 toujours en atelier de peinture en Arizona et qui devrait être convoyé vers la Californie dans les jours à venir. L’appareil, nouvellement transformé, sera affecté à sa nouvelle base dès cet été.

Comme nous l’annoncions avant l’évènement, l’intérêt du Cal Fire pour des Tanker lourds a été confirmé mais les deux C-130 de l’USFS, restés à l’abri des regards dans le hangar devant lequel se trouvait l’exposition statique et que nous n’avons donc pas pu voir, pourraient ne pas être les appareils visés pour compléter la flotte californienne. Une affaire à suivre de toute évidence.

Viking Air

Le travail sur les CL-415EAF a débuté à Calgary. Le client qui a commandé trois appareils n’est toujours pas connu mais un quatrième appareil pourrait aussi être transformé. En ce qui concerne la suite avionique choisie pour les CL-415EAF et CL-515, le choix du fournisseur et du produit devrait être annoncé sous peu. Au cours de l’année 2018, la décision de lancer ce fameux CL-515 devrait être prise. L’industriel se montre confiant en raison de l’intérêt que les opérateurs de CL-215, CL-215T et CL-415 portent à ce projet, mais aussi sur la possibilité d’émergence de nouveaux marchés.

L’avenir industriel du « Super Scooper » se joue en 2018.

Viking est également en train d’installer un simulateur CL-415 de niveau D (full flight) à Milan. Cet appareil dispose de toutes les fonctions nécessaire à l’apprentissage et à la révision des procédures de pilotage de l’avion, en mode normal ou dégradé. Il pourrait être upgradé rapidement avec des fonctions tactiques permettant aux équipages de travailler également des scénarios d’attaque de feux ce qui sera une innovation particulièrement notable.

AirStrike

C’est sans doute l’information de l’année, bien que le travail a commencé depuis longtemps. Une nouvelle société, montée par des anciens d’Aero Union, a racheté un des P-3 Aerostar inemployés depuis août 2011 mais parfaitement entretenus par MAFFS Corp et Sel Tech. L’appareil est en train de subir une grande visite à Sacramento, et devrait rapidement repasser les tests pour être éligible à de nouveaux contrats.

Le Tanker 23 d’AirStrike en grande visite dans un hangar de l’aérodrome de McClellan. Il devrait être prêt rapidement.

Buffalo Airways

La compagnie Buffalo Airways, représentée à Sacramento par son « boss » historique, Joe McBryan et ses deux fils, a rapatrié Tanker 22 de Floride où il était stocké, son Aerostar acheté il y a quatre ans  et espère profiter de la validation de l’avion d’AirStrike pour accélérer les procédures. Le P-3 s’envolerait donc alors vers les territoires du Nord-Ouest où il prendra la succession d’un des deux Lockheed Electra actuellement affectés aux missions feux dans cette Province. L’Electra ainsi libéré pourra reprendre ses missions cargo au sein de la compagnie, rôle dans lequel ces appareils sont d’une utilité inégalée. Un second P-3 pourrait le suivre assez rapidement.

Le Tanker 22, acquis en 2014, va permettre à Buffalo de libérer un Electra, un avion plus rentable pour la compagnie dans le rôle de cargo que dans celui de bombardier d’eau.

L’espoir subsiste donc de revoir, petit à petit, les six anciens avions rescapés d’Aero Union reprendre leurs missions après de longues années d’interruption.

Global Supertanker Services

Après une saison à l’activité intense, l’équipe du Boeing 747, qui s’est largement étoffée en conséquence, nous a confirmé être à la recherche d’un autre 747-400 BCF (Boeing Converted Freighter, cargo converti par Boeing), impérativement doté de réacteurs CF6-80, à l’instar du N744ST. Les responsables du Cal Fire, qui ont utilisé le Supertanker sous contrat lors des trois gros épisodes incendiaires du dernier trimestre 2017, ont publiquement couvert d’éloges l’appareil pour ses capacités en intervention.

Le Supertanker, dont les services ont été très appréciés en Californie à l’automne 2017, ici en très courte finale sur McClellan, pourrait bien avoir un « petit frère » sous peu !

Coulson Aviation

Mais c’est encore une fois le groupe Coulson qui a frappé les esprits. Sur le statique trônait donc un Boeing 737-300 Fireliner. Il s’agit du second exemplaire qui est sorti de l’atelier de peinture il y a quelques semaines. Le premier exemplaire, le Tanker 137, est en cours de conversion au Canada et devrait effectuer ses premiers essais de largage avant l’été. A ce moment là, le Tanker 138 débutera son chantier de conversion. Coulson a acheté quatre autres appareils de ce type qui seront convertis en fonction des contrats obtenus.

Le deuxième Fireliner s’envolera sous peu vers le Canada pour recevoir son système de largage.

Mais c’est sur un autre point que le groupe  canadien a fait sensation. Actuellement engagé en Australie sur les feux de saison, un de leurs S-61 a effectué des tests de largages nocturnes qui se sont avérés concluants. En soi, ça ne constitue pas une nouveauté puisque les équipages du LAFD procèdent déjà à de telles opérations, par exemple, mais cette fois-ci, l’usage de JVN a été validé et une expérimentation pourrait être faite dès l’an prochain avec un C-130 !

Peut-être une révolution dans la lutte aérienne contre les feux de forêt : le largage de nuit sous JVN et bientôt les premiers essais avec un C-130. En quelques années, le groupe Coulson a marqué de son esprit d’innovation son domaine d’activité. (Photo : Coulson)

Le cadre d’emploi de l’engagement de tankers lourds de nuit restera à valider mais nul doute que c’est le genre d’expérience qu’il faudra suivre absolument et qui pourrait révolutionner à jamais la manière d’attaquer les feux depuis des aéronefs.

