Amerrissages (1ere partie)

La sortie du film de Clint Eastwood consacré au Miracle de l’Hudson et surtout à son protagoniste essentiel, le commandant de bord Sullenberger, a remis en mémoire un épisode absolument extraordinaire de l’histoire de l’aviation avec cet amerrissage miraculeux en plein cœur New York. Sur les 155 personnes, équipage et passagers, se trouvant à bord, seule une hôtesse de l’air a été blessée.

Il a été régulièrement répété que cet exploit restait unique dans l’histoire de l’aéronautique, ce qui est, de toute évidence, assez approximatif.

Depuis la seconde guerre mondiale, plusieurs avions de ligne non amphibies se sont retrouvés dans des situations telles que leurs équipages n’ont eu d’autres choix que de tenter l’amerrissage.

Voici quelques exemples historiques ou anecdotiques qui montrent que cette manœuvre n’a rien d’anodin mais que même réussie, le drame n’est pas forcément évité pour autant.

Dans le grand livre de l’aviation, certaines de ces aventures sont entrées dans l’histoire, certaines ont vite été oubliées.

Le cas du Stratocruiser

Si il y a un avion qui a largement fait parler de lui dans ce domaine, c’est bien le Boeing Stratocruiser, avec plusieurs avanies similaires. Ce gros quadrimoteur pressurisé, émanation et cousin du bombardier B-29 de la seconde guerre mondiale, assurait notamment, pour plusieurs compagnie, la liaison vers Hawaï depuis le continent, un vol de 4 000 km sans guère de possibilités de déroutement.

Un stratocruiser aux couleurs de la PanAm. (Photo : Boeing)

Le 26 mars 1955, alors qu’il a décollé de Portland avec 23 personnes à bord à destination d’Honolulu depuis seulement 25 minutes et qu’il se trouve à 55 km de la côte, le Boeing Stratocruiser de la PanAm N1032V rencontre un sérieux problème d’hélice. Le moteur finit par s’arracher, un problème récurrent sur ce modèle d’avion. L’équipage n’a d’autre option que de poser l’avion au plus vite et y parvient sans trop de casse. L’avion flotte une vingtaine de minutes puis coule emportant avec lui deux membres d’équipage et deux passagers. Les survivants ont été récupérés dans leurs radeaux de sauvetage après avoir flotté pendant 3 heures.

A peine un an plus tard, le 2 avril 1956, le Stratocruiser N74608 de la Northwest Orient Airlines décolle de Seattle-Tacoma Intl avec 32 passagers et 6 membres d’équipage en direction de New York via Portland puis Chicago.

Le premier Boeing 377 de Northwest Airlines.

Alors que l’avion atteint tout juste 1500 ft (500 mètres) l’équipage rentre les volets mais l’avion se met à vibrer et embarque sur le côté, laissant penser à une rétraction dissymétriques des surfaces additionnelles. Son quadrimoteur devenu Instable et difficile à maîtriser, le commandant de bord envisage de tenter de le poser sur la base miliaire de McChord à quelques km plus au sud, mais finalement, devant la difficulté à le tenir et pour prendre le moins de risques possible pour son avion et pour les habitants de la région, il fait, finalement, le choix d’amerrir dans le Puget Sound, ce qu’il annonce à la radio.

Un hydravion militaire HU-16 Albatross en vol dans le secteur ainsi qu’une vedette du Coast Guard se déroutent immédiatement dans leur direction. Le Boeing se pose sans trop de dommage dans les eaux glacées. Malheureusement, il coule très rapidement, en moins de 5 minutes, et en dépit de l’intervention très rapide des secours qui mettent à la mer des canots de survie, notamment depuis l’Albatross, 4 passagers et un steward sont portés manquants, sans doute victimes d’hypothermie.

En fait, les vibrations étaient causées par les pétales des volets de refroidissement des moteurs qui étaient restés ouverts. Petite cause, lourdes conséquences. Il y a tout à parier que si cet accident était survenu dans des eaux plus clémentes, le bilan aurait été proche de celui de l’Hudson. Là encore proximité de la côte, les actions du personnel de bord et la rapidité des secours ont largement épargné les vies engagées.

Le miracle du Pacifique

Quelques mois plus tard, le 15 octobre 1956, le Boeing 377 N90943 de la PanAm décolle d’Honolulu à destination de San Francisco. A bord se trouvent 24 passagers et 7 membres d’équipages. Juste à la moitié du trajet, un problème d’hélice survient, le point faible de ce type d’appareil, celle ci étant passée en survitesse et la mise en drapeau ayant échouée le phénomène s’amplifie et l’appareil subit un frein aérodynamique sensible qui entraîne une perte d’altitude hypothéquant les possibilités de rejoindre un aérodrome.

