Le Walt Darran International Aerial Firefighting Award 2016

Au cours du traditionnel dîner de gala offert aux participants de la conférence Aerial Firefightin 2016 à Sacramento, c’est Jim Cook qui a été distingué par le 3e Walt Darran International Aerial Firefighting Award.

En 2001, à la suite d’une tragique collision qui a entraîné la mort de deux pilotes de Tracker du California Fire Department, aujourd’hui Cal Fire, Jim Cook a défini le FTA, Fire Traffic Area, un système simple d’espace aérien afin de permettre aux équipages des différents aéronefs impliqués dans les opérations sur un incendie de ne pas interférer les uns avec les autres et d’éviter ainsi les risques de collision en vol. Ce système a été adopté ensuite pour toutes les opérations anti-incendie au USA.

FTA schema

FTA – Fire Traffic Area (pdf 150 ko)

Ancien pilote de Tanker lourd, notamment sur Privateer puis au Cal Fire, et instructeur sur Tracker, Jim Cook est considéré comme une des grandes « pointures » du milieu. Natif du nord de la Californie, il apprit à piloter en tenant compte des spécificités météorologiques du secteur et avait déjà montré son esprit novateur en créant des procédures spécifiques pour la piste de Fortuna-Rohnerville, rendue souvent difficile d’accès par de rapides entrées maritimes. Qu’il soit à l’origine de procédures globales pour les zones d’opérations ne surprend donc personne et son indéniable apport à l’amélioration de la sécurité des opérations aériennes de lutte anti-incendie se voit enfin officiellement récompensé.

Tanker

Un feu dans la région de Santa Rosa en 2016 : en plus du DC-10 Tanker 911, on note la présence de deux OV-10 du Cal Fire (AA140 et A430), du BAe 146 Tanker 41 et du CH-47 Helitak 279 ainsi que deux hélicoptères de News TV. Avec des aéronefs aussi différents, le respect de la FTA est un élément de sécurité désormais indispensable.

En 2017, la conférence AFF devrait se dérouler à Nîmes. Le Walt Darran International Firefighting Award pourra récompenser un acteur européen ayant agit significativement pour l’amélioration de la sécurité et des conditions de travail des aviateurs des bombardiers d’eau européens. Les candidatures peuvent être signalées dès à présent à l’organisateur, la société britannique Tangent Link.

Mriya, Dreamlifter, Beluga et Guppy, attention convois (aériens) exceptionnels !

A une vingtaine de km au nord-ouest de Kiev se trouve l’aérodrome de Gostomel (UKKM). Propriété du constructeur aéronautique Antonov qui l’utilise essentiellement pour ses principaux vols d’essais, il sert également de base pour la compagnie aérienne spécialisée dans le fret, Antonov Airlines dont la flotte, constitués d’une vingtaine d’avions cargos de divers types sortis des usines locales, se distingue en exploitant un avion rare, car unique et spectaculaire, l’Antonov 225 Mriya.

Antonov 124 225

Dérivé de l’An-124, dont 4 exemplaires sont visibles sur cette vue aérienne de l’aérodrome de Gostomel, l’An-225 démontre sa taille exceptionnelle. On note aussi la présence de deux AN-22 qui en imposent aussi !

Dernier vestige encore actif de l’aventure de la navette spatiale soviétique, cet appareil immense a été conçu à la fin des années 80 pour le convoyage par voie aérienne des véhicules spatiaux, à l’instar des deux Boeing 747-100 Shuttle Carrier Aircraft (SCA) de la NASA. Cet hexaréacteur, dérivé de l’Antonov 124, peut, à juste titre, prétendre au titre de plus gros avion jamais construit (1). Avec la chute du régime soviétique en 1991, le programme spatial (2) est stoppé et l’Antonov 225 reste stocké pendant 8 ans. Au tournant du siècle, l’émergence d’un besoin de plus en plus important de transporteurs aériens de forte capacité entraîne une remise en état de vol et une reconfiguration du Mriya en cargo.

Le second exemplaire du 225, que l’arrêt du programme Buran avait laissé inachevé dans les années 90, est même remis en chantier un temps, mais le coût de cette construction s’est avéré un peu trop élevé et le projet a vite été stoppé. Ce fuselage demeure toutefois abrité, en bon état, dans un hangar de Gostomel.

