Juillet 2009, la visite du Supertanker en France

Le Supertanker en France ? A vrai dire, personne n’y croit vraiment !

Il en était de même il y a 10 ans alors que le concept de VLAT n’était pas encore parvenu à s’imposer même aux USA. Quand un ami, Dominique, m’a prévenu au début du mois de juillet 2009 que la société Evergreen allait effectuer une visite en France, à Chateauroux, avec son nouveau Boeing 747-100 modifié pour la lutte anti-incendies, j’ai été particulièrement surpris. D’autant plus que le salon du Bourget venait de s’achever : quitte à se montrer en Europe, autant le faire au cours de la grande messe de l’aéronautique ?

Un carton d’invitation particulièrement précieux !

Je suis resté dubitatif jusqu’au moment où on m’a communiqué le carton d’invitation. Effectivement, le 16 juillet 2009, le Supertanker serait en France. Mais la nouvelle ne devait pas être ébruitée. Et le secret avait été bien gardé car jusqu’à l’arrivée de l’avion, l’info ne perça pas. Les réseaux sociaux existaient bien, et Flightradar24 était encore balbutiant…

Le choix de ne pas apparaître au Bourget me semble aujourd’hui cohérent : il est difficile pour les constructeurs d’avions positionnés sur les marchés alternatifs de se faire une vraie place médiatique au Salon du Bourget, même si je n’ai guère de doute sur le fait que le Supertanker aurait fait une très belle vedette pour le show. Mais l’expérience menée par Tanker 10 et son DC-10 en 2005 avait sans doute été prise en considération. Ce sont ces considérations qui ont mené à l’organisation de manifestations spécialisées, les Aerial Fire Fighting Events.

2005, Tanker 10 impressionne le Bourget avec son DC-10 et ses 45 tonnes, alors, d’emport. Mais le maître étalon de la lutte anti-incendie en Europe demeure le Canadair et l’expérience n’aboutit sur aucune expérimentation opérationnelle et encore moins de contrats.

Pour la société Evergreen, le 747 de lutte anti-incendie était alors surtout une grosse dépense car il n’avait pas ramené le moindre cent dans les caisse de l’entreprise ; la participation au Salon du Bourget aurait été d’un budget supérieur à la tournée européenne du Supertanker. Le choix de Chateauroux était aussi logique : un aérodrome plutôt orienté cargo avec une longue piste et un trafic très raisonnable autour, qu’il était possible d’interrompre facilement le temps de la démonstration, situé au centre de la France, ça tombait un peu sous le sens…

La veille, je suis arrivé à Tours pour me faire récupérer par Cyril et profiter lâchement de son véhicule. Passionné de bombardiers d’eau, l’idée de voir le Supertanker sans avoir à traverser l’Atlantique l’avait tout autant surpris que motivé.

Le jour dit, en présence de quelques journalistes spécialisés, de représentants des presses généralistes locales et nationales, de quelques délégations de pompier, en l’absence de toute représentation de la Sécurité Civile, nous constations que le Boeing était bien là. Il s’agissait du Boeing 747-100 N479EV Tanker 979.

On s’active autour du Boeing 747 d’Evergreen.

Après avoir évalué un premier système de largage sur le Boeing 747-200F N470EV Tanker 947 l’entreprise décida de réaffecter l’avion à sa mission première, le transport de fret, vocation opérationnelle première d’Evergreen, et d’utiliser pour la suite du développement du concept de Supertanker un 747-100 plus ancien et à la charge marchande moins élevée.

En l’absence d’un pélicandrome adapté, les 72 000 litres d’eau avaient été pompés par les pompiers locaux avec leur matériel habituel. Il leur avait fallu une demi-journée pour compléter l’opération. De quoi porter préjudice au concept : « Si il faut 8 heures pour le remplir, à quoi peut donc bien servir cet engin ?! » Vu sous cet angle, c’est indéniable, mais on sait, depuis, qu’on peut remplir un 747 bien plus rapidement (1)…

Nous récupérons nos badges et nous sommes rapidement amenés de l’autre côté de la piste pour ne pas être à contre-jour lors du largage comme nous l’avons demandé. Nous nous retrouvons sous les ailes du Boeing 747SP ex-F-GTOM de Corsair, planté là depuis son retrait de service et utilisé pour de nombreux exercices avec les pompiers et même le GIGN.