Le prochain rendez-vous AFF se déroulera les 29 et 30 août 2018 à Wollongong, NSW, en Australie avant de revenir à Nîmes en avril 2019.

Autour des Thunderchief, les POW (2)

Le problème des prisonniers de guerre et des portés-disparus fut un enjeu clé des négociations de paix à Paris, la restitution des soldats capturés étant, pour le Vietnam du Nord, conditionnée au retrait total des troupes US au Vietnam. La signature des accords de Paris le 27 janvier 1973 entraîna directement un cessez le feu et le début de la fin de l’enfer pour les prisonniers de guerre (POW).

Les délégations US et locales, sur l’Aérodrome de Gia Lam, travaillent sur les listes d’émargement des POW libérés en ce 12 février 1973.  (Photo : USAF)

Dès le début du mois suivant, les prisonniers des camps furent rapatriés vers Hanoï avant d’être remis aux autorités américaines directement sur l’aérodrome de Gia Lam, situé à un jet de pierre du « Hanoi Hilton », juste de l’autre côté du fleuve. Le rapatriement des POW nécessita une organisation complexe et porta le nom d’opération « Homecoming » (retour à la maison). La phase initiale se fit en deux temps, un rapatriement des intéressés vers Clark AFB aux Philippines dans un premier temps puis un retour vers les USA.

Pour cet évènement, un premier C-130 fut autorisé à se poser à Gia Lam avec à son bord une équipe médicale. Le Hercules fut suivi par trois C-141, chargés d’évacuer les prisonniers libérés, et à bord desquels la priorité fut donnée aux détenus ayant effectués les séjours les plus longs au Nord.

Descendu avec son F-105D en 1966, Lewis W. Shattuck, vient d’être remis aux autorités américaines sur l’aérodrome de Gia Lam le 12 février 1973 après 2 409 jours de captivité. (Photo : USAF)

Le premier vol vers la liberté décolla donc de Gia Lam, le 12 février 1973 en milieu de journée. A bord, outre une autre équipe de médecins et d’infirmiers, se trouvaient Everett Alvarez, le premier POW, mais aussi, pour les « Thud drivers » les plus notables Lawrence Guarino et « Smitty » Harris. Ce C-141 était le 66-0177 qui gagna-là son nom de baptême « Hanoi Taxi ».

12 février 1973, à bord d’un C-141, juste après le décollage, les premiers ex-POW libérés s’envolent vers la liberté. Ont-ils repris en chœur le tube d’Eric Burdon et des Animals  We gotta get out of this place ? (Photo USAF)

Deux heures plus tard, le C-141 65-0243 décollait avec à son bord Robinson Risner, Thomas Sima, le pilote de l’aéronavale James Stockdale et une quarantaine de leurs co-détenus. Il fut suivi très rapidement par le troisième Starlifter, le 65-0236 où Lewis Shattuck avait eu sa place.

Une fois aux Philippines, les ex-prisonniers subirent des examens médicaux plus complets et purent trouver de nouveaux vêtements. C’est de là qu’ils passèrent tous leur premier coup de téléphone à leurs familles. Après les examens et les inévitables entretiens avec les services de renseignements, il embarquèrent dans d’autres C-141, cette fois-ci à destination des USA où il furent répartis dans différents hôpitaux militaires pour la poursuite de leurs indispensables soins puis rendus aux leurs.

Leo Thorsness, le jour de sa libération, le 4 mars 1973. Difficile de reconnaître le jeune homme poupin qui posait fièrement sur l’échelle de son Thunderchief six ans plus tôt. (photo : USAF)

Cette phase initiale d’Homecoming, celle de l’évacuation des prisonniers du territoire ennemi, s’étala sur deux mois, de février à mars 1973 et le C-141 « Hanoi Taxi » fit au moins deux rotations sur Clark.

On note que James Shively est rapatrié vers Clark le 18 février puis vers les USA le 20, que Michael Brazelton arriva à Clark le 4 mars comme Robert Abbott, Harold Johnson et Leo Thorsness mais pas par le même avion.

Robert Abbott rentra aux USA sur le C-141 66-7944 le 7 mars. Leo Thorsness est évacué vers les USA avec Harold Johnson le 8 mars tandis que John McCain n’arrive à Clark que le 14 mars.

591 prisonniers sont ainsi libérés dont 325 membres de l’Air Force, 138 de la Navy, 26 Marines, 77 de l’Army et 25 civils. Au sud, le Viet Cong libéra aussi ses détenus, portant ainsi le total des POW américains libérés à 660.

Leo Thorsness et Harold Johnson avant leur cure d’amaigrissement et de vieillissement accéléré dans les établissements spécialisés du Vietnam du Nord (Photo : USAF)

Sept prisonniers de guerre reçurent la Medal of Honor pour leur comportement face à l’ennemi au cours de leur détention, dont James Stockdale, futur amiral et futur candidat à la vice présidence américaine en 1992. Trois furent cependant décernées à titre posthume.

Le Colonel Risner à peine arrivé sur le sol américain après 8 ans de captivité se retrouve déjà à devoir faire une allocution. Star un jour…

On peut ajouter à ces sept médailles celle que Leo Thorsness obtint pendant sa captivité mais pour une mission qui s’était déroulée auparavant. Cette récompense fut tue pour éviter de rendre la captivité de l’intéressé plus dure qu’elle n’était déjà.  Robinson Risner et sa notoriété, comme as de la chasse en Corée, ce qui lui avait valu un « traitement spécial », ayant servis d’exemple préalable.