L’avion de la PanAm se présente près du Ponchartrain. (Photo : W. Simpson – US Coast Guard)

Ayant survolé un peu plus tôt le Pontchartrain un navire de l’US Coast Guard de 1500 tonnes et avec 150 hommes à bord, l’équipage fait demi tour et suit le signal de la balise NDB du navire pour le rejoindre. Afin de s’offrir les meilleures chances de réussir son amerrissage, L’équipage décide d’orbiter sur deux moteurs autour du navire jusqu’au lever du jour ce qui leur laissait largement le temps de préparer l’évènement.

Film des opérations de sauvetage enregistré par un membre de l’équipage du Ponchartrain. (US Coast Guard)

Effectué dans les meilleures conditions possible avec une mer peu formée, l’opération se déroule au mieux. Le fuselage de l’avion se brise néanmoins mais l’équipage ayant rassemblé les passagers à l’avant de l’avion, c’est sans conséquence immédiate. L’ensemble des passagers et de l’équipage est récupérés sain et sauf à bord du Pontchartrain. On est là, dans un cas de figure assez proche du Miracle de l’Hudson et pourtant, en plein milieu du Pacifique !

Le Zoulou Sierra d’Air France

Un avanie identique est survenue en 1953 à un Constellation d’Air France. Le 3 août, le L-749 F-BAZS, au cours de la branche Rome-Beyrouth de la ligne Orly-Téhéran subit, en pleine nuit, la perte de son moteur n°3 qui s’arrache de son bâti.

Le Constellation, ici un L-049, est un avion d’une élégance rare dont Air France fut un utilisateur important. (Photo : Air France)

Ne pouvant atteindre un aérodrome de déroutement, le commandant de bord Raymond Terry se rapproche de la côte turque, vers Fethiye, et se pose, sans volet, à moins de 4 km du rivage à proximité d’un phare. L’évacuation des 8 membres d’équipages et des 34 passagers se déroule bien. Un bras cassé pour un steward, quelques contusions pour un mécanicien et une entaille à la tête pour le copilote sont les seules blessures à déplorer. Le radio part à la nage prévenir les secours. L’avion flotte pendant deux heures avant de couler. C’est à ce moment qu’une barque arrive pour repêcher les premiers rescapé, celle du gardien du phare prévenu par le radio. D’autres bateaux arrivent ensuite et récupèrent tout le monde, y compris les courageux nageant un peu partout. Malheureusement, quatre corps sont retrouvés sans vie, flottants dans leurs gilets de sauvetage, victimes d’hypothermie.

Les jets ne furent pas non plus épargnés, plus près de nous, en 1970, aux Antilles, un DC-9 connut un sort peu enviable.

Flight 980

Le 2 mai 1970, le vol 980 de la compagnie ALM Antillea Airlines devait relier New York à Princess Juliana sur l’île de St Martin dans les Antilles. Il était assuré par le DC-9 N395F  et un équipage d’Oversees National Airways.

Un DC-9 aux couleurs d’ONA. (Photo : RuthAS)

La météo était peu engageante avec de forts vents du sud et des orages. 57 passagers se trouvent à bord accompagnés par un  équipage de 6 personnes (3 PNT, 3 PNC). A environ 250 km de l’arrivée, l’équipage est informé des conditions en détérioration à l’arrivée et débute un déroutement vers San Juan. Mais, cinq minutes plus tard, à l’annonce de l’amélioration du temps à St Martin, le commandant de bord décide de revenir vers sa destination d’origine. Ce n’était qu’un petit détour, pourtant il allait avoir de terribles conséquences. A l’approche de l’aéroport Princesse Juliana, la visibilité reste médiocre surtout pour une procédure NDB assez imprécise. Mal aligné à sa première présentation, l’équipage effectue un première remise de gaz. La deuxième approche n’est pas concluante non plus et la troisième est trop haute, il devient donc urgent de se dérouter vers St Thomas, à 200 km de là.

La carte du secteur. Le vol était à destination de St Martin, à l’est. Un déroutement à San Juan, à l’ouest, a été envisagé, puis à St Thomas avant que l’équipage ne prenne la direction de St Croix au sud-ouest, île qu’ils ne parviennent pas à atteindre.