Le seul et unique Boeing 747SP a avoir volé sous registre français pour la compagnie Corsair a été utilisé pour de nombreux exercices avec des thématiques catastrophe et terrorisme, une retraite utile donc.

On nous donne aussi comme consigne de ne pas prendre en photo les avions cargo qui sont en train de charger du fret à quelques dizaines de mètres de nous, c’est à dire l’Il-76 TN-AFS, le C-130 4178 de l’aviation pakistanaise et un Antonov 12 un peu trop loin pour être identifié.

Vers 10h40, le Boeing 747-100 commence à rouler et décolle face au nord à 10h45. L’appareil s’éloigne un peu et effectue un premier passage face au sud pour prendre ses marques.

Après un premier passage, le 747 vire à gauche pour refaire un circuit et se présenter pour le largage, l’occasion de le photographier sous un angle original et de tester les capacités du Sigma 50-500 ! (focale 500mm recadrée)

Les photographes n’en demandent pas tant et mitraillent tant qu’ils peuvent. Pour l’occasion, j’avais réussi à me faire prêter un Sigma 50-500, première version, sans stabilisation, dont les résultats sur un Nikon D70 furent très honorables ! L’amplitude de ce zoom m’a permis de photographier l’ensemble de l’opération sans avoir à changer d’objectif…

A 10h53, le jumbo est de retour et débute son largage. Les 72 000 litres d’eau sont déversés en tout juste 20 secondes. Le N479EV Tanker 979 se pose finalement à 11h01.

16 juillet 2009, 10h53 locales, un Boeing 747 arrose la pelouse de l’aéroport de la préfecture de l’Indre ! Étonnant, non ? (focale 50mm recadrée)

Une conférence de presse est organisée ensuite dans les locaux de l’aéroport. Après une présentation formelle du concept pendant quelques minutes, les responsables d’Evergreen répondent aux nombreuses interrogations des journalistes et des délégations par le truchement d’un interprète qui, tout au long des débats a confondu US Forest Service et US Air Force…

Après la démonstration en vol du Supertanker, la conférence de presse.

Je dois bien avouer que je faisais partie des personnes que le concept de VLAT laissait dubitatives. Mais les explications d’Evergreen étaient claires : le 747 n’était que la pièce la plus grosse dans la boîte à outil des moyens de lutte anti-incendies. L’appareil n’était pas conçu pour se substituer aux aéronefs habituels, mais pouvait constituer une arme décisive pour les opérations les plus importantes. Rapide, capable d’être déployé rapidement partout autour du monde et une capacité d’emport inégalée, le Supertanker avait effectivement des arguments à faire valoir. Même son coût n’est pas absolument délirant si on prend en compte ses capacités réelles.

On se presse pour accéder au plus imposant appareil de lutte anti-incendie de son époque !.

Nous sommes ensuite conviés à visiter l’avion et c’est là que nous découvrons l’étonnant agencement des citernes de mise sous pression du système à l’intérieur du pont principal du cargo et le cockpit étroit du Boeing.

L’aménagement particulier du système de largage sous pression du Supertanker.

Bonne surprise, au moment où nous quittons l’appareil, un autre Boeing 747 attire notre regard. Il s’agit du Boeing 747SP VP-BAT du Qatar qui effectue devant nous une longue série de touch & go. Même si il est encore largement à contre jour, immortaliser cet appareil – que j’aurais la chance de revoir au Bourget à plusieurs reprises – est un vrai plaisir et un petit bonus à cette journée quasi parfaite.

Deux Boeing 747SP sur une seule photo, une occasion rare !

Après une courte étape chez Dominique pour nous restaurer, nous repartons vers Tours. Cyril me lâche à Saint-Pierre-des-Corps où j’arrive à attraper un TGV pour Paris.

Deux des marques portées par le 747-100 d’Evergreen

Bien évidemment, cette visite ne passa pas inaperçue. Le Supertanker fit l’ouverture du JT de 20 heures du TF1 mais comme c’est devenu habituel il fut comparé au Canadair et à aucun moment le mot retardant ne fut prononcé. Les gens d’Evergreen avaient pourtant insisté sur l’usage des produits spécialisés mais pour de simples histoires de coûts, toutes les démonstrations de Tanker ne sont jamais effectuées qu’à l’eau claire ce qui fausse la perception de son usage réel aux observateurs les moins avertis.