A partir des témoignages des rescapés, un premier bilan fut dressé, indiquant qu’entre 61 et 65 prisonniers de guerre étaient décédés pendant leur captivité, dont 16 pour l’Air Force et dont tous les corps ne furent pas restitués. Certains furent victimes de maladies, d’autres n’étaient pas parvenus à se remettre des mauvais traitement qui leur étaient infligés et quelques uns furent même battus à mort après des tentatives d’évasion comme Atterberry en 1969. Dans un rapport publié au début des années 80, Harold Johnson nota qu’aucun POW n’avait été amputé, anomalie statistique qui pouvait signifier que les pilotes blessés et gravement infectés, comme il est facile de l’être en tentant d’échapper à la capture après une éjection au-dessus de la jungle, n’étaient pas soignés comme il fallait, ou que rien n’était entrepris pour véritablement leur sauver la vie.

A la fin de la guerre, le total des disparus était donc de 2461 hommes. Ce chiffre a été réduit aujourd’hui à environ 1600 noms après un énorme travail, qui se prolonge encore aujourd’hui, d’enquête et d’identification des corps.

Le sort final de nombreux MIA demeure un vrai mystère. Dans son rapport, Harold Johnson évoque également les 370 témoignages de réfugiés vietnamiens, ayant fait l’objet d’une attention particulière, attestant de la présence de prisonniers de guerre américains au Vietnam entre 1973 et 1975.  A l’époque, le régime communiste n’était pas du tout coopératif et aucune vérification ne put être entreprise. C’est ce qui inspira Hollywood avec de nombreux films comme Portés Disparus avec Chuck Norris (1984) et surtout Rambo II l’année suivante et qui connurent le succès en dépit de qualités cinématographiques discutables.

Aujourd’hui, les autorités américaines et Vietnamiennes ont officialisé le fait qu’aucun soldat américain n’était encore détenu en Asie du Sud Est et la présence régulière des équipes américaines  des POW/MIA Accounting Command puis Agency pour enquêter, exhumer et identifier des corps retrouvés peut certainement servir de garantie à la sincérité de cette déclaration.

Le souvenir de ces prisonniers de guerre reste vif dans la mémoire et la culture populaire américaine comme en témoigne le sort du C-141 « Hanoi Taxi ». Bien sûr, on pourra toujours signaler que ces missions « Homecoming » furent, en quelque sorte, l’heure de gloire du Starlifter, un appareil globalement peu apprécié, y compris de ses équipages. Ceci explique sans doute que le 66-0177 soit devenu l’appareil emblématique du type.

En mai 2004, toujours en service mais devenu C-141C, le « Hanoi Taxi » revint au Vietnam pour charger les restes de deux soldats américains tués au combat. Son commandant de bord était, pour cette occasion, le Maj Gen Edward J. Mechenbier, ancien pilote de F-4 au Vietnam et également prisonnier de guerre (14 juin 1967-18 février 1973). Une mission symbolique à bien des égards.

Le dernier atterrissage de l’histoire du « Hanoi Taxi », le 6 mai 2006 à Wright Patterson fut aussi le dernier de l’histoire des C-141. (Photo : USAF)

En 2006, à l’occasion du retrait de service des C-141 de l’USAF, d’anciens POW furent invités à participer à quelques vols commémoratifs à bord de cet appareil, qui furent, dit-on, chargés d’émotions. Le 5 mai, après environ 40 000 heures de vol, le « Hanoi Taxi » fut officiellement retiré du service de l’USAF. Le lendemain, il fut convoyé jusqu’à Wright Patterson, près de Dayton, dans l’Ohio, ce qui constitua l’ultime vol de l’histoire du C-141. Une fois posé, il fut pris en compte par le National Museum de l’USAF. Il fut ensuite restauré  pour que sa cabine soit au plus proche de son standard de 1973. Il est désormais exposé au sein du musée dont il constitue une des très belles pièces.

Le Hanoi Taxi dans les réserves du Musée, juste avant d’être mis en place dans le musée. (Photo : USAF)

Ce Musée qui possède de superbes pièces relatives à la guerre du Vietnam, dont deux F-105 MiG Killer, propose également une très belle exposition consacrée aux prisonniers de guerre et qui comporte quelques vitrines où sont exposées des « reliques » personnelles de célèbres prisonniers de guerre. Dans un coin, les cellules de l’Hilton d’Hanoï ont été reconstituées et, à l’intérieur de l’une d’elles, un mannequin de prisonnier est présenté en train de faire usage du « tap code ».

Une des cellules reconstituée au musée de Dayton  (Photo : USAF)

Certains de ces ex-prisonniers de guerre n’aspiraient qu’à reprendre leur métier de pilote de combat une fois libres.

Le patch des Freedom Flyers

Près de 150 vétérans du Vietnam passèrent donc entre les mains des instructeurs du 560th Flying Training Squadron à Randolph AFB dans le cadre du programme « Freedom Flight ».

6000 heures de vol, effectuées, en fonction des spécialités initiales, sur T-37, T-38 et T-39, leur permirent de recouvrer leurs ailes et de poursuivre leurs carrières respectives.

Cette requalification « Freedom Flight Program » faisait partie intégrante de l’opération Homecoming.

La première promotion était composée de Jon Reynolds, Mike Brazelton, Bob Purcell et Ken Johnson. A l’exception de ce dernier, pilote de F-4, tous étaient d’anciens pilotes de F-105.

Mike Brazelton, ancien pilote de F-105 prisonnier de guerre, présente la photo de la première promotion Freedom Flight de 1973, dont il faisait partie. Il est accompagné par Joe Elam du 560th FTS. Notez le patch sur son épaule gauche. (Photo : USAF)

Les liens tissés entre le 560th TFS et ses anciens stagiaires si particuliers n’ont jamais été rompus. Ces missions valent aux instructeurs de voler régulièrement avec le patch « Freedom Flyer » ou celui des « POW/MIA » car ce souvenir est particulièrement cultivé au sein de l’unité qui garde cette spécificité car d’autres POW de guerres plus récentes ont bénéficié de cette remise en selle indispensable avant de reprendre ces fonctions exigeantes.