Après quelques minutes, l’équipage constate avec effarement que, contrairement aux calculs établis, il ne semble plus rester que 396 kg de carburant au lieu des 1000 prévus, l’indicateur jauge donnant des informations erratiques. La décision est prise de tenter de se poser sur l’île de St Croix, plus proche. Malgré tout, l’idée de amerrissage finit par s’imposer. Le commandant de bord, ne sachant plus le carburant restant, prend la décision de poser son avion sur l’eau tant qu’il a la maîtrise de son appareil. Il allume le signal « attachez vos ceintures » pour prévenir les passagers mais ce n’est pas suffisant car les PNC ne le remarque pas et plusieurs passagers sont encore debout dans les allées ou ne sont pas attachés sur leurs sièges. Plein volets, le DC-9 se pose a environ 90 kt dans une mer très formée, en panne sèche, les deux réacteurs se coupent quelques secondes avant que l’avion ne touche l’eau.

L’avion sombre rapidement, une dizaine de minutes seulement après l’amerrissage. Néanmoins les 5 radeaux de survie ont eu le temps d’être mis à l’eau. Des avions de secours interviennent rapidement pour larguer des radeaux supplémentaires mais ce n’est qu’une heure et demie plus tard que deux hélicos HH-52 des gardes-côtes arrivent et secourent 11 personnes. Un CH-46 des Marines en treuille ensuite 22 autres. Les derniers naufragés sont récupérés par une nouvelle rotation d’un CH-46. Au total, on dénombre 40 survivants, dont 37 blessés, et 23 disparus engloutis avec l’épave de l’avion ou noyés en attendant les secours. Selon les témoignages des survivants, le nombre de victimes est directement lié à la situation des passagers en cabine avant l’extinction des réacteurs et n’ayant pas été avertis de l’urgence de la situation.

Ce n’est donc pas tant l’accident aérien qui cause le plus de victimes mais bien la situation de naufragés qu’équipages et passagers partagent après avoir, souvent, réussi à poser l’avion convenablement en mer. Et, point important, plusieurs de ces drames éclairent d’une façon plus nette l’importance que les hôtesses et steward peuvent avoir pour préserver des vies, avant comme après l’impact.

Plus récemment, d’autres amerrissages ont eu lieu et n’ont pas toujours eu le retentissement de l’histoire qui a inspiré Clint Eastwood.

(A suivre)

Sully de Clint Eastwood

09-27.fr a eu le plaisir de bénéficier d’une invitation à une des avant-premières du film Sully, réalisé par Clint Eastwood avec Tom Hanks dans le rôle titre. Tiré de l’autobiographie de Chesley Sullenberger « Highest Duty » publié en France  par Harper Collins sous le même titre il se focalise autour de l’évènement principal, le « Miracle de l’Hudson », l’amerrissage en urgence dans l’Hudson de l’Airbus A320 N106US assurant le vol US Airways 1549 le 15 janvier 2009 après une collision aviaire juste après le décollage.

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Film sobre, autant dans la réalisation que dans l’interprétation, Sully se concentre sur les évènements du 15 janvier et leurs conséquences immédiates, c’est à dire la commission d’enquête, indispensable pour faire progresser la sécurité des vols avec un enjeu de taille pour l’équipage : était-il possible de revenir à LaGuardia ou se dérouter vers Teterboro, évitant ainsi à 155 personnes, équipage compris, de s’offrir une belle frayeur et une séance de cryothérapie en attendant l’arrivée des secours, et, pour la compagnie, de perdre un avion d’une valeur de plusieurs dizaines de millions de dollars ?

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Le commandant de bord Sullenberger, incarné par Tom Hanks, attend devant la porte de la salle d’audience du NTSB où son destin va se jouer. (Warner Bros)

Si Sullenberger a été célébré comme un héros alors même que ses vêtements n’avaient pas encore eu le temps de sécher, le film tendrait à démontrer que la FAA et le NTSB ont quand même cherché à savoir si sa décision n’avait pas été la moins bonne. Du coup, le film prend une tournure inédite. Il ne s’agit pas de faire la démonstration que Sully était un pilote hors du commun qui a sauvé par son seul courage l’ensemble de ses passagers et les habitants de la ville de New York mais bien d’expliquer qu’il s’agissait d’hommes, pilotes professionnels, qui n’ont eu que quelques secondes pour prendre une décision, s’y tenir et la réaliser avec la plus grande précision possible.

Piloter, c’est prendre des décisions m’expliquait un ami instructeur. Donc, bien piloter, c’est prendre les bonnes décisions. En tentant une manœuvre risquée, Sullenberger a-t-il vraiment prit une bonne décision, même si tout le monde a été sauvé ?