Le lendemain l’appareil a décollé pour l’Espagne, à Ciudad Real. Sur un feu dans la région de Cuenca, 5 pompiers sont tués. Le 22, le 747 effectue son premier largage opérationnel, à l’eau, sur ce même incendie. Considérée comme décevante, les pompiers espagnols décident de ne pas renouveler l’expérience. L’appareil s’envole alors vers l’Allemagne où il effectue une nouvelle démonstration, à Francfort-Hahn, le 24. A la fin du mois, il effectue une première mission en Alaska, illustrant au passage ses capacités à intervenir rapidement sur des secteurs très éloignés.

Nous sommes 10 ans plus tard. Evergreen a fermé ses portes et le système qui était embarqué à bord du 747-100 se trouve désormais à bord d’un 747-400 qui multiplie les interventions sur plusieurs continents depuis son entrée en service. Les temps ont changé…

La dérive du 747-100 frappé de son indicatif.

il reste que le Supertanker est bien venu en France… et nous y étions !

 

(1) Au USA, le temps de remplissage du Boeing 747-400 est d’environ 30 minutes. Le record a été établi au Chili avec 12 minutes 59 secondes. En Bolivie, le record a été de 18 minutes.

La renaissance du Boeing 747 Supertanker

Lorsque la compagnie Evergreen International a cessé son activité en décembre 2013, le Supertanker, alors stocké à Marana, à mi chemin entre Tucson et Phoenix dans l’Arizona, avait pourtant reçu la promesse d’un contrat en « Call When Needed » – activable en cas de besoin – de la part de l’US Forest Service. Or, ces dernières années, les VLAT activés en CWN n’ont vraiment pas manqué de travail. A l’issue de ces saisons difficiles des contrats d’emploi exclusifs, plus rentables encore, les attendaient parfois.

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Vue d’artiste du nouveau Supertanker, diffusée au moment du lancement du projet. Prévu pour être le Tanker 947, l’avion porte désormais le numéro 944 (GSS)

Pour que le Boeing 747-100 Tanker 979 puisse reprendre l’air, et se porter candidat à ces différents contrats, il lui fallait subir une opération de maintenance de type C nécessitant une inspection complète de la cellule, de la motorisation et des systèmes de pilotage. Il fallait aussi lui retrouver plusieurs réacteurs. Le coût de ces opérations, estimé à un million de Dollars, avait conduit Evergreen à repousser l’opération de quelques mois. On sait ce qu’il est arrivé alors. L’avion est donc resté à Marana, attendant que les avoirs de son ancien propriétaire soient liquidés aux enchères.

Or, les termes du possible contrat USFS, accordant à cet avion 75 000 $ par jour d’activation et 12 000 $ par heure de vol effectuée – le coût du retardant et du carburant étant pris en charge directement par l’organisme fédéral – et même si les promesses de l’USFS sont souvent très fluctuantes, étaient particulièrement attractifs.

Une nouvelle société, portée par plusieurs anciens de la société Evergreen, souvent très impliqués dans le projet Supertanker, voit le jour ; Global SuperTanker Services. Lors de la liquidation d’Evergreen elle se porte acquéreur du système de largage pressurisé du Boeing 747, des réserves de pièces de rechange et les brevets afférents. Elle jette aussi son dévolu sur un appareil plus récent, plus performant et plus moderne. Ainsi, le nouveau Supertanker, le troisième du nom, est un Boeing 747-400.

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le Boeing 747-446 JA8086, futur Supertanker de 3e génération, se pose à Hong Kong le 12 août 2010. (Photo : Peter Bakema)

Le N744ST (c/n 25308, 885e 747 produit) a été construit en 1991 comme Boeing 747-446 Il fait son premier vol le 25 octobre 1991 avant d’être livré à Japan Airlines le mois suivant où il vole sous l’immatriculation JA8086 jusqu’en 2010 en configuration passagers. Il est revendu sous l’immatriculation N238AS à AerSale Inc, une société spécialisée dans le marché des avions d’occasion, qui place ensuite l’avion chez Evergreen International après sa transformation en Boeing 747-446(BCF) cargo en 2012, immatriculé N492EV. L’avion est stocké à Victorville à partir de novembre 2013 en raison de la cessation d’activité de son exploitant et jusqu’à son rachat par Global Supertanker Services.