Surtout, ils se retrouvent chaque année au mois de mars pour participer à la « Freedom Flyer Reunion », auquel peut aussi s’adosser l’Annual « POW/MIA Symposium », qui se déroule sur la Joint Base San Antonio à laquelle Randolph AFB a été rattachée.

Carlyle Harris dit « Smithy » lors d’un symposium POW/MIA. Descendu avec son F-105D (62-4217) lors d’une mission contre le pont de Than Hoa le 4 avril 1965 il participa à la Parade d’Hanoï et introduisit le « Tap Code » au sein des détenus. (Photo : USAF)

Au cours de cette cérémonie publique, d’anciens prisonniers ou leurs familles viennent apporter leurs témoignages et leurs commentaires. Il y a bien évidemment une cérémonie officielle et un défilé aérien au-dessus du monument dressé à la mémoire des POW/MIA.

Gene Smith,  abattu au Vietnam lors d’un raid contre le pont Paul Doumer  (F-105D 58-1168, 25/10/1967), au cours d’une allocution sur la base de Randolph en 2011. (Photo : USAF)

Certains anciens, quand leur condition physique le permet, retrouvent alors le cockpit d’un T-38, mais en place arrière cette-fois, un moment forcément émouvant et chargé de symboles.

Vidéo souvenir du « fly over » du « Freedom Flyer Reunion » de 2017. Deux ex-POW se trouvaient en place arrière de ces T-38.

René J. Francillon (1937-2018), une oeuvre !

René Francillon nous a quitté le 8 mars 2018 alors qu’il attendait de recevoir les épreuves de sa dernière œuvre, le hors-série du Fana consacré au F-105 Thunderchief, travail dans lequel il avait mis toute son énergie habituelle mais dont il était sorti très fatigué. Une méchante pneumonie passait par là et l’a emporté en un rien de temps à quelques jours de ses 81 ans. Il avait encore tellement de projets de livres et d’articles !

Mars 2014, dans son bureau de sa maison de Vallejo, face à la rivière Sacramento, le maître fait une pause !

Voici une liste aussi complète que possible de ses livres. Certains, même parmi les plus anciens, sont encore considérés comme des pièces essentielles de l’historiographie aéronautique et ont été des succès commerciaux considérables. Plus récemment, ses ouvrages publiés chez Docavia ou Lela Presse, démontraient encore ses incroyables qualités d’auteur.

Le marché européen de l’aviation commerciale. Thèse de Doctorat. Université de Lausanne, 1964

Luftwaffe in World War II, avec Uwe Feist, Aero Publisher, 1968

U.S. Army Air Forces in the Pacific, Aero Publisher, 1969

American Fighters of World War Two, volume 1, Hylton Lacy Publishers Ltd, 1969

Japanese Navy Bombers of World War Two, Hylton Lacy Publishers Ltd, 1969

Royal Australian Air Force & Royal New Zealand Air Force in the Pacific, Aero Publisher, 1970

Japanese Aircraft of the Pacific War, Putnam Aeronautical Books, 1970 (1e édition) et 2000 (5e édition/réimpression)

American Fighters of World War Two, volume 2,  Hylton Lacy Publishers Ltd, 1972

McDonnell F-4 Phantom II, Volume I – USAF, US Navy, USMC, RAF, FAA, Luftwaffe & Foreign Service, Aircam N° 30, Osprey, 1972

McDonnell F-4 Phantom II, Volume II – USAF, US Navy, USMC, RAF, FAA, Luftwaffe & IIAF Service, Aircam N° 41, Osprey, 1973

Aircraft Data for Airport Planning, International Engineering Company Inc, 1974

USAAF Fighter Units, Europe, 1942-45, Airwar 8, Osprey, 1977

Avril 2017, en passant le long des bords de seine, René s’arrête net devant l’étal d’un bouquiniste : « Ha ouais, c’est vrai que t’en a fait pas mal chez eux !! »

USAAF Medium Bomber Units, ETO, MTO, 1942-45, Airwar 7, Osprey, 1977

US Navy Carrier Air Groups, Pacific, 1941-45, Airwar 16, Osprey, 1978

Japanese Carrier Air Groups, 1941-45, Airwar 21, Osprey, 1979

The Air Guard, Aerograph 2, Aerofax, 1983

McDonnell F-15A/B, Minigraph 2, Aerofax, 1984

McDonnell F-4D, Minigraph 4, Aerofax, 1985

Dassault Mirage F1, Minigraph 17, Aerofax, 1986

Lockheed F-94 Starfire, Minigraph 14, avec Kevin Keaveney, Aerofax, 1986

Douglas A-3 Skywarrior, Aerograph 5, Aerofax, 1987

Lockheed Aircraft since 1913, Putnam Aeronautical Books, 1987

Saab 35 Draken, Minigraph 12, avec Robert F. Dorr et Jay Miller, Aerofax, 1987

Vietnam Air Wars 1945-1975, Aerospace Publishing, 1987. Co-édition aux USA par Arch Press/Crown Publishers Inc. New York, NY, sous le titre Vietnam: The War in the Air. Réédité chez Guild Publishing, London, 1988

Sky Warriors – Aviation in the California Army and Air National Guards, Osprey, 1988 ; publié en France sous le titre Pilotes de la Garde Nationale U.S, Éditions Atlas, 1992