Antonov_An-225_ (Oleg V. Belyakov - AirTeamImages) 2012

L’unique An-225 escorté par quatre L-39 de la patrouille Vyazma Russ  lors d’un meeting aérien à Kiev en 2012. (Photo : Oleg V. Belyakov – AirTeamImages)

Depuis maintenant une quinzaine d’années, l’Antonov 225, immatriculé UR-82060, est régulièrement mis à contribution pour les missions de transport à la demande pour des charges exceptionnelles par leur taille ou leur masse, parfois les deux. Il est effectivement le seul appareil capable de décoller avec une charge utile, hors carburant, d’environ 250 tonnes et un volume utilisable de 1300 m³.

An225

Capture Flightradar24 du départ de l’Antonov 225 à destination de Doncaster en novembre 2015. Chacun de ses mouvements, rares, devient un évènement particulièrement suivi.

Si l’Antonov 225 est impressionnant par sa taille et sa charge utile, la plus lourde, Boeing, de son côté, a récemment mis en service l’appareil disposant du plus grand volume disponible.

Au milieu des années 2000, pour appuyer le programme 787 Dreamliner dont le carnet de commande était particulièrement garni, et ce, des mois avant même le premier vol du prototype, Boeing a lancé la conversion de quatre Boeing 747-400 de seconde main en Boeing 747-409(LCF) Dreamlifter dont le fuselage a été agrandi pour obtenir un volume record de 1840 m³. La charge utile, de 113 tonnes, reste cependant similaire à celle des version cargo de cette version du quadriréacteur.

Le chantier de conversion des quatre appareils, désormais immatriculés N747BC, N780BA, N718BA et N249BA, a  été effectué par Evergreen Aviation Technologies Corp à Taiwan (3).

Boeing 747LCF Everett

Un Boeing 747LCF à Paine Field, Everett, État de Washington, important site de production Boeing au nord de Seattle.

Le contrat d’exploitation de ces avions est aujourd’hui confié à Atlas Air. Ils ont pour mission exclusive d’assurer les liaisons logistiques entre les différents sites impliqués dans la production des pièces principales du Dreamliner, principalement Everett et Charleston aux USA, Tarente en Italie et Nagoya au Japon.

747LCF Nagoya et Tarente

Trois Boeing 747LCF visibles sur GE à Nagoya (g) et à Tarente (d).

Le rôle joué par les Dreamlifter dans la production industrielle du 787 est clairement essentiel, une étude préliminaire ayant démontré que l’acheminement de ces mêmes pièces par voie maritime aurait pu prendre jusqu’à 30 jours. On imagine bien qu’en réduisant ce délai à un jour ou deux les économies réalisées compensent plus que largement l’investissement que ces avions représentent.

747 LCF Dreamlifter

Un 747LCF survole la région parisienne, le 10 mars 2011, en route vers l’Italie.

Le Dreamlifter a quand même fait la démonstration de capacités inattendues lorsque l’un d’eux, alors en vol vers McConnell Air Force Base au sud-est de Wichita au Kansas, s’est posé, lors d’une nuit de novembre 2013, sur la piste du James Jabara Airport, à une douzaine de km plus au nord, à la suite d’une confusion de son équipage. Comme c’est toujours le cas dans ces situations relativement peu fréquentes quand même, les pistes des deux aérodromes avaient la même orientation, mais celle où le Boeing s’est posé ne mesurait que 1800 mètres de long, contre plus de 3000 à la destination initiale. L’escale non prévue a duré une douzaine d’heure, le temps de vider l’appareil de sa cargaison et de vérifier si l’envol était possible, ce qui fut donc fait, devant de nombreuses caméras venues immortaliser cet évènement tragicomique.

747LCF Jason Rabinowitz

Avec beaucoup d’humour, les concepteurs du 747LCF ont écrit une lettre au père du Boeing 747 pour présenter leurs excuses pour ce qu’ils ont fait à la silhouette de son chef d’œuvre. L’histoire ne dit pas si ils ont été absouts pour cette faute grave ! (Photo : Jason Rabinowitz)

Le système mis en place par Boeing pour ses lignes logistiques est le même que celui qui est appliqué par son concurrent, Airbus, dont la spécificité européenne explique l’éparpillement des sites de production en France, en Allemagne et en Grande Bretagne. Pour transporter des pièces aussi volumineuses que des tronçons de fuselage, des ailes, des empennages et des gouvernes de profondeurs, Airbus a fait construire 5 Airbus A300-600ST Beluga qui se distinguent par un volume interne utilisable important de 1410m³, qui est resté le volume le plus vaste disponible sur un avion jusqu’à l’émergence du Dreamlifter (4). Cependant, la charge utile standard de 47 tonnes du Beluga demeure modeste en comparaison.