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Devenu un Boeing 747-446(BCF) et immatriculé N492EV, l’appareil est stocké à Victorville en Californie à partir de novembre 2013. (Photo : Sawas Garozis)

La compagnie explique le choix du 747-400 par la modernité de cet appareil et ses performances. Plus de 25 ans après son lancement, l’appareil entre aussi dans la période charnière où les grande compagnies commencent à s’en séparer et que des cellules avec un certain potentiel deviennent vraiment abordables sur le marché de l’occasion.

En effet, le N744ST a accumulé 75 000 heures de vol au cours de sa carrière. Bien entretenu, un Boeing 747-400 peut atteindre sans problème les 100 000 heures, il lui reste donc un potentiel d’environ 25 000 heures. Sachant qu’il est très rare qu’un Tanker dépasse les 500 heures de vol annuelles ; en théorie, il pourrait être donc opérationnel plusieurs décennies.

Équipé de moteurs plus modernes et plus puissants que les deux précédentes versions du Supertanker, le nouvel appareil peut décoller à la masse, maximale, de 400 tonnes, un chiffre qui sera rarement atteint au cours de sa nouvelle carrière. Il va disposer d’un rapport masse/puissance assez favorable et dont l’utilité en mission semble évident. Cette relative modernité se traduit également par des processus de maintenance plus rationnels ce qui ne manquera pas d’influer sur les temps d’immobilisation et donc sur le coût de ces opérations vitales.

Le Boeing 747-400 dispose également d’un « glass cockpit », disposant des outils standards de pilotage, de navigation et de gestion des systèmes, conçu pour être exploité par un équipage de deux hommes seulement, là où les précédentes versions du Supertanker exigeaient en plus la présence d’un technicien navigant afin de faire face à l’importante charge de travail requise par les appareils construits jusque dans les années 80.

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Grâce à son cockpit plus moderne – ici celui du JA 8071, sister-ship du Tanker 944 – dont les écrans permettent à l’équipage d’afficher les informations et d’intervenir sur les systèmes au moment opportun, le 747-400 n’a plus besoin que d’un équipage de deux hommes pour voler. (Photo : Norio Nakayama)

Racheté par GSS l’avion est entré rapidement en chantier de maintenance type C directement à Victorville en Californie. Le 23 janvier 2016, l’avion est convoyé jusqu’à Marana, en Arizona, pour entrer en atelier de peinture d’où il ressort fin février recouvert d’une seyante décoration moderne, rutilante et spectaculaire. C’est à Marana que le système de largage est récupéré et installé puis l’appareil repart pour sa base définitive à Colorado Springs.

L’avion est présenté en public pour la première fois le 22 mars 2016 à Sacramento, au cours de la conférence Aerial Fire Fighting organisé sur l’aérodrome de McClellan, dont il a été la grande vedette.

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Le Boeing Supertanker de GSS sur le parking de McClellan à Sacramento en mars 2016 pour la conférence Aerial Fire Fighting. (Photo : Jim Dunn)

Au cours de l’histoire du Supertanker, deux systèmes de largage ont été construits et installés sur les deux précédents appareils. Le premier, en acier, était palettisé  afin de pouvoir être installé ou retiré facilement du Boeing 747-200F porteur grâce à sa porte cargo de nez et lui conserver ainsi une vraie polyvalence. Lorsqu’il s’est agit de basculer le concept vers un 747-100, Evergreen a fait concevoir un deuxième système de pressurisation et de largage en aluminium, plus léger, et sans palette, installé à demeure grâce à la porte cargo latérale. Au moment où le Boeing 747-100 a été placé en stockage, le système a été ôté de l’avion, mais lors de la liquidation d’Evergreen il n’a pas été retrouvé ! (1)

Lorsque GSS s’est porté acquéreur des brevets Evergreen, c’est le système initial, toujours stocké à Marana, qui a été acquis. C’est donc celui-ci qui est désormais installé à bord du 747-400. Il a été modifié par la suppression des palettes mais contient toujours 75 000 litres.