Douglas B-66 Destroyer, Minigraph 19, avec Mick Roth, Aerofax, 1988

Tonkin Gulf Yacht Club – U.S. Carrier Operations off Vietnam, (co-édition aux USA par the Naval Institute Press), Conway Maritime Press, 1988

B-52 – Ageing BUFFs, avec Peter B. Lewis, Osprey, 1988 ; publié en France sous le titre Pilotes de B-52,  Éditions Atlas, 1991

US Navy – Flamboyant Markings 1965-1975, avec Peter B. Lewis, Osprey, 1988

McDonnell Douglas Aircraft since 1920, Volume 1, Putnam Aeronautical Books, 1988

Grumman Aircraft since 1929, Putnam Aeronautical Books, 1989

Fighter Interceptors – America’s Cold War Defenders, avec Jim Dunn et Peter B. Lewis, Osprey, 1989

Mighty MAC – Airlift, Rescue, and Special Operations, avec Jim Dunn et Peter B. Lewis, Osprey, 1990

Navy Attack – Spads, Scooters, and Whales, avec Peter B. Lewis, Osprey, 1990 : publié en France Pilotes de l’U.S. Navy, Éditions Atlas 1992

McDonnell Douglas Aircraft since 1920, Volume 2, Putnam Aeronautical Books, 1990

Electronic Wizards – Crows, Ravens, and Weasels, avec Jim Dunn et Peter B. Lewis, Osprey, 1991. Publié sous le titre Pilotes d’avions de guerre électronique, Atlas, 1991

F-4 Phantom, Air National Guard, Air Fan hors-série n°1, 1991

B-52, L’ultimo grande bombardiere, avec Peter B. Lewis, Instituto Geografico d’Agostini, 1992

The United States Air National Guard, Aerospace Publishing, 1993

Force Drawdown, A USAF Photo History 1988-1995, avec Jim Dunn et Carl E. Porter, Schiffer Publishing, 1995

World Military Aviation, 1995, Naval Institute Press, 1995

World Military Aviation, 1997-1998, Naval Institute Press, 1997

Boeing 707 – Pioneer Jetliner, Motorbooks International, 1999

Heyl Ha’Avir, la Force Aérienne Israélienne, avec Samuel Prétat, Air Fan hors-série n°3, 1999

Boeing Jetliner Database, avec Bill Harms, Motorbooks International, 2002

Du Comet à l’A380, Docavia n°53, Éditions Larivière, 2005

Test Colors – The Aircraft of Muroc AAF & Edwards AFB, Howell Press, 2005 (livre mis en page et annoncé mais jamais publié en raison de la disparition de l’éditeur)

Face à l’Est – Les USAFE, bouclier aérien de l’Europe depuis 1945, Fana hors-série classique n°30, Éditions Larivière, 2005

Meurtrier Yacht Club – L’Aéronautique navale américaine au Viêtnam, Fana hors-série classique n°33, avec David W. Menard, Éditions Larivière, 2006

La grande histoire du ravitaillement en vol, Docavia n°62, Éditions Larivière, 2008

Les Rois du Ciel : Douglas DC-1 à DC-7, Histoire de l’Aviation n°27, Lela Presse, 2011 ; publié en Grande Bretagne sous le titre : Douglas Propliners – Skyleaders, DC-1 to DC-7, Haynes Publishing, 2011

L’aviation embarquée en Corée, Ciel de guerre 21, Artipresse, 2012

Le transport militaire américain pendant la 2e GM, vol. 1, Ciel de guerre 23, Artipresse, 2013

Le transport militaire américain pendant la 2e GM, vol. 2, Ciel de guerre 27, Artipresse, 2014

P-51 Mustang, Un chasseur entré dans la légende, Profil Avions n°24, Lela Presse, 2015

Mai 2015, Grand moment ! A la terrasse du Carpe Diem Café à Paris, René me dédicace mon exemplaire du Lela sur le Mustang.

Lockheed F-104 Starfighter, l’histoire controversée du Zipper, Profils Avions n°26, Lela Presse, 2017

F-15, le maître du ciel, Fana Hors-série moderne n°9, avec Frédéric Marsaly, 2017

F-105 Tonnerre sur Hanoï, Fana Hors-série classique n°61, avec Frédéric Marsaly, 2018

Collection Profile :

Nakajima Ki-84, Aircraft Profile 070, 1966

Mitsubishi Ki-46, Aircraft Profile 082, 1966

Kawasaki Ki-45 Toryu, Aircraft Profile 105, 1966

Kawasaki Ki-61 Hien, Aircraft Profile 118,1966

Mitsubishi A6M2 Zero-Sen, Aircraft Profile 129, 1966

Mitsubishi G3M Nell, Aircraft Profile 160, 1967

Mitsubishi Ki-21, Aircraft Profile 172, 1967

Mitsubishi A6M3 Zero-Sen, Aircraft Profile 190, 1967

Mitsubishi G4M Betty & Ohka Bomb, Aircraft Profile 210, 1971

Kawanishi N1K Kyofu, Aircraft Profile 213, 1972

Grumman (Eastern) TBF (TBM) Avenger, Aircraft Profile 214, 1972

Participation à des ouvrages collectifs :

Gulf Air War Debrief, Aerospace Publishing Ltd, 1991

F-4, Spirit of the Sky, Aerospace Publishing Ltd, 1993

Vietnam Air War Debrief, Aerospace Publishing Ltd, 1996

Defense & Foreign Affairs Handbook 2000, International Strategic Studies Association, 1999

 

René nous a donc quitté. Avoir travaillé avec lui a été un honneur et surtout un plaisir. Mais plus que ça encore, avoir côtoyé cet homme d’une culture considérable et d’un esprit d’une vivacité stupéfiante, fidèle en amitié et d’une très grande sincérité, a été un privilège immense. Il va nous manquer.