Beluga a Toulouse

Les 5 Airbus A300-600ST Beluga, réunis à l’usine de Toulouse, leur base de départ.

Ces avions sont entrés en service en 1996 chez Airbus Transport International, une filiale créée spécialement pour cela. Outre leurs missions quotidiennes au profit du groupe Airbus, ces cargos peuvent être loués pour des transports volumineux spéciaux. Ce fut le cas plusieurs fois, notamment, au profit d’Arianespace et même pour des opérations humanitaires. Mais l’opération la plus médiatique a été le convoyage du gigantesque tableau d’Eugène Delacroix, « La liberté guidant le peuple », (2,60 m de haut sur 3,25m de large) qui a bénéficié du Beluga n°3 pour son transport afin qu’il soit exposé à Tokyo en 1999. L’avion avait reçu une reproduction grandeur nature du chef d’œuvre sur son fuselage à l’occasion de cette mission prestigieuse.

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L’Airbus A300-600ST Beluga 3 spécialement décoré pour le transport du tableau de Delacroix vers le Japon en 1999 et exposé au Salon du Bourget en juin de cette année-là. (Photo : Reuters)

Ces avions célèbrent donc cette année leurs 20 ans de service. Ils vont être remplacés par le Beluga XL dérivé de l’Airbus A330-200 et dont le premier exemplaire est en cours de production. 5 exemplaires ont également été commandés qui devraient entrer en service entre 2019 et 2025 et pousser progressivement leurs prédécesseurs à la retraite. Avec une charge utile un peu plus élevée et un volume qui n’a pas encore été précisé, le Beluga XL devrait faciliter le transport de pièces plus volumineuses et plus lourdes et apporter une plus grande souplesse logistique à l’avionneur.

Vue d’artiste du futur Beluga XL à réacteurs Rolls-Royce. (Document Airbus Group)

Avant le Beluga, Airbus avait exploité la première génération d’avions à fort volume, les célèbres Super Guppy.

Conçus par la société Aero Spaceline à la suite d’un appel d’offre de la NASA qui cherchait le moyen de transférer les éléments des engins spatiaux construit dans l’ouest des USA jusqu’au site de lancement situé en Floride, de l’autre côté du pays, les Guppy qui existèrent en trois variantes principales, étaient des conversions de Boeing 377 Stratocruiser ou sa version militaire C-97 Stratofreighter. Le premier d’entre-eux, le Pregnant Guppy, immatriculé N1024V, vola effectivement pour la NASA une dizaine d’année à partir de 1963. Il prit donc une part non négligeable dans le programme Apollo. Retiré du service dans les années 70, et immatriculé alors N126AJ, il fut finalement ferraillé en 1979.

Deux Mini Guppy furent également construits. Le premier, immatriculé N111AS et disposant de turbines Allison 501, eut une carrière trop courte puisqu’il fut détruit au décollage d’un vol d’essais, le 10 mai 1970, seulement deux mois après son tout premier vol, tuant son équipage de 4 hommes. Le second, N422AJ, toujours motorisé par des Pratt & Whitney R-4360 connut une carrière plus longue puisqu’il fut exploité par son propre constructeur avant d’être revendu et utilisé sous l’immatriculation N422AU par plusieurs compagnies, dont Aero Union en Californie et Erickson Air Crane, jusqu’en 1995. Aujourd’hui, cet appareil est préservé et exposé au Tillamook Air Museum dans l’Oregon.

Tillamook

Le Mini Guppy N422AU est désormais visible devant le hangar du Tillamook Air Museum.

Ce fut ensuite avec le Super Guppy que la famille se développa. Toujours avec des turbines Allison 501, ce nouveau dérivé du C-97, dont le volume de la soute était de 1408 m³, un record à l’époque, obtint son certificat de navigabilité en novembre 1966 pour les USA et en septembre 1971 pour la France.

En effet, face à ses besoins logistique, le nouvel avionneur Européen Airbus était à la recherche d’une solution pour le transport des éléments de ses avions produits sur les sites de ses différents partenaire européens.

