Enghien-Moisselles, aérodrome parisien atypique

Depuis plusieurs mois, pour des raisons un peu longues à expliquer, je fréquente régulièrement le très agréable aérodrome d’Enghien-Moisselles (LFFE), au nord-ouest de Roissy. Plutôt que de faire un compte-rendu de la fête aérienne qui s’y est déroulé le weekend des 14 et 15 septembre dernier, voici une présentation de cet aérodrome si particulier et des machines, plus sympathiques les unes que les autres, que l’ont peut y voir.

Avions privés et de club se partagent le parking de LFFE.

L’aérodrome a été créé dans les années 30 à l’initiative de la ville d’Enghien-les-Bains qui reste propriétaire du terrain, ce qui explique le nom de la plateforme alors que les deux villes ne sont absolument pas limitrophes, situées à une dizaine de km l’une de l’autre.

Après avoir été une des plateformes les plus actives de la région parisienne, l’ouverture de Roissy en 1974 et l’instauration d’une CTR, une zone contrôlée destinée à protéger les approches des avions de ligne, a limité l’accès aux pistes aux seuls avions basés. Un « chenal » obligatoire permet aux aéronefs au départ et à l’arrivée de LFFE de sortir de la CTR.

Une improbable patrouille qui illustre bien la proximité des avions de ligne au départ de Roissy qui survolent le terrain notamment lors des décollage en direction du nord-ouest.

Dans cette enclave, le plafond autorisé n’est que de 1500 ft ce qui limite les possibilités d’activités, en particulier lors des fêtes aériennes puisque le terrain se trouve lui-même autour de 330 ft.

L’aérodrome est géré par l’Aéroclub les « Ailerons ». La piste, en herbe et en bosses, mesure 740 mètres de long. Elle a un profil particulier. Elle monte fortement au début de la 07, en raison notamment d’un gros fossé qui génère, par vent d’est, de bons rouleaux. La pente s’atténue ensuite. On peut parler ici d’un champ d’aviation. De l’avis de nombreux pilotes, quand on a appris à se poser à Moisselles, on trouve beaucoup de pistes très faciles par ailleurs !

Jusqu’en 2017, la piste 16-34, qui ne faisait que 570 mètres, apparaissait encore sur les cartes officielles mais elle n’était plus utilisée depuis un moment. A l’ancien seuil 34, les aéromodélistes disposent désormais de deux pistes dédiées pour leurs activités. Les pompes a essence délivrent de l’AvGas 100LL et de l’UL 91 pour les moteurs Rotax des PS-28 et des ULM.

L’aérodrome de Moiselles en 2018. La vue satellite ne permet pas de distinguer le profil particulier de la 07-25. Les deux pistes d’aéromodélisme se trouvent à l’emplacement de l’ancienne piste.

Environ 250 pilotes et élèves pilotes, une dizaine sont brevetés chaque année, effectuent une moyenne annuelle de 2500 heures de vol. Une trentaine de collégiens travaillent avec les formateurs bénévoles pour décrocher leur Brevet d’Initiation à l’Aéronautique (BIA).

En courte finale 07 à bord d’un Cessna 152 en mai 2018.

Une dizaine d’instructeurs, dont un salarié à plein temps, officient sur les avions école du club, deux PS-28 et trois Cessna 152. Les trois Cessna 172 et le Da40 ont clairement une vocation voyage. Le Piel CP 320 Super-Emeraude permet de faire des voyages avec un petit côté rétro et fun très apprécié des amateurs !  Le club dispose de son propre atelier de maintenance.

Le Sierra-Zoulou, un Piel Super-Emeraude, construit à Moisselles dans les années 80 et revenu au bercail en 2014 après avoir fait le bonheur de l’aéroclub de Quiberon pendant des années. Il en faudrait un deuxième !!