Autour des Thunderchief, les POW (1)

L’histoire du Thunderchief est profondément marquée par la décennie passée à combattre dans le Sud-Est asiatique au point qu’on en oublie presque que l’essentiel des missions sur le Nord effectuées par les F-105 se déroule principalement lors de la première partie de la guerre. Après octobre 1970, ne subsistent plus que les F-105F/G Wild Weasel III à combattre au Vietnam.

L’intensité de ces combats transparait à travers quelques chiffres puisque ce sont 397 avions qui sont perdus en Asie entre le 14 août 1964 et le 16 novembre 1972, c’est à dire environ la moitié de la production de cet avion.

Environ la moitié de la production du F-105 a terminé comme épave dans la jungle du sud-est asiatique. Certains pilotes ont passé, du coup, quelques années prisonniers du Vietnam du Nord. (Photo : AAHS)

Sur ces 397 avions perdus, 332 l’ont été par action de l’ennemi, les autres pertes résultant de problèmes techniques divers ou d’erreurs humaines.

C’est donc sans surprise que les équipages des Thunderchief ont payé le prix fort dans ces opérations difficiles. Les deux Wing de Takhli et Korat ont perdu, ensemble, 150 tués et disparus – dont 48 restent encore manquants aujourd’hui – mais aussi 103 prisonniers de guerre.

Comme l’avaient découvert, quelques années avant-eux, les soldats français capturés à Dien Bien Phu, les Vietnamiens étaient des combattants redoutables, mais leur traitement des prisonniers de guerre l’était encore plus. Des 10 000 hommes capturés en mai 1954 lorsque la garnison française a été submergée, un peu plus de 2000 ont été rendus à l’automne suivant… Sans connaître un tel « génocide », le sort des prisonniers de guerre internés au Vietnam du Nord, et en particulier celui des « Thud Drivers », n’était guère enviable.

Quelques secondes après qu’un SA-2 a explosé près de lui, un F-105 commence à brûler, l’éjection semble inévitable, au risque de tomber aux mains des vietnamiens. (Photo : USAF)

La République démocratique du Vietnam avait ratifié la Convention de Genève de 1949 portant sur le traitement des prisonniers de guerre le 28 juin 1957. Lorsque les premiers pilotes américains furent capturés au Nord, ils témoignèrent avoir rencontré un accueil ferme mais pas hostile.

Un F-105, non identifié, touché par la DCA tombe en flammes tandis que son pilote est suspendu sous son parachute. Un locataire de plus pour le Hilton d’Hanoi ! (Photo : DR)

Ils n’étaient pas mis à l’isolement et disposaient de soins sommaires mais suffisant. Il étaient autorités à écrire à leurs proches et à recevoir les colis de la Croix-Rouge. Lorsque les opérations s’intensifièrent et que les coups portés par les chasseurs et bombardiers US commencèrent à causer de réels dégâts sur l’organisation du pays, leurs conditions de détention devinrent plus tendues.

Malmenés dès leur capture, convoyés parfois à pieds jusqu’à leur lieu de détention, les aviateurs étaient ensuite quasi -systématiquement torturés afin qu’ils avouent leurs « crimes de guerre » ou de lâcher des renseignement militaires. La notion de crime de guerre n’était, là, pas prononcée à la légère car il était spécifié aux aviateurs capturés que cette accusation de « crimes de guerre » leur ôtait l’espoir d’être traités selon la convention de Genève. Ensuite, ils étaient placés à l’isolement, pendant de longs mois parfois. La nourriture était distribuée avec parcimonie et les soins médicaux étaient quasi inexistants. .

James L. Hugues, pilote de F-105 du 469th TFS, blessé, pieds nus et sous bonne escorte.  (Photo via USAF)

Les prisonniers du Vietnam du nord, composés à environ 80% de pilotes et navigateurs de l’Air Force ou de la Navy, étaient répartis sur une quinzaine de camps éparpillés dans la jungle comme celui de Son Tay qui fit l’objet d’un audacieux raid en novembre 1970 afin d’en libérer les prisonniers. Malheureusement, les 56 détenus avaient été évacués, en raison d’une menace d’inondation, quelques mois plus tôt.

Le site d’internement le plus connu est bien sûr la prison de Hoa Lo, située au cœur de la ville d’Hanoï, construite par les français à la fin du XIXe siècle et qui se distinguait déjà par des conditions de survies extrêmes. En ceci, elle ne différait pas trop du système carcéral métropolitain de l’époque. Elle fut très vite surnommée « Hanoi Hilton » par ses détenus.

Reconstitution des cellules de la prison de Hoa Lo au Musée de l’USAF de Dayton. (Photo : USAF)

Elle devint le principal centre de détention des pilotes américains dès le début de la guerre. Sa situation, en pleine ville, annihilait la moindre chance de réussite d’une éventuelle évasion.

Quelques tentatives eurent lieu, d’ailleurs, depuis les camps situés dans la jungle mais aucune ne réussit. John Dramesi, pilote de F-105 au 13th TFW avait déjà tenté de s’échapper d’un premier camp en avril 1967, quelques jours après sa capture et en dépit d’une balle reçue dans la jambe droite. Transféré à « Hanoi Hilton » puis à un autre camp baptisé le « Zoo », il s’échappa le 10 mai 1969 en compagnie d’Edwin Atterberry, pilote de RF-4, après une minutieuse préparation.

Edwin L. Atterberry lors de sa capture en août 1967.

Ils gagnèrent une douzaine d’heures de liberté mais ils furent repris à environ 6 km de leur point de départ et ramenés sans ménagement.