Les trois premiers Super Guppy furent construits aux USA. Le premier entra en service en France en novembre 1971 immatriculé F-BTGV. Le deuxième, immatriculé N1038V resta aux USA car il vint prendre la succession du Pregnant Guppy de la NASA à partir de mai 1972 où il vola sous l’immatriculation N940NS. Le troisième, F-BPPA, entra au service d’Airbus, par l’intermédiaire de son exploitant Aéromaritime, filiale d’UTA, en août 1973.

Les deux appareils suivants, rendus nécessaire par le développement de l’activité du constructeur européen, furent assemblés en France, par UTA Industries au Bourget à partir de 1980. Le F-GDSG vola en juin 1982 suivit par le F-GEAI l’année suivante. (5)

Super Guppy Airbus (Jacques Guillem)

Le premier Super Guppy F-GTGV chargé d’une paire d’ailes d’Airbus. Cet avion est désormais préservé en Grande Bretagne. (photo : Jacques Guillem)

Les capacités des Super Guppy leur permettaient d’acheminer rapidement les sections de fuselage des avions en constructions de tous types. Et même les ailes des Airbus long courrier A330 et A340 pouvaient trouver leur place à bord. Ce sont ces capacités hors normes qui expliquent que la première génération de Beluga, sur base d’Airbus A300, dispose du même volume interne, à 2 m³ près !

Et quand on connaît l’opposition, à la fois technique et commerciale, qui existe aujourd’hui entre la firme de Seattle et celle de Toulouse, il est amusant de constater que la seconde doit une grande partie de son succès à sa logistique assurée  par des avions construits à l’origine par son principal concurrent !

Avec l’arrivée progressive des Beluga, à partir de 1995, plus performants, les Super Guppy cédèrent leurs places. Le dernier vol est effectué par le F-GDSG en octobre 1997, lorsqu’il rejoint Hambourg depuis Toulouse pour être préservé dans l’enceinte de l’usine DASA. Les deux autres avaient déjà rejoint les collections des Ailes Anciennes de Toulouse et du British Aviation Heritage à Bruntingthorpe en Grande-Bretagne.

Guppy preservés

Les Super Guppy préservés : le N940NS au Pima Air Museum de Tucson (Arizona), le F-BPPA à Toulouse, le F-GDSG à Hambourg et le F-BTGV à Bruntinthorpe.

La NASA profite du retrait des Super Guppy d’Airbus pour acquérir le plus récent, le n°4 F-GEAI, pour succéder à son N940NS, préservé dès lors au Pima Air Museum à Tucson dans l’Arizona.

Super Guppy El Paso

Le Super Guppy N941NA de la Nasa, vu sur sa base d’El Paso.

Basé normalement à El Paso, au Texas, le dernier représentant encore actif de la famille Super Guppy, ex F-GEAI et désormais immatriculé N941NA, effectue régulièrement des liaisons vers la Floride et le site du Kennedy Space Center à Cap Canaveral pour acheminer satellites et véhicules d’exploration spatiale qui doivent y être lancés.

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Le lundi 1er février 2016, le Super Guppy de la NASA livre un véhicule habitable Orion sur le Shuttle Landing Facility (SLF, à Cap Canaveral) pour une prochaine mission. (Photo : NASA)

Ces avions de transport spéciaux, qui sont aussi des oiseaux rares, ont donc des caractéristiques exceptionnelles. Certains peuvent même prétendre au titre de plus gros avion jamais construit, en fonction des paramètres qu’on jugera les plus judicieux, car quel est celui qu’il faut prendre en compte, la masse, la taille ou le volume ? Un débat sans fin !

Voici un tableau récapitulatif des données essentielles de certains appareils évoqués plus haut, accompagnés d’avions plus répandus à titre de comparaison.

avions super lourds ou super gros

A noter que le volume de la soute du futur A330ST Beluga XL n’a pas encore été communiqué. En ce qui concerne l’Airbus A380, il faut préciser qu’une version cargo A380F avait été prévue mais dont le développement a été arrêté très tôt. Ses caractéristiques auraient été les suivantes :  MTOW : 592 t, charge utile : 150 t, volume : 1134 m³.

La présence du H-4, autrement appelé Hugues Spruce Goose, s’explique surtout par son envergure record de 98 mètres. Au passage, le plus gros hydravion de l’histoire n’est pas visible directement sur Google Earth, mais le site où il est préservé facilement localisable en face l’aéroport de McMinnville dans l’Oregon.