La planche de bord du Sierra-Zoulou. La navigation se fait grâce à l’écran du Dynon et… à un Ipad qui dispose de son emplacement dédié. Trois reproches néanmoins : le siège est un peu haut pour un pilote d’un mètre 85, le trim est positionné un peu trop en arrière entre les sièges et le positionnement de la manette de sélection des réservoirs gagnerait à être plus clair. Mais en dehors de ces quelques points cet avion est une merveille et un bonheur à piloter !

L’histoire de Moisselles se confond aussi avec celle des avions de Claude Piel. Le génial concepteur de l’Émeraude et de ses dérivés, du Béryl au Cap 10, du Saphir ou du Diamant, fait voler ici en 1948 son tout premier avion, le CP 10, un « pou du ciel » qu’il a conçu et construit. Il devient plus tard salarié de la Scintex, qui construit en série des Emeraude et dont le PDG, M. Vernhes, est aussi président des Ailerons de 1949 à 1971.

Aujourd’hui son fils prolonge la saga depuis les hangars de Moisselles. Le premier Béryl, qui fut l’avion familial avec lequel ses parents ont sillonné la France et qui est resté dans la famille, est basé ici.

Le tout premier CP-70 Béryl, l’aile de l’Emeraude avec un fuselage biplace en tandem, l’avion personnel de Claude Piel et qui est resté dans la famille. Quelle allure !!

Bien d’autres Piel fréquentent donc la 07-25 de LFFE et ce n’est pas terminé puisque les membres du RSA, qui disposent d’un hangar-atelier dédié à leurs activités, continuent à construire des Piel, le prochain à voler devant être un ULM CP 150 Onyx d’ici quelques mois.

Le F-BJVB est un Emeraude construit par la Scintex dont Claude Piel était salarié et le PDG président des « Ailerons ». Avion privé, il demeure basé à Moisselles.

Un Super-Emeraude construit à Pont-sur-Yonne et désormais basé à Moisselles. Notez son train d’atterrissage d’avion de voltige !

Mais le chef d’œuvre est ce CP 1322 Saphir, construit par son pilote après un chantier de plus de 8 ans et qui a été amélioré par un train d’atterrissage rentrant et une hélice à pas variable. Avec ses 200 ch, il file à plus de 250 km/h en croisière et ceux qui l’ont approché ne peuvent que louer la qualité de la finition de cet appareil. Les quelques pilotes qui ont eu la chance de pouvoir l’essayer ont également loué l’homogénéité de ses commandes de vol, parfaitement équilibrées, ce qui a sans doute exigé un immense travail.

Le Saphir F-PNAR est un avion unique, sans équivalent.

Pour le plaisir, son pilote-constructeur, l’a même équipé d’un fumigène. Néanmoins, il s’agit d’une machine taillée pour le voyage.

Le dynamisme de la section RSA qui existe sur la plateforme explique notamment ces nombreux appareils et tout le monde se félicite de pouvoir disposer de la compétence et du talent de ces constructeurs amateurs qui, pour la plupart, volent également aux Ailerons. La maintenance du Super-Émeraude Sierra-Zoulou est assurée en partie par les membres du RSA, les mêmes qui l’ont remis en état de vol au printemps dernier. Que grâce leur soit rendue !

D’autres appareils complètent l’arsenal présent sur l’aérodrome, dont voici quelques exemples intéressants.

Le F-PUIL, un Jodel D.140, ici avec ses skis à l’occasion de la fête aérienne 2019, est parfaitement adapté à la piste courte et bosselée du terrain !

Grand classique de l’aviation française, ce TB-20 Trinidad, appareil de voyage très performant, s’accommode pourtant très bien de la très courte piste de LFFE, gènes de Rallye obligent.

Un Cessna 182. Il est équipé d’un Garmin G1000 et son pilote aime énormément voyager. Ça tombe bien, c’est là où le Skylane donne son meilleur.

