Feux en Californie, un pilote témoigne !

Dans son émission de du 12 novembre 2018, Matthieu Belliard, sur Europe 1, a reçu Jérôme Laval, pilote du Cal Fire, de retour en France après sa saison mais sur le point de redécoller en direction de Santa-Rosa, sa base d’affectation, afin de prêter main forte à ses collègues engagés dans la lutte contre le « Camp Fire » au nord, qui est devenu le feu le plus mortel de l’histoire de la Californie avec une quarantaine de victimes à l’heure actuelle, et le « Woolsey Fire », au sud.

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L’intervention qui nous intéresse débute à 11″28 et s’achève à 19″10, en voici la retranscription pour ceux qui auraient envie d’aller au principal rapidement :

Jérôme, à bord de son avion, au-dessus de la Californie.

Speak : Il est français, pilote de bombardier d’eau et de retardant, il repart en Californie, vous entendrez Jérôme Laval sur Europe 1 !

Matthieu Belliard : Vous avez forcément vu ces images, peut-être sur les chaînes d’information, la Californie et ses incendies, d’abord autour de Paradise, on est à une heure et demie au nord de San Francisco, puis la région de Malibu. On est sur un bilan d’une trentaine de morts, le bilan le plus lourd aux États-Unis depuis 1933 et pour parler de ces incendies, je vous propose un invité qui est avec nous en studio, Jérôme Laval, bonsoir !

Jérôme Laval : Bonsoir !

MB : Bienvenue dans les studios d’Europe 1, vous êtes pilote de Canadair, d’avions bombardiers aux États-Unis.

JL : Pas vraiment des Canadair, c’est des Tracker, c’est pas exactement la même chose mais on fait partie de la même équipe, c’est à dire qu’on est en avion et qu’on essaye d’aider les pompiers au sol à se battre contre les feux.

« Pas vraiment des Canadair, c’est des Tracker, c’est pas exactement la même chose ! »

MB : Vous êtes français, mais vous travaillez aux États-Unis comme saisonnier ?

JL : C’est ça, je fais ça depuis 23 ans et les saisons, je m’aperçois qu’elles durent de plus en plus longtemps. Au départ, c’était trois, quatre mois, et maintenant, on en est à six, sept mois d’affilé ! Et avec ce qu’il se passe en ce moment, en fait, c’est une répétition, un peu, de l’année dernière, où les feux les pires arrivent en fin de saison voire même au début de l’hiver, novembre, voire décembre.

MB : vous y étiez, aux États-Unis, il y a encore une dizaine de jours, une semaine…

JL : une semaine !

MB : et là, on vous a rappelé pour y retourner en fin de semaine.

JL : oui, parce que les pilotes tournent et donc, voilà, faut que j’y retourne !

MB : parce qu’ils ont besoin de renforts !

JL : oui, tout à fait !

MB : ça veut dire aussi qu’on sait déjà qu’aujourd’hui lundi qu’on aura encore besoin de vous en fin de semaine ?

JL : probablement, je dirai deux-trois semaines facile !

MB : deux trois semaines ?!

Carte du « Red Flag Warning » diffusé par le Cal Fire pour la journée du 12 novembre 2018. Les zones en rouge sont en risque majeur d’incendie.

JL : En fait, la clé : ils attendent la pluie ! Tant qu’il n’y a pas la pluie ils vont armer tous les avions pour être prêts pour attaquer ces feux-là, plus les autres. Il y a ce qu’on appelle un « red flag warning » sur toute la Californie. Ils attendent du vent. C’est un « Mistral » en gros, qui n’arrange rien à la situation, qui en fait est le déclencheur principal de ces feux.

MB : Est-ce que vous avez, parce que nous, nous sommes très impressionnés par les images qu’on voit ici, est-ce que vous avez déjà vu des incendies de ce genre dans le cadre de vos missions ?

JL : Oui, oui !!

MB : C’est toujours similaire, toujours aussi impressionnant ?

JL : Tout à fait !

MB : On a des témoignages de pompiers au sol qui sont poignants, qui sont touchants parce que là, on parle de vies humaines, on voit des maisons calcinées, des zones résidentielles complètement détruites !

JL : Moi, j’ai habité Paradise pendant deux ans. J’ai appelé un copain, qui répondait pas. Et puis finalement il a fini par répondre. Il m’a dit : « je suis parti avec ma famille, on est monté dans la voiture, on est parti, la maison était en feu, donc on a tout perdu sauf les vêtements qu’on portait. »

MB : Dans ces cas là, dans ces cas là on part ?

JL : On part !

MB : on ne se pose pas de question ?!

JL : le feu va tellement vite, c’était trois ou quatre terrains de foot à la minute, donc ça va très vite.

MB : Alors, vous, normalement;  vous travaillez sur une certaine saisonnalité et là, si ils vous rappellent, est-ce que ça veut dire que cet incendie-là, normalement, ne devrait pas avoir lieu au mois de novembre, mi novembre ?

JL : En fait, je dirais, depuis 2014/2015, il y a un changement et les saisons qui étaient typiques qui sont en train de changer et elles sont en train de s’allonger. On ne commence plus en juin mais en mai, on ne finit plus en octobre mais en novembre-décembre, dans le nord de la Californie. Dans le sud de la Californie, les pilotes sont à l’année. Depuis deux ans, il restent à l’année.