Au cours des jours qui suivirent, tous les prisonniers furent torturés et battus systématiquement en guise de représailles, les deux évadés obtenant un régime particulier auquel Atterberry ne survécu pas. Dramesi fut sauvé de justesse, au bout de 38 jours de sévices, mais fut contraint de porter des fers aux pieds pendant les six mois suivants. Ce qui n’exonéra pas ses co-détenus de continuer à subir des violences régulières. En juin 1972, Dramesi fut à nouveau impliqué dans une tentative d’évasion mais qui fut annulée à la dernière minute, sans doute par crainte de nouvelles représailles. Il fut libéré le 4 mars 1973. Les restes d’Atterberry furent restitués un an plus tard.

Le 6 juillet 1966 se déroula un évènement marquant. Alors que la population du Vietnam du Nord commençait à sérieusement souffrir des attaques aériennes, le régime monta une opération de propagande. Afin de proposer un exutoire à la population d’Hanoï, 52 prisonniers américains furent extraits de leurs cellules et contraints de défiler en ville, menottés deux à deux, sous les cris, les crachats et les coups d’une foule excitée par les commissaires politiques et leurs hauts-parleurs. De nombreux correspondants de presse et journalistes occidentaux filmèrent l’évènement qui eut un retentissement mondial.

Mais pas vraiment celui qu’attendait le régime communiste : de très nombreux chefs d’état, dont le Pape, s’émurent de cette entorse aux Conventions de Genève et commencèrent à faire pression pour que ces accords soient respectés pour la survie de ces prisonniers.

Parmi les participants à cette lamentable mascarade se trouvaient Alvarez, pilote de la Navy, premier aviateur fait prisonnier au Nord et qui connut donc la détention la plus longue ou le Lt Col Robinson Risner. Ce dernier n’était pas le seul pilote de F-105 de « la fête » comme le montre la photo suivante.

La parade d’Hanoï. Au premier plan Richard Kiern et and Kile Berg suivis par Robert Shumaker et “Smitty” Harris, viennent ensuite Ronald Byrne et Lawrence Guarino.  (Photo via USAF)

Richard Kiern fut le premier pilote descendu par un SA-2, il volait alors sur F-4C et Robert Shumaker, de l’US Navy, volait sur F-8 Crusader. Les quatre autres étaient des « Thud Drivers ». « Smitty » Harris fut descendu avec son F-105 le 4 avril 1965, Lawrence Guarino le 14 juin, Kile D. Berg  le 27 juillet et Ronald Byrne le 25 août suivant.

Pour rassurer tout le monde, les photographes des services de propagande s’attachèrent à immortaliser les bons traitements prodigués, comme ces deux pilotes de F-105, faisant bombance au mess des prisonniers. Il va sans dire que dès que les photographes étaient partis, l’ordinaire devenait bien ordinaire… Quand il existait…

L-R 1Lt J.R. Shively, à droite, tombé le 5 mai 1967 et 1Lt R.A. Abbott descendu par un MiG le 30 avril 1967 posent devant un buffet bien garni. (photo via USAF)

Parmi les autres activités promises aux prisonniers de guerre, outre la torture, les privations et l’isolement, il y avait les séances prévues pour les services de propagande où les aviateurs devaient expliquer à la radio à quel point ils étaient bien traités et où ils devaient également expier leurs « crimes de guerre ».

R.D Ingvalson, du 34th TFS de Korat qui fut descendu lors de sa 87 mission le 28 mai 1968 était un des pilotes les plus âgés de la Prison de Hoa La. La légende de la photo ne précise pas si il est en train de découvrir la lettre lui annonçant le décès de son épouse. (Photo via USAF)

Après le raid contre Son Tay en novembre 1970, les prisonniers de guerre furent relocalisés sur 5 sites d’internement dont  Hanoï Hilton, ce qui mit fin aussi, par surpopulation, au régime d’isolement et renforçant ainsi la cohésion au sein des groupes de prisonniers.

Cependant, l’année suivante, environ 200 POW furent convoyés, de nuit vers un camp situé vers la frontière chinoise « Dog Patch ». Ils y restèrent jusqu’en janvier 1973. Ce camp resta inconnu des autorités US jusqu’à la libération des prisonniers. Les conditions y étaient plus dures qu’à Hanoï.

Message personnel

En juillet 1972, 7 prisonniers de guerre internés à Hoa Lo furent autorisés à rencontrer Jane Fonda, activiste et militante pour les droits civiques, opposante acharnée à la guerre menée par son pays dans la péninsule indochinoise qui s’était rendue à Hanoï à l’invitation des autorités du Vietnam du Nord en juillet 1972, alors que les bombardements de l’opération Linebacker faisaient rage. Afin que les intéressés s’en tiennent au discours officiel des bons traitements, ils furent « préparés » spécifiquement. Ces mauvais traitement ne firent qu’attiser le ressentiment envers l’actrice américaine.

Elle commit ensuite l’erreur d’être prise en photo, souriante, assise sur le siège du tireur d’une pièce d’artillerie anti-aérienne, les mêmes qui décimaient alors les escadrilles de l’aviation américaine, jouant avec le viseur, un casque sur la tête, posant avec un plaisir visible pour les photographes massés autour d’elle. Elle y gagna le peu flatteur surnom d’Hanoi Jane et doit composer avec l’hostilité d’une partie de la population américaine, qui n’a jamais oublié ces évènements, depuis près d’un demi siècle !

Effectuant l’essentiel des missions sur le Nord au début du conflit, il était logique que les pilotes de F-105 connaissent les pertes les plus importantes et ont longtemps constitué le contingent le plus important de la population internée au Vietnam. Plusieurs personnalités émergèrent rapidement dont Robinson Risner qui, par son grade et sa réputation fut considéré comme un des « patrons » des prisonniers.