Musée Evergreen de McMinnville OR

Le Musée Evergreen de McMinnville dans l’Oregon où le Spruce Goose est exposé. Les deux Boeing 747 donnent une bonne idée de la taille des bâtiments et les avions tout autour un avant goût intéressant de la collection qu’il abrite.

(1) exception faite de l’Ekranoplan KM qui se trouve à l’intersection des mondes aéronautiques, maritimes, de la science fiction et des délires éthyliques d’ingénieurs désœuvrés. La longueur de son fuselage frôlait les 100 mètres.

(2) La navette Buran, qui n’a effectué qu’un seul vol spatial, en automatique, en novembre 1988, a été détruite à Baïkonour en 2002 lorsqu’une tempête a balayé le hangar où elle tombait en ruine.

(3) En dépit de leur homonymie, cette société n’a aucun lien avec la compagnie cargo Evergreen International, aujourd’hui disparue. Cependant, avant que le contrat d’exploitation des Dreamlifter n’échoit à Atlas Air en 2010, c’est Evergreen International qui exploitait ces avions, alors au nombre de trois, au bénéfice de Boeing, de quoi causer une véritable confusion.

(4) Airbus fait aussi appel à des lignes maritimes et routières, mais sur des distances plus raisonnables que celles envisagées par Boeing pour le 787 et pour un avion, l’A380, dont le rythme de production est bien moins élevé.

(5) C’est dans le cadre de ce programme qu’un ancien KC-97 de la Garde Nationale du Missouri fut convoyé en France. Cet avion connut un destin bien peu enviable comme le raconte List’in MAE.

Le « non-évènement » d’Eastleigh Airport, 5 mars 1936

Sur l’aérodrome d’Eastleigh Airport, près de Southampton, en cette douce après-midi du 5 mars 1936, on s’active autour d’un monomoteur qui a été acheminé par la route quelques jours plus tôt. Un Miles Falcon, piloté par Jeffrey Quill depuis Martlesham, a amené le chef pilote de Vickers, Joseph ‘Mutt’ Summers, qui va avoir la charge d’effectuer le vol inaugural de cet appareil.

First Flight

5 mars 1936, Eastleigh Airport, « Mutt » Summers s’apprête à décoller pour la première fois à bord du Supermarine Type 300.

Vers 16h45, Summers met en route le moteur Rolls-Royce puis décolle à bord du  prototype Supermarine Type 300. 8 minutes plus tard, de retour au sol, Summers aurait déclaré aux équipes impatientes de connaître son verdict sur les qualités de l’avion qu’il venait de piloter : « surtout, ne changez rien ! »

Jusque là, Supermarine s’était spécialisée dans la construction d’hydravions et sa renommée s’était clairement établie avec les appareils de course qui avaient fait les beaux jours du Schneider Trophy. Grâce à eux la Grande Bretagne avait emporté les trois dernières éditions de cette prestigieuse compétition de vitesse en 1927, 1929 et 1931. Cette spécialisation explique que le siège et les ateliers de la compagnies se trouvaient sur Hazel Road, au bord de la rivière Itchen à Woolston, un quartier au sud-est de Southampton.

Supermarine Vickers Woolston

L’emplacement des anciens ateliers Supermarine à Southampton. Le site, devenu une usine Vickers, a été actif jusqu’en 1960. Si les bâtiments originaux ont été rasés la rampe est toujours là.

Au début des années 30, Supermarine avait proposé son projet de chasseur monoplan Type 224 à la Royal Air Force, mais c’est un biplan, le Gloster Gladiator, qui avait remporté le contrat. Reginald J. Mitchell, ingénieur en chef, décida de poursuivre le travail sur un concept de chasseur monoplace à hautes performances tout en travaillant sérieusement à la conception de l’hydravion embarqué Walrus.

Embauché par Supermarine en 1917 à l’âge de 22 ans, le brillant ingénieur avait gravi rapidement les échelons et les lignes superbes des hydravions de course de la firme de Southampton devaient beaucoup à son coup de crayon.

Le 1er décembre 1934, Supermarine reçut un contrat de 10 000 £ pour lancer la production du prototype de chasseur Type 300. La construction du prototype débuta alors et s’acheva fin 1935. Il reçut l’immatriculation militaire K5054. Marque de confiance et bon présage, quelques jours avant ce premier vol d’essais couronné de succès, la RAF passa commande de 300 exemplaires de la version de série de cet avion.

premier vol

« Mutt » Summers, « Agony » Payne, Reginald Mitchell, Scott Hall et Jeffrey Quill posent, rassurés, après le premier vol du K5054, le 5 mars 1936.