L’Arsenal du Cal Fire comprend aussi les OV-10 Bronco, qui ont un rôle primordial dans les missions de lutte contre les incendies en assurant la coordination des moyens terrestres et aériens.

MB : on a besoin d’eux tout le temps !?

JL : tout le temps !

MB : on risque ce genre d’incendie 12 mois sur 12

JL : tout à fait. Ce qui est intéressant, c’est qu’au début de cette année, j’ai beaucoup volé. Je suis dans le nord, j’ai beaucoup volé, sur plein de feux, alors que dans le sud, c’était très calme. Jusqu’à la semaine dernière. Jusqu’à ces feux de Malibu.

MB : De votre expérience, d’ailleurs, je voulais vous poser la question, est-ce qu’on travaille différemment aux États-Unis qu’en Europe ?

JL : Avec la France, la Californie a la même doctrine, la même philosophie d’attaque initiale c’est à dire des avions qui réagissent très vite, et on arrête les feux dans les 5, 10 ha. 97% des feux sont arrêtés à moins de 10 ha. Mais ça, on en entend jamais parler, et d’ailleurs, c’est très bien.  C’est à dire que le job est fait, pas de problème ! Les trois pour cent, c’est les feux catastrophe, c’est le ras de marrée, c’est la catastrophe, donc là…

MB : … On perd le contrôle !

JL : C’est la nature qui prend le contrôle surtout, et nous, on fait ce qu’on peut !

MB : La nature… Et on entendu aussi, aux USA, que Donald Trump commence à s’agacer un petit peu auprès des organisations fédérales, de mettre en cause un peu l’organisation, que ce soit dans la gestion des forêts ou dans la gestion écologique sur place ?!

JL : Aux États-Unis, c’est pas comme la France ; Donald Trump, c’est pas comme le Président Macron, les États-Unis c’est plus une fédération. Le Gouvernement, c’est le gouverneur de Californie, c’est l’équivalent du Président. Sa « Sécurité Civile », en Californie, moi, je pense qu’elle est bien, et en plus elle est en train de s’équiper avec des avions plus gros (NDT : Les C-130 ex Coast Guard/USFS) et changer les hélicoptères, donc ils vont dans le bon sens. Évidemment, comme c’est un État c’est difficile à gérer, l’anticipation n’est pas forcément là, et donc, il sont un peu en retard, mais comme tout le monde, comme tous les états en fait.

MB : Est-ce qu’il n’y a pas un problème avec toutes ces sécheresses à répétitions, un problème de gestion des forêts. En Californie, est-ce que ce débat-là existe ?

JL : Oui, ça existe, effectivement, les américains sont pro-nature, donc ils veulent laisser les forêts telles quelles. Je sais qu’en France, on fait très attention, on nettoie les forêts  beaucoup plus qu’aux États-Unis, et voilà, c’est un choix. Soit on laisse la forêt telle quelle et on risque des feux, soit on habite au milieu avec le risque de voir sa maison brûler soit…

MB : notre correspondant, Benoit Clair, qu’on entendra un peu plus tard dans ce journal, me disait que certains assureurs ne veulent plus assurer des maisons qui sont près de la forêt.

JL : C’est le grand débat actuel en Californie, c’est à dire que maintenant, les assureurs, je pense, vont faire le tour de chaque maison et vont dire: « maintenant, si vous ne coupez pas tel arbre, tel arbre, tel arbre, on assure pas la maison, les arbres sont trop près. » Les maisons sont en bois, déjà y’a un côté..

MB : classiquement…

JL : …anti-sismique, car c’est un pays où il y a des tremblements de terre, donc, c’est compliqué !

MB : Dernière question, Jérôme Laval, sur votre métier, du danger qu’il représente : est-ce qu’il y a beaucoup de pertes chaque année,dans les pilotes. Les hommes au sol, évidement, on le sait, on le déplore…

JL : Alors effectivement, moi, j’ai perdu de très bons copains. En France aussi. C’est un métier, je dirais, « à risque », c’est à dire que ce n’est pas la guerre, les missions de guerre, là, y’a du danger, y’a des gens qui veulent vous tuer, c’est autre chose. C’est risqué, c’est à dire qu’il ne faut pas faire d’erreur, et les marges d’erreur, elles sont assez faibles, donc on s’entraîne beaucoup, on recrute des gens expérimentés, et on les forme. On regarde que les gens, que les pilotes, fassent leur métier du mieux possible, on ne prend pas des gens tout fous, on prend des gens qui ont la qualité de regard, de recul, et en même temps d’action.

Le Tanker 85, l’avion de Jérôme, face au 747 Supertanker, également engagés par le Cal Fire. Ces deux appareils ont un rôle complémentaire, attaque initiale pour l’un, appui massif pour l’autre.

MB : Merci beaucoup Jérôme Laval, on a profité de votre venue dans les Studios d’Europe 1, de votre présence sur le sol français, puisque Jérôme vous le disait, il est rentré il y a une dizaine de jours et repart déjà pour les États-Unis à la fin de la semaine. (…) Merci mille fois Jérôme Laval !

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