Quelques ULM sont présents et cette activité pourrait se développer. Un des aéronefs les plus singuliers de Moisselles est cet autogire dont l’équipage propose au public des vols de découverte au-dessus de la région. Une façon de voler, la tête à l’air libre juste délicieuse !

Toute l’équipe de 09-27.fr profite d’un bon moment en place arrière de l’autogire de Girofly ! (Photo : Franck Mée)

Manœuvrant, démonstratif et facile à piloter, l’autogire est en train de faire un retour en force chez les ULMistes.

Les avions de collection ne sont pas en reste. Bien sûr, la piste est trop courte pour accueillir certains warbirds mais le patrimoine aéronautique n’est pas constitué que d’avions lourds et imposants. Les avions légers, anciens voire très anciens constituent d’excellents exemples préservés d’une certaine vision de l’aviation légère d’autrefois et méritent donc le soin que leurs propriétaires leur apportent.

Récemment sorti de restauration, le F-POOO est un NC954S dont le tout premier pilote fut le célèbre Henri Giraud spécialiste du vol en montagne et qui posa son Super-Cub au sommet du Mont-Blanc en juin 1960.

Avions légers aujourd’hui un peu oubliée, les NC n’en sont pas moins de vrais avions de collection finalement assez abordables.

Un très rare Leopoldoff a également trouvé refuge à Moisselles. Il est entre de très bonnes mains !

Les hangars de Moisselles hébergent également un Stampe (F-BMMH) et un Piper L-4 Cub. Ce dernier a été acquis par son propriétaire avant même que celui-ci n’obtienne son brevet de pilote… c’était il y a plus de quarante ans et ils continuent depuis à voler ensemble. Encore une belle histoire !

Le F-BMMH, basé à LFFE et vu ici lors d’un rassemblement de Stampe à Pithiviers en 2013.

La proximité de Roissy constitue à la fois une gêne et une chance pour les opérations à Moisselles. En étant d’usage restreint et avec un trafic limité les problèmes avec les riverains de l’aérodrome sont peu nombreux. Plus étonnant encore,  beaucoup d’habitants du secteur ignorent même qu’il y a un aérodrome là. Ce phénomène pourrait se renforcer avec l’arrivée de nouveaux avions équipés de moteurs Rotax, comme les PS-28 du club, beaucoup plus discrets que les Cessna par exemple.

L’autre intérêt, mineur néanmoins, de l’endroit est d’être parfaitement placé pour admirer les approches des avions de ligne au départ ou à l’arrivée de l’aéroport international et de pouvoir les photographier (avec le matériel adapté !) sans même disposer de la fameuse autorisation préfectorale obligatoire pour les spotters.

Le Boeing 747-8 de l’Emir du Qatar photographié depuis LFFE en septembre 2019. Très longue focale obligatoire quand même !

Un MD-11 cargo sort ses trains à environ 5 nautiques de son arrivée à Paris alors que le soleil se couche.

Mais il existe bien d’autres raisons qui font de cet aérodrome un endroit attachant ; certaines sont tout à fait dénuées d’objectivité… Une question de rencontres, de personnes et de moments aussi sympathiques qu’inoubliables.

Le parking en pente, le taxiway et la 07-25 si particulière de LFFE. Notez l’Extra 200 venu en ami depuis Persan-Beaumont pour la fête aérienne.

On y croise des aviateurs de tous horizons et, c’est sans doute ce qui explique une bonne part de son dynamisme, de nombreux jeunes inventifs et volontaires !

La proximité des avions fait de Moisselles un endroit où les vocations peuvent naître tôt !

Bien sûr, aucune association n’est un monde parfait mais Moisselles, avec sa structure particulière et surtout les nombreuses interactions entre les entités qui partagent ses installations possède de quoi affronter l’avenir la tête haute, susciter des vocations et participer à continuer de faire du rêve de voler une réalité.

Un des Cessna 152 des « Ailerons » en vol non loin de l’aérodrome un soir d’hiver.