L’interprétation sobre de Tom Hanks, qui incarne un commandant de bord vieillissant mais très expérimenté, est fascinante. Elle reste très proche de son incarnation du Capitaine Phillips et les similitudes entre les deux histoires ne manquent pas. Aaron Eckhart joue le rôle du copilote Jeff Skiles et, outre une ressemblance physique indéniable, apporte une petite touche humoristique dans un film par ailleurs très sérieux.

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Piloter, c’est prendre des décisions. L’équipage du « Cactus » 1549 a-t-il pris les bonnes décisions ? Tel est l’enjeu du film. Et la réponse est bien moins évidente qu’on ne le pense.

Sur le plan aéronautique ce film fait partie des longs métrages les moins fantaisistes. On est dans la droite lignée du réalisme de Whisky Romeo Zulu d’Enrique Piñeyro, remarquable film de 2004 un peu passé inaperçu malheureusement. On note même que les effets spéciaux permettant de retracer les dernières minutes du vol restent raisonnables, mis à part un dernier virage un peu trop spectaculaire et un son peut-être exagéré.

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Trop souvent oublié, le copilote Jeff Skiles, incarné par Aaron Eckhart, a pourtant joué un rôle essentiel dans ce qu’on appelle désormais « le miracle de l’Hudson. » Le film a le bon goût de ne pas l’avoir oublié. (Warner Bros)

Mais le principal intérêt du film, outre la reconstitution très réaliste de l’accident, est de remettre en perspectives les rôles de chacun pour que le drame soit évité et que le miracle survienne ; excellente interaction des deux hommes dans le cockpit et rôle essentiel des PNC alors que ces dernières ne disposaient que de leur expérience pour comprendre ce qu’il se passait. On ne peut pas blâmer l’équipage de ne pas avoir pris le temps de les prévenir, le temps, c’est un luxe dont ils ne disposaient pas vraiment. Or, bien que forcément un peu chaotique, l’évacuation des 150 passagers par les trois hôtesses, via un nombre de portes de secours limité s’est fait sans casse et sans drame. Cette notion d’équipage, bien mise en valeur par le réalisateur est un des points forts de ce film.

Le réalisateur a aussi eu le bon goût de ne pas chercher à en mettre plein la vue à Hollywood, il est désormais bien au-dessus de cela, et s’en est tenu à 96 minutes de long métrage, ce qui permet de ne pas digresser et de s’en tenir à l’essentiel. Du coup, le rythme du film reste excellent et on ne s’ennuie pas une seule seconde, même si on connaît bien l’histoire !

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Clint Eastwood, légende du cinéma, en discussion avec Chesley Sullenberger, légende de l’aviation devant un DC-3, avion également plus que légendaire ; ça fait beaucoup trop de légendes pour une seule photo, non ? (Warner Bros)

La scène finale, tournée au Musée aéronautique de Charlotte où l’Airbus A320 N106US est finalement arrivé, par la route et avec quelques années de retard sur le planning initial, n’est pas sans rappeler la scène finale de la Liste de Schindler avec une portée émotionnelle bien plus modeste. Mais clore le fil par cette séquence touchante est une bonne façon de rappeler que les faits relatés au cours de ce film demeurent authentiques et il faut reconnaître au réalisateur la force d’avoir su résister aux mauvaises habitudes cinématographiques qui est d’en faire souvent beaucoup trop… pour pas grand-chose !

« Sully » est donc un bon film, sobre, interprété et réalisé avec goût et un indéniable respect de l’histoire originale. Des qualités rares dans le cinéma contemporain !

Un point de vue de pilote sur le film est à retrouver sous la plume de Jérôme Laval dans la Newsletter n°3 de 2016 du California Fire Pilot Association.

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Sully

Réalisé par Clint Eastwood avec Tom Hanks, Aaron Eckhart et Laura Linney

Scénario : Todd Komarnicki

durée : 96 minutes

Budget : 60 millions USD

Distribution : Warner Bros

Sortie en salle le 30 novembre 2016.

 

 

Note 1 : la projection du film s’est faite en VOST. La traduction des sous-titres n’était pas toujours très pertinente. Nous espérons que la VF a pu bénéficier des services d’un conseiller technique pour éviter que des erreurs voire des contre-sens, ne viennent gâcher le plaisir des spectateurs non-anglophones.

Note 2 : En fait la seule « erreur » aéronautique du film se trouve au cours d’un des souvenirs de Sullenberger lors d’une panne en vol à bord d’un F-4 Phantom où son ailier vient inspecter visuellement l’avion avant l’atterrissage. Celui-ci lui signale qu’il y a un peu de fumée… Un Phantom qui ne fume pas, c’est un Phantom… au sol, non ?!