Tragique ironie de l’histoire, alors même que l’avion n’était encore qu’au stade du prototype, R.J Mitchell, d’une santé déjà précaire, fut touché par un cancer. Au début de l’année 1937, trop fatigué, il fut obligé de cesser de travailler, mais venait de temps en temps assister aux vols de sa création, encore exemplaire unique, jusqu’au moment où, au mois de mai, il fut hospitalisé. Il décéda le 11 juin. Joseph Smith fut nommé ingénieur en chef et prit la succession de Mitchell pour faire évoluer cet appareil particulièrement prometteur qui  avait reçu le nom de Spitfire.

La suite appartient à l’Histoire, la grande.

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Beaucoup de warbirds portent les fameuses bandes dites « de débarquement » pour rappeler le rôle que ces avions ont joué lors des opérations du 6 juin 1944. 8 ans après son premier vol, plus qu’une éternité pour un avion de combat à l’époque, le « Spit » était toujours en première ligne.

Lorsque la production du Spitfire s’achève en 1948, 22 000 appareils avaient été construits. Plus qu’un succès technique, commercial et militaire, le Spitfire s’est érigé au rang de symbole et de trésor national pour l’ensemble du Royaume-Uni et même au-delà. Tout au long de la guerre le « Spit » est resté un avion de pointe alors même que ses successeurs affichaient des performances souvent largement supérieures. Mais dès les premiers coups de crayon, Mitchell avait posé les bases d’une cellule solide et d’une formule aérodynamique équilibrée.

Pendant les années de guerre, la puissance de la motorisation du Spitfire doubla, sa masse progressa aussi singulièrement et sa puissance de feu était multipliée. Seule, son autonomie restait médiocre, mais si il ne lui était pas possible d’escorter les bombardiers stratégiques sur l’ensemble de leurs raids, il assurait tout aussi bien des missions de frappes tactiques que de défense aérienne.

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Quelque soit l’angle sous lequel on l’observe, un Spit est toujours élégant.

En 1940, lors de la Bataille d’Angleterre, ses premières versions tenaient la dragée haute aux Messerschmitt 109E et en 1944, les appareils dotés de moteurs Griffon étaient capable de faire « un brin de conduite » aux V-1 envoyés contre Londres ou de se frotter aux nouveaux chasseurs à réaction allemands. Entre temps, le « Spit » avait combattu au-dessus de la France occupée, à Malte, en Afrique, en Asie du Sud-Est et dans le Pacifique. Chasseur, bombardier, avion de reconnaissance photo et même chasseur embarqué, le Spit a aussi fait la démonstration d’une polyvalence que ses concepteurs ne prévoyaient sans doute pas.

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Le F-AZJS est un Spitfire Mk.XIX. Jusqu’en 2008 il était équipé d’un Griffon 57A de 2455 ch, hérité d’un Avro Shackleton, et donc équipé d’un doublet d’hélices contra-rotatives. Pas très historique, mais absolument impressionnant, surtout au décollage.

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En 2008-2009, le F-AZJS a été rééquipé d’un Griffon plus conventionnel et repeint aux couleurs d’un Spit Mk. XIVdu n°152 Squadron alors basé en Birmanie à la fin de la guerre.

Etait-il une arme absolue ? Certainement pas ! Mais il n’est pas interdit d’imaginer que si Adolf Galland n’a jamais demandé à Goering une escadrille de Spitfire pour gagner la Bataille d’Angleterre, il l’a peut-être pensé !

Il ne faudrait pas non plus oublier qu’à bord de ces machines se trouvaient des gamins tout juste sortis des grandes écoles britanniques ou des pires quartiers des banlieues de Liverpool et Manchester, sans oublier ces expatriés venus du monde entier, et qui sacrifièrent leurs vies avec le même courage.

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Plus d’un pilote, anglais ou non, a rêvé de piloter un Spitfire. Aujourd’hui, très peu ont cette chance.

Aujourd’hui, une cinquantaine de Spitfire sont en état de vol, dont plusieurs dans la RAF elle-même grâce à l’escadrille du souvenir Battle of Britain Memorial Flight. Ils demeurent des têtes d’affiches exceptionnelles pour les organisateurs de meeting. Et pour un aviateur, piloter un Spitfire, outre la perpétuation d’une légende vivante, est clairement devenu un aboutissement.