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Schéma de principe du premier système de largage du Supertanker installé sur le Boeing 747-200 à partir de 2005. C’est ce système qui a été récupéré et modifié pour être installé à bord du 747-400.

Comme le système de largage a été déjà validé par la FAA et par l’Interragency Airtanker Board du Forest Service, le processus d’acceptation de l’appareil pourrait être rapide et l’avion se porter candidat aux opérations dès cet été. Dans ce cadre, les premiers largages au sol ont été effectués le 30 avril.

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Le 30 avril 2016, le Tanker 944 procède aux premiers essais de largage au sol. (Photo : GSS)

Le lendemain, l’avion a effectué son premier vol d’essais et son premier largage.

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Premier largage d’essais du Tanker 944, le 1 mai 2016. (Photo : GSS)

Ce nouvel avion dispose également d’un potentiel évolutif non négligeable. Pour son utilisation opérationnelle, le Supertanker ne dépend pas seulement d’une station de remplissage installée sur un aérodrome disposant d’une piste assez longue et assez solide pour le recevoir, mais aussi de la présence d’un compresseur d’air indispensable à la mise en œuvre du système de pressurisation du largage. GSS envisage donc d’installer deux compresseurs internes afin de rendre l’appareil totalement autonome sur ce point.

Lors de la présentation du deuxième Supertanker à Châteauroux en juillet 2009, les équipes d’Evergreen avaient déjà annoncé songer à une utilisation nocturne du Boeing 747 grâce à sa capacité de larguer plus haut que les avions plus conventionnels, lui permettant ainsi de s’affranchir des risques liés à la proximité du terrain. GSS suit également cette voie et des études préliminaires ont déjà été effectuées en ce sens, notamment en se servant de la longue expérience accumulée par les pilotes des voilures tournantes du Los Angeles Fire Department rompus à cette discipline depuis de nombreuses années. Pour une utilisation du Supertanker en VFR de nuit, plusieurs pistes sont envisagées comme l’installation d’un EVS ou l’adaptation du cockpit à l’utilisation de jumelles de de vision nocturne. Aucune décision n’a toutefois été prise pour le moment et cette évolution est une prévision, de toute façon, à long terme .

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Exemple d’Enhanced Vision System, le « Clear Vision (TM) » d’Elbit Systems. (Photo : Elbit Systems)

Car une question essentielle doit d’abord être tranchée : est-ce que l’USFS, qui est toujours en léger déficit d’avions de lutte anti-incendie, tiendra les promesses faites en 2013 ? C’est là le nœud du problème.

Global-SuperTanker-logo1 500 pixL’expérience préalable d’Evergreen a fait la démonstration qu’il était très difficile à un avion aussi imposant de trouver des missions à sa hauteur. Cependant, les récents incendies dans l’ouest de les USA, et la saison 2015 a été particulièrement difficile sur ce point, ont entraîné une utilisation intensive des Very Large Air Tankers, en particulier des trois DC-10 de 10 Tanker, qui à défaut de se montrer décisifs, se sont montrés particulièrement utiles.

Le Boeing 747-400 peut-il s’inscrire dans cette logique ? Le Forest Service sera-t’il sensible aux arguments de GSS ? Les semaines à venir risques d’être cruciales pour le développement de ce passionnant projet.

(1) Il aurait été récupéré depuis.

Le Boeing 747 Supertanker d’Evergreen

Au début des années 2000, aux USA, la période est propice à l’émergence d’une nouvelle génération d’avions de lutte anti-incendie. Alors que les feux semblent n’avoir jamais été si nombreux et si importants, l’interdiction soudaine des C-130A Hercules et des PB4Y Privateer, à la suite de deux accidents tragiques lors de l’été 2002, entraîne, deux ans plus tard, le bannissement définitif de nombreux types d’appareils considérés désormais comme dépassés. Cette situation sert de point de départ au lancement de plusieurs projets de modifications d’avions pour la lutte anti-incendie dont deux d’une capacité sans commune mesure avec les aéronefs alors en service.