Plus simple à mémoriser et à utiliser que le morse, le tap code fut implanté à Hanoi Hilton sous l’impulsion du pilote de Thunderchief Carlyle « Smitty » Harris.

Mais c’est Carlyle « Smitty » Harris, pilote descendu le 4 avril 1965 à sa sixième mission qui fit faire une avancée notable à sa communauté en utilisant le « Tap Code » pour communiquer avec ses codétenus, souvenir d’une conversation avec un instructeur à propos des prisonniers de la 2e guerre mondiale, des années plus tôt.

Ce code, application du carré de Polybe connu depuis l’antiquité, s’est avéré plus souple, plus intuitif et donc plus facile à manier que le Morse. Chaque lettre était communiquée par deux série de coups. La première indiquait le numéro de la ligne et la seconde série le numéro de la colonne. En très peu de temps, les aviateurs d’Hanoi Hilton parvenaient à maîtriser ce code sans problème.

Ainsi, ils se faisaient passer leurs messages en tapant sur les murs. Il ne s’agissait pas, pour eux, de juste se remonter le moral, ils parvenaient aussi à se passer des informations, notamment sur la teneur des questions posées lors des interrogatoires.

Pendant que les prisonniers tentaient de survivre aux mieux à leurs terribles conditions d’existence, leur sort était en train de devenir un enjeu considérable aux USA. En effet, le Vietnam du Nord ne communiquait aucune liste des hommes qui étaient tombés entre ses mains, si bien que, bien souvent, le sort des prisonniers de guerre était confondu avec les tués au combat sous la qualification de « portés disparus au combat » (MIA, Missing in Action). Quelque fois, quand aucune éjection n’avait été observée par les autres pilotes de l’escadrille au moment du drame, le MIA était rapidement remplacé par un « présumé tué au combat ». Mais dans de très nombreux cas, pour les familles, l’incertitude était insupportable.

De temps en temps, les détenus étaient autorisés à envoyer ou recevoir du courrier, et la Croix Rouge Internationale parvenait à visiter un camp. Il était alors possible de prévenir les familles des prisonniers formellement identifiés, mais pour certains camps, l’incertitude dura des années.

Dans un premier temps, les familles furent également incitées au silence par les autorités américaines, par crainte d’aggraver le traitements des prisonniers ou de ruiner d’éventuelles négociations de paix car les prisonniers de guerre étaient devenus un enjeu sensible puisque leur restitution a rapidement été subordonnée, par les autorités du Vietnam du Nord, au départ des troupes américaines.

Néanmoins, au moment de la pause des bombardements quelques prisonniers furent libérés en signe de volonté d’apaisement. Ces derniers confirmèrent alors toute l’horreur de la détention au Nord.

Sybil Stockdale, épouse de James Stockdale de l’US Navy, détenu depuis 1965, créa en 1967, la League of Families of American Prisonners and Missing in Southeast Asia et débuta une campagne médiatique afin que le Nord Vietnam communique, au moins, une liste de ses prisonniers. Le 28 mai 1970, cette association devint nationale.

En 1972, une publication de Life Magazine permit au problème des POW/MIA de prendre une ampleur nationale lorsque la photo de la capture de Wilmer N. Grubb, pilote de RF-101 fut publiée. La famille du pilote n’avait alors aucune nouvelle de lui depuis l’annonce de son éjection en 1966. La photo montrait pourtant qu’il était tombé vivant et plutôt en bonne santé aux mains des vietnamiens car tout laisse penser que les soins qui lui sont apportés sur la photo ne sont qu’une mise en scène de propagande.

lorsque Cette photo de propagande montrant le Capt Grubb soigné juste après son éjection en janvier 1966 fut publiée dans Life Magazine en 1972. Elle déclencha un mouvement populaire de soutien aux POW/MIA encore actif aujourd’hui. (Photo via USAF)

Après la diffusion d’un message, qu’il avait enregistré précédemment, sur Radio Hanoi le 7 février 1966, plus personne n’entendit parler de lui jusqu’à la publication de cette photo.

Ce n’est qu’en 1973, à la libération des autres prisonniers de guerre, que sa famille apprit qu’il était décédé, en fait, seulement 9 jours après sa capture et aucune explication sur sa mort n’a jamais été communiquée. Son corps fait partie de ceux qui n’ont pas été restitués. Néanmoins, la photo du Captain Wilmer Grubb permit de sensibiliser l’ensemble de la population américaine au drame vécu par les POW/MIA et leurs familles.

Le drapeau officiel de la Ligue Nationale des familles des prisonniers de guerre et des portés-disparus.

La drapeau de la Ligue a été dessiné par Newt Heisley (1920-2009) artiste qui fut, lui même, pilote dans l’USAAF pendant la seconde guerre mondiale. Il est présent officiellement lors de très nombreuses cérémonies civiles comme militaires et il même levé sur certains édifices publics à certaines occasions. La Ligue existe toujours puisque 1600 soldats américains sont toujours portés disparus pour ce conflit.

Beaucoup d’anciens prisonniers de guerre concèdent que la pression publique exercée au USA après 1968 participa à améliorer progressivement leurs conditions de détention à Hanoi Hilton et dans certains camps. L’arrêt de la torture, l’apparition des soins et une légère amélioration de la nourriture en furent les conséquences concrètes. Des courriers de 6 lignes étaient autorisés parfois pour donner quelques nouvelles aux familles. Les prisonniers de certains camps ne connurent pas forcément ces privilèges.

Le 27 janvier 1973, la signature des accords de Paris signifia d’une part la fin de la guerre, le retrait des forces US et la possibilité d’un retour pour les POW/MIA d’autre part.

(à suivre)