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Plusieurs décennies d’évolutions technologiques séparent l’extraordinaire aile elliptique du Spitfire de la voilure delta-canard de son lointain successeur au sein de la RAF, l’Eurofighter Typhoon. Une certaine idée de l’élégance aussi !

Pour ceux qui restent au sol, les yeux plantés droit dans le ciel, le plaisir est extrême car peu d’avions ont réussi ce parfait mélange de force brute et d’élégance totale, tout en conservant la classe d’une Lady ! Et puis, il y a le grondement du Rolls Royce Merlin, aux mélodies particulières. Un spectacle total pour peu que l’avion soit mené par des artistes comme l’étaient Ray et  Mark Hanna. Et ceux qui ont assisté en 2010 à la démonstration de « Maître » Sir Stephen Grey à la Ferté-Alais avec le Spitfire Mk.Vb EP120 se souviennent encore du frisson de plaisir qui les a traversé devant ce pur moment de pilotage…

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Ferté-Alais 2010, Maître Grey à bord du Spitfire Mk.Vb EP120 (G-LFVB) de The Fighter Collection colle la chair de poule, de plaisir, à certains spectateurs !

Il y a 80 ans, il ne s’est pas passé grand-chose sur le petit aérodrome d’Eastleigh, juste le décollage d’un monomoteur aux lignes déjà presque familières.

Si un jour, votre avion vous dépose sur cet aérodrome qui s’appelle désormais Southampton Airport, tâchez d’y penser. Ce jour-là, à cet endroit-là, le monde libre venait de retrouver Excalibur, mais personne ne pouvait alors l’imaginer !

Le dernier vol du premier Boeing 727

Le Boeing 727 fait sans doute partie des plus élégants jetliners de l’histoire. Il fut aussi un très grand succès commercial pour Boeing puisque le triréacteur fut le premier avion de ligne à réaction dont la production dépassa les 1000 exemplaires. Ce record, bien évidemment pulvérisé par les familles Boeing 737 et Airbus A320 depuis, marquait une étape essentielle dans la démocratisation du transport aérien.

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Le premier Boeing 727 bientôt terminé dans le hall de l’usine de Renton en 1963. (Photo : Boeing)

Le premier de ces avions décolla de Renton le 9 février 1963. Le dernier et 1831e a été livré en 1984. Décliné en seulement deux versions principales, la version de base 727-100 et la version 727-200 à fuselage allongé, ce triréacteur bénéficiait d’excellentes performances au décollage et à l’atterrissage grâce à ses dispositifs hypersustentateurs très développés. Au cours de son évolution, le 727 se révéla parfaitement adapté pour des conversions cargo qui furent très répandues.

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9 février 1963, le « E-1 » immatriculé N7001U décolle de Renton marquant le début d’une longue histoire. (Photo : Boeing)

Très à l’aise, et rentable, sur les lignes court et moyen courrier, il fit initialement les beaux jours des lignes intérieures américaines et européennes et fut finalement adopté par des compagnies du monde entier. Gourmand en carburant et particulièrement bruyant, en dépit de kits destiné à réduire ses nuisances sonores, le 727 vit son règne décliner au fur et à mesure de l’entrée en service de biréacteurs modernes, mieux optimisés. Pourtant si les crises de 1991, après la guerre du Golfe, et de 2001, après les attentats, lui portèrent des coups terribles, un peu moins d’une centaine de ces avions restent aujourd’hui opérationnels dans des rôles variés ; compagnies charter ou cargo, avions privés ou gouvernementaux, un 727 a même été modifié pour l’épandage de produits dispersant en cas de marée noire (G-OSRA) et un autre (N794AJ) est utilisé pour des vols en impesanteur (Zéro G).

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Entre les lignes superbes du 727 et sa livrée contemporaine et spectaculaire, le M-STAR est clairement le plus beau des avions d’affaires actuels. (Photo : Trevor Mulkerrins)

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La flotte d’Oil Spill Response. Le Boeing 727 G-OSRA a une charge utile de 15 500 litres qui peut être déversée par une rampe située en arrière du fuselage. (Photo : Oil Spill Response)

Le premier de cette famille nombreuse a connu une carrière tranquille. Le N7001U, fut donc construit à Renton, à quelques km à l’est de Seattle, où se trouve aujourd’hui l’usine d’assemblage des Boeing 737. Après son premier vol en février 1963 et quelques mois d’essais au bénéfice du programme, il fut livré à United Airlines le 6 octobre 1964. Il resta au sein de cette compagnie pendant 27 ans, jusqu’au 13 janvier 1991.