D’un côté la compagnie 10 Tanker  procède à la mise au point et à la mise en service d’un DC-10 doté d’une soute de 45 000 litres, de l’autre, la compagnie Evergreen International va encore plus loin avec un Boeing 747-200 cargo doté d’un système de largage de 19 600 gallons US soit environ 75 000 litres. Ces deux types d’avions ont entraîné la création d’une nouvelle catégorie dans la classification des avions de lutte anti-incendie aux USA, les VLAT, Very Large Air Tankers.

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En haut, deux montages préfigurant le Supertanker en action. En bas, deux photos du 747-273C N470EV lors de ses premiers essais de largage, alors qu’il conserve encore la livrée Evergreen International habituelle. (Evergreen Supertanker)

Evergreen International n’est pas tout à fait un nouveau venu dans ce business. Dans les années 70 et 80, avant de se spécialiser dans le fret avec une importante flotte de Boeing 747 cargo, cette compagnie de travail aérien a exploité des B-17 Flying Fortress et P2V Neptune tankers sous contrat avec l’US Forest Service. Evergreen conserve alors aussi une branche hélicoptères de travail aérien dont les S-64 Skycrane peuvent être utilisés comme bombardiers d’eau. Cette entreprise, avec une vraie expérience et une vraie histoire dans le domaine de la lutte contre les feux, tente donc un come-back tonitruant. Un budget de 40 à 50 millions de dollars est alloué à ce projet, essentiellement pour la conception et la fabrication du système de largage pressurisé qui fait l’objet de plusieurs brevets successifs en fonction de ses évolutions.

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Une fois certifié, le premier Supertanker, le Boeing 747-273C immatriculé N470EV, devint le Tanker 947. Sa dérive fut alors peinte en conséquence et le nom Supertanker ajouté sur le fuselage. (Photo : Scott Wright)

Le premier système conçu est installé sur des palettes mobiles afin de pouvoir, comme un MAFFS, être facilement ôté de la soute d’un Boeing 747-200 cargo par son nez ouvrant, même si une modification importante de l’avion porteur reste nécessaire avec l’installation à demeure sous le fuselage, des quatre buses de largage.

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Les quatre buses de largage du Supertanker.

La complexité d’un système pressurisé, par opposition aux systèmes conventionnels et à débit constant, est compensé par la relative étroitesse de la zone à modifier sur la structure de l’avion pour installer les quatre buses de largage.

La force de l’impact de la charge et l’empreinte du largage font cependant l’objet d’importants débats, de même que le comportement d’un avion aussi imposant à basse altitude. Evergreen répond en expliquant que contrairement aux autres appareils obligés d’être très bas (30 à 50 mètres en fonction des circonstances) pour larguer, la pression du système adopté sur le Supertanker l’autorise à le faire depuis une hauteur de 250 mètres, ce qui est cohérent pour une utilisation en attaque indirecte ou semi-directe au retardant. Cette capacité, toujours selon la compagnie, ouvre alors la perspective d’une possibilité d’utilisation nocturne de l’appareil, bien qu’aucune expérimentation pratique ne soit prévue alors à moyen terme.

Evergreen insiste surtout sur la polyvalence de son avion, capable de poser d’importantes charges de retardant contre des feux, mais susceptible de pouvoir faire de même avec les produits dispersants utilisés lors des marrées noires par exemple.

Le premier avion modifié avec ce système, le Boeing 747-273C immatriculé N470EV, effectue ses essais préliminaires en 2004 sur une zone aménagée au nord de l’aéroport du Pinal Park à Marana dans l’Arizona et donne satisfaction à ses commanditaires.

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Au nord du Pinal Park, entre Tucson et Phoenix dans l’Arizona , une zone rectangulaire de 2 km de long a été aménagée pour l’analyse des largages du Supertanker. (Google Earth)

La certification est obtenue en 2006 et sa première présentation publique a lieu la même année, au mois de mai, à Sacramento en Californie. C’est la première d’une longue série qui a pour but de faire connaître l’appareil et ses capacités aux décideurs des différentes administrations susceptibles de louer cet appareil imposant et néanmoins coûteux. Mais l’avion ne parvient pas à décrocher le moindre accord.

Devant cette situation qui perdure Evergreen prend la décision, autour de 2008, de réaffecter le N470EV à des vols cargos et d’utiliser un Boeing 747-100, plus ancien et moins rentable pour le transport de fret pour poursuivre l’aventure Supertanker.