Le premier 727 à son arrivée à Boeing Field en janvier 1991. (Photo : Museum of Flight)

Ce jour-là, il fut acheminé jusqu’à Boeing Field pour une cérémonie de réception au Museum of Flight situé sur cet aérodrome de Seattle. Il en redécolla ensuite pour un court vol d’une quarantaine de km en direction de Paine Field à Everett, là où sont construits les longs courriers Boeing aujourd’hui, pour être restauré au sein des ateliers spécialisés du Musée qui s’y trouvent. L’appareil avait accumulé 48 000 cycles et 64 000 heures de vol. Acheté 4,4 millions de Dollars à l’époque, la compagnie annonçait qu’au cours de sa carrière, il avait permis de générer un chiffre d’affaires d’environ 300 millions !

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Le N7001U en avril 2015 devant les ateliers du Museum of Flight à Everett.

Le chantier de restauration, effectué par une équipe de bénévoles, dura donc 25 ans, car il ne s’est terminé qu’au début de cette année. L’appareil a été remis en état de vol pour qu’il lui soit possible de regagner Boeing Field et le Museum of Flight par ses propres moyens. Le financement de cette remise en état, estimé à 500 000$ sur un quart de siècle a été apporté par de nombreux dons et par le soutien de Fedex, qui a offert les réacteurs installés sur l’avion, et de Clay Lacy Aviation.

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Le N7001U à Everett en août 2015 juste avant la toute dernière étape de sa restauration : l’atelier peinture. (Photo : Museum of Flight)

En février, l’appareil a procédé à plusieurs essais rouleurs sur la piste de Paine Field, atteignant jusqu’à 100 kt. Le 1er mars, la FAA a signé une autorisation spéciale pour le convoyage. Du côté du Museum of Flight, des tickets permettant d’assister à la cérémonie officielle de remise de l’avion ont été mis en vente au prix de… 7,27 $ !

La date du vol retour vers Boeing Field, 25 ans plus tard, a été fixée très tôt au 2 mars, sous condition bien sûr de conditions météorologiques acceptables et ce fut un bon choix puisqu’elles étaient tout à fait correctes pour une fin d’hiver dans une région réputée généralement difficile.

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L’équipage du vol historique quelques heures avant le décollage. (Museum of flight)

Vers 10h (heure de Seattle, 19h en France), la cérémonie de départ débutait à Paine Field. Avec un petit peu de retard, mais qui permit aux spectateur d’assister à l’arrivée d’un Boeing 747-400LCF Dreamlifter en provenance d’Anchorage, l’avion fut repoussé par un tracma. Immobilisé à proximité du seuil de piste, un groupe de parc a été branché et l’équipage a procédé à la mise en route des réacteurs à 10h35 (loc) sous la surveillance de deux camions de pompiers.

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Le premier 727 à quelques minutes de sa dernière mise en route. A noter le 747 Dreamlifter à l’arrière plan. (Museum of Flight)

Une fois la clearance obtenue l’avion est resté au point d’attente quelques minutes, le temps de laisser quelques jets d’affaires se poser ou décoller.

Le décollage, retransmis en direct sur internet, est effectué à très exactement 10h50 !

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Aligné, prêt au décollage. (Capture Livestream)

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11h03, heure de Seattle, le 2 mars 2016, le premier Boeing 727 termine sa carrière volante sous les applaudissements ! (Capture Livestream)

Le Boeing 727 aux couleurs d’United a touché la piste 13 de Boeing Field à très exactement 11h03 (loc) sous les applaudissements de la foule, après un vol intégralement effectué train sorti pour éviter tout risque de problème technique.

Arrivé à Boeing Field, le 727 est salué comme il se doit ! (photo : Museum of Flight)

Désormais arrivé à destination, le premier Boeing 727 va être exposé et pourra être admiré par le public au cœur d’une exposition qui ne manque vraiment pas de belles pièces puisqu’il ne sera pas loin d’un Concorde de British Airways, d’un ancien Air Force One et surtout du tout premier Boeing 747. Avec ce Boeing 727 historique, le musée, qui dispose déjà d’un Boeing 727-200, ajoute donc une nouvelle très belle pièce a ses collections et va permettre ainsi de rendre le juste hommage à un type d’appareil dont l’importance dans l’évolution de l’aviation commerciale récente doit être souligné.