Le deuxième Supertanker, le Boeing 747-132C, immatriculé N479EV, Tanker 979

C’est le Boeing 747-132C N479EV, construit en 1970 et utilisé par China Airlines et PanAm avant d’être converti en cargo en 1984, qui est choisi. Il devient donc le Tanker 979 fin 2008 lorsqu’on lui installe un système de réservoirs et de largage dérivé du modèle précédent, allégé par la suppression du système de palettes et avec des réservoirs améliorés.

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Le système de réservoirs sous pression du Supertanker.

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Schéma de l’aménagement général du système embarqué à bord du Supertanker 979. Extrait du  brevet déposé par Evergreen en 2008. Légende : 30 = réservoirs de retardant. 46 = accumulateurs d’air pressurisé. 5 = alimentation sous pression. 5 = buses de largage.

En mars 2009, le nouveau Supertanker obtient l’approbation de l’Interagency Tanker Board, l’organisme  en charge d’évaluer les appareils candidats aux contrats saisonniers de lutte contre les feux aux USA.

Avec l’objectif de décrocher des contrats en dehors des USA, l’avion effectue une tournée de démonstration qui débute à Chateauroux le 16 juillet 2009. L’avion est ensuite présenté le 21 juillet à Ciudad Real en Espagne. Les pompiers espagnols étant alors aux prises avec un feu important, qui venait de tuer cinq des leurs, l’appareil effectue alors son premier largage opérationnel dans la région de Cuenca. Ensuite, le Supertanker effectue une dernière démonstration à Francfort le 24. A peine rentré sur le continent américain, il est amené à intervenir sur un immense feu dans la région de Fairbanks en Alaska le 31, faisant ainsi la démonstration d’une véritable capacité intercontinentale. A la fin de l’été, il est également sollicité pour participer à la lutte contre les feux qui touchent la région de Los Angeles.

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Le Boeing 747-100 Tanker 979 garé devant la tour de contrôle de Chateauroux le 16 juillet 2009.

En décembre 2010, Il intervient en Israël lors du terrible feu du Mont Carmel, dans lequel 40 personnes ont perdu la vie, puis, en avril 2011, il est engagé au Mexique pour combattre des feux dans la province de Coahuila.

L’appareil est ensuite arrêté de vol faute de nouveau contrat. Le PDG d’Evergreen publie alors une lettre ouverte dans laquelle il critique vigoureusement le manque de soutien de l’US Forest Service alors même que l’organisme fédéral est confronté à un grave déficit d’avions opérationnels et que la situation sur le front des incendies, notamment dans l’ouest du pays, est intenable. Le Supertanker semble alors promis au parc à ferraille, ses réacteurs ayant même déjà été retirés pour servir à d’autres avions de la compagnie ou être revendus.

Mais au début de la saison 2013, l’USFS, annonce officiellement accorder au Supertanker un contrat en « Call When Needed » de trois ans. Un tarif prévisionnel est également annoncé, soit 75 000 $ par jour d’activité plus 12 000 $ par heure de vol effectuée.

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Le Boeing 747 Supertanker stocké à Marana, trois réacteurs en moins, en 2014. (Google Earth)

Finalement, devant le coût de la remise en état de son appareil, que la compagnie estime alors à un million de Dollars, Evergreen décide de repousser l’opération en gardant pour objectif de rendre l’avion opérationnel pour la saison 2014.

Malheureusement, Evergreen, dont l’activité cargo est alors essentiellement consacrée au rapatriement du matériel militaire américain depuis l’Irak et l’Afghanistan, est directement victime du « shutdown »  budgétaire américain de 2013. Privé de ses contrats avec le Department of Defense, la compagnie cesse son activité à l’automne. En faillite, elle est liquidée au mois de décembre. Le Supertanker reste alors stationné à Marana dans l’Arizona, dans un coin de l’aéroport, aux côtés d’autres avions désormais en attente d’une décision sur leur sort.

Si l’histoire du Supertanker selon Evergreen s’arrête là, celle d’un Boeing 747 de lutte anti-incendie continue pourtant avec la création d’une nouvelle société dont l’objectif  est de poursuivre cette aventure.

(